« Sommes-nous dans le fascisme ? » Compte-rendu d’une conférence-débat - Partie 3 : la société

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Villeurbanne Antifa | conférence/débat

Le mercredi 11 juin au Toï Toï le Zinc, Le Comité de quartier (CDQ) de Villeurbanne a organisé une Conférence-débat autour de la question « Sommes-nous dans le fascisme ? » en faisant dialoguer des personnes ayant travaillé sur la question du fascisme à partir des résultats d’une session d’auto-formation organisée le 18 mai autour de la même question. Ceci est la troisième et dernière partie de la discussion avec pour objet la fascisation de la société.

Troisième partie du compte-rendu de la conférence-débat autour de la question « sommes-nous dans le fascisme ? » dont la présentation et le premier bloc (l’État) ainsi que la question des médias ont été publiés dans deux articles précédemment publiés sur Rebellyon :

Une présentation du cdq et des intervenant.e.s


La soirée a débuté par une présentation du Comité de quartier de Villeurbanne, issu de la mobilisation contre l’extrême droite en juin 2024, et qui a pris forme à l’occasion de l’organisation de banquets populaires, de présence sur les marchés de la ville et d’assemblées générales ouvertes à tou.te.s. Après avoir présenté le chantier ouvert par commission auto-formation sur la question du fascisme, les intervenants ont été invités à se présenter. Étaient présents deux syndicalistes impliqué.e.s au sein du réseau VISA69 (Vigilance et initiative syndicale antifasciste) qui mutualise du matériel et propose depuis peu des formations au sein du monde du travail ; Erwan, un jeune doctorant ayant opéré un travail de terrain en observation au sein du « milieu » des groupuscules d’extrême droite et entamant une thèse de sociologie ; Antoine, un chercheur ayant travaillé et publié sur « l’écofascisme » et qui se penche actuellement sur la dimension internationale de l’extrême droite contemporaine ; Lumi, une journaliste et vidéaste travaillant pour plusieurs médias indépendants qui alertent régulièrement sur l’extrême droite en France ; elle est également engagée dans une association d’aide aux réfugiés politique d’Amérique latine.

La fascisation de la société

Toujours dans une salle remplie et attentive malgré la chaleur, le troisième binôme du CDQ villeurbannais présente le dernier bloc de la soirée : la société. Il s’agit essentiellement de la diffusion et de l’évolution des idées fascistes, et les conséquences de leur infusion dans la société, notamment en terme d’impact sur les libertés académiques, pédagogiques ou encore culturelles. En revenant sur la session du 18 mai et la question « sommes-nous dans le fascisme ? », plusieurs arguments sont présentés : les réalités sociales et politiques sont regardées de façon quasi-systématique par une grille de lecture raciste et sécuritaire ; l’amplification des idées d’extrême droite par les médias ; le détournement rhétorique des aspirations sociales qui sert un projet désignant un ennemi intérieur avec un acharnement généralisé ; L’utilisation de valeurs inversées (fémonationalisme, hommes victimes des femmes, racisme anti-blanc, assimilation de l’extrême gauche à l’extrême droite, cancel culture et wokisme) justifie les attaques contre les minorités et ceux qui les soutiennent. D’un autre côté, certains arguments relevaient la persistance d’un régime de liberté (pédagogique, académique, culturelle) ainsi que d’organisations qui protègent, dénoncent et alertent, et soulevait une question : le terme fascisme n’est-il pas obsolète face à d’autres formes de régimes autoritaires (néolibéralisme autoritaire, extrême-centre ou libertarianisme).

Les évolutions de l’extrême droite

Suite aux nombreux échanges ayant précédé ce bloc thématique, la première question posée aux intervenants cherche à développer la réflexion sur les dynamiques liées au processus de fascisation, déjà évoqué à plusieurs reprises. Quelles évolutions observe-t-on depuis les années 2000, en ce qui concerne les groupes fascistes (forme, nombre, organisations, pratiques, présence dans l’espace médiatique, idées…) mais aussi concernant les réponses qui peuvent être apportés en face ? Le cas de l’appropriation d’idées telles que la justice sociale, le féminisme ou l’écologie par l’extrême droite interrogent particulièrement. Selon Erwan, les services de renseignements insistent généralement sur la stabilité de leur nombre (même si on pourrait argumenter une légère hausse). Concernant les activités de l’extrême droite, on observe que la fenêtre d’Overton a eu tendance à se déplacer doucement : des actions qui auparavant étaient médiatisées dans la catégorie des faits divers trouvent aujourd’hui leur place dans les pages politiques des médias. Bien que les groupuscules d’extrême droite (les quelques 3000 militants les plus à droite de France) forment un monde à part, ils construisent et entretiennent des liens avec le reste de la société. Si on observe des pratiques telles que le salut nazi, la violence de rue ou des actes qui rejettent la pratique classique de la politique, on constate également chez eux une volonté d’entrer dans le champ politique et se rendre acceptables. Un exemple est celui de l’action menée par Génération Identitaire dans les Pyrénées, à la frontière espagnole : former un petit groupe qui développe des actions locales non violentes mais spectaculaires et médiatisées. Selon Lumi, on doit noter une victoire locale, à savoir la fermeture de plusieurs locaux tenus par l’extrême droite (la Traboule et l’Agogée) en juin 2024 (après 13 ans d’existence). Elle note que ces fermetures s’avèrent bien plus efficace que la simple dissolution des organisations. Il est cependant rappelé par Erwan que ce genre d’atomisation des structures d’extrême droite radicale conduit souvent à un sursaut de violence dans la rue, pratique redevenant exclusive ; tandis qu’un maintien de ces structures, si elle leur assure une montée en puissance politique, incline les militants à modérer leur violence de fait pour soigner leur "façade publique". À chaque conjoncture son moindre mal.

La « France périphérique » et le vote d’extrême droite

Antoine tient à distinguer trois strates dans la montée du fascisme : les dynamiques politiques dans les hautes sphères (État, partis politiques, haute bourgeoisie), les groupuscules d’extrême droite et enfin une base sociale composée d’environ 10 millions d’électeurs. Cette distinction est importante dans les stratégies à développer face à l’extrême droite. Comment aborder cette masse d’électeurs que certains qualifient de « fâchés mais pas fachos » ? Est-ce que les idées de ces gens se développent ? Les gens votent-ils à droite et à l’extrême droite par racisme ? Le déclassement vécu ou ressenti tient-il uniquement pour eux à des causes économiques ? Quelle place peut occuper le racisme ? En effet, il est possible d’être dominé sur le plan économique tout en cherchant à occuper une place de dominant sur un « plan racial ». Le concept de « France périphérique » symbolise un clivage entre les métropoles (villes, banlieues et couronne périurbaine) et les espaces ruraux. Toujours selon Antoine, il s’est largement diffusé une idée erronée selon laquelle ces métropoles vues comme multiculturelles seraient les grandes gagnantes dans le cadre de la mondialisation, au détriment des espaces ruraux qui en seraient les perdants. Cette erreur repose sur un amalgame entre périphérie sociale et périphérie géographique. De fait, les populations les plus pauvres se trouvent dans ces métropoles ; l’erreur vient souvent du fait que dans les territoires ruraux, la pauvreté observée peut sembler plus homogène. Les électeurs ruraux du RN cherchent avant tout à défendre une stabilité sociale existante qui comprend une dimension raciale. Le principal problème qui se pose dans ces territoires est le très faible accès à des tissus sociaux et associatifs, qu’il est possible, de façon urgente et impérative, de reconstruire, afin d’aider à lutter contre la diffusion des idées d’extrême droite.

Appropriation des pratiques et des termes

VISA69 rappelle le cas de syndicalistes qui se sont présentés sur des listes du RN lors des élections de 2024. Si la CFDT et la CGT les ont radiés rapidement, d’autres syndicats prônent la neutralité politique. On constate que depuis plusieurs années, les discours d’extrême droite se sont diffusés et sont portés de façon assumée dans des catégories sociales telles que les professions intermédiaires ou les fonctionnaires. Des organisations sont apparues au sein de cercles opprimés, tels que le collectif Eros qui se présente comme « gay patriote » et qui porte des discours racistes et transphobes, ou encore Nemesis qui reprend de nombreux codes et pratiques féministes. Cela force de nombreuses organisations de gauche à consacrer du temps et de l’énergie (en développant l’auto-défense) pour contrer ces collectifs d’extrême droite. Le doxxing (divulgation de données personnelles) de militants – avec le relais d’élus locaux – permet souvent de couper les subventions locales aux organisations [lesquelles ? celles de gauche ou d’ED ? le CR n’est pas clair là-dessus]. Le principal souci que pose ces organisations réside dans leur appropriation de nombreux termes et de gauche tels que « autonomie », « féminisme » et « écologie », ce qui est très problématique car des gens peu politisés peuvent se faire happer et tomber dans le panneau. Il y a un travail à réaliser par les organisations de gauche dans cette « France périphérique », notamment une introspection dans le milieu du travail : radiation syndicale d’élus d’extrême droite, lutte contre la perméabilité aux idées fascistes dans notre sein, mise en place de systèmes d’alerte pour recadrer, voir radier les éléments problématiques, et enfin formation des militant.e.s pour porter des idées antifascistes.

Les attaques contre la liberté académique

La dernière question posée par le CDQ porte sur la question de la liberté académique et, plus largement, de la censure (et auto-censure) qui frappe de plus en plus les milieux culturels. Le principal exemple évoqué est l’annonce par Laurent Vauquiez de la suspension des aides de la région Auvergne-Rhône-Alpes à l’université Lyon-II, qu’il accuse de « dérive islamo-gauchiste ». Dans quelles mesures les idéologies néolibérales et conservatrices qui s’attaquent à l’université, à l’école, à la culture et à la santé, participent-elles un même projet politique et idéologique ? Est-ce que le génocide en cours en Palestine ne vient-il pas faire bouger les frontières politiques et partisanes ? Selon VISA69, on constate une percée de l’extrême droite dans enseignement supérieur (aussi bien à Lyon 1, 2 et 3) ; les conflits, l’abattage médiatique visant les universités ou la remise au cause de certains financement rendent difficie la politisation à gauche ; ces attaques ont des motivations aussi bien politiques qu’économiques.
Antoine rebondit sur cette affirmation en insistant sur la recherche de la rentabilité dans le milieu de la recherche, ce qui induit le conditionnement de certains sujets de recherche à des impératifs fixés par des entreprises privées. Ce contexte s’avère favorable aux attaques de l’extrême droite menées contre et au sein des universités. Le temps venant à manquer, il est décidé de donner la parole au public.

Menaces sur la culture

La première question du public porte sur les espace culturels : peut-on craindre la perte de ces espaces par un rachat opéré par des acteurs de l’extrême droite comme cela a été le cas pour certains médias ? Pour Lumi, on peut s’inquiéter des nombreux liens existant entre les partis d’extrême droite et des groupuscules bien plus radicaux. Le fait qu’un parti comme le RN dispose de sommes importantes (par des magouilles, des prêts ou simplement du fait de leurs résultats électoraux) peut en effet inquiéter. Cependant, le pouvoir des milliardaires sur la culture est à nuancer, malgré le cas de la menace de Bolloré qui a menacé de cesser d’investir, dans le cinéma ( Canal+) si l’ARCOM supprimait C8 et CNEWS. L’objectif des milliardaires est en effet de multiplier leur projets pour avoir un doigt dans tout et pouvoir disposer d’une influence. VISA donne l’exemple de l’Italie où l’arrivée au pouvoir en 2022 du parti fasciste (Fratelli d’Italia) de Giorgia Méloni a eu des conséquences sur la télévision publique (la Rai) telle que la nomination de proches à sa direction ainsi que la suppression d’intervenants et d’émissions gênantes (Antonio Scurati et Roberto Saviano). Comme ici avec l’Italie, il est nécessaire de ne pas se limiter à la France dans notre réflexion. À ce titre, une rencontre est organisée le lendemain (12/6) à la bourse du travail de Lyon avec Béto Pianelli, secrétaire du syndicat du métro de Buenos Aires et responsable de la Central de Trabajadores y Trabajadoras de la Argentina (CTA-T).

Comment et dans quelle direction s’engager ?

La question du public qui clôt la soirée porte sur l’action concrète que les forces de gauche peuvent engager afin de contrer et défaire le processus de fascisation en cours. La question porte notamment sur les moyens à mettre en œuvre, notamment sur le plan du langage, pour toucher des personnes qui évoluent hors d’un cadre intellectuel et qui, par exemple, auraient du mal à suivre cette conférence-débat qui approche des 3 heures. Il s’agit donc d’un effort de simplification et de vulgarisation à effectuer. Pour VISA, il est nécessaire d’approfondir la recherche dans les sciences sociales, ainsi que de développer les pratiques de l’éducation populaire ; les gens sont en capacité de comprendre des concepts parfois complexes, à partir du moment où on arrive à mettre en œuvre les outils adaptés (et qui existent) ; il faut alors plus s’en servir et les déployer plus largement, ce qui nécessite des efforts, une solide mobilisation de tou.te.s, notamment dans la création de liens. Antoine Dubiau observe une autonomisation d’une partie de la gauche qui se complait dans un type d’action militante qui peut paraître un peu paresseuse et qu’on pourrait caricaturer par : présence en manif ou aux événements culturels de soutien mais absence aux AG ou sur le terrain. Il insiste sur le fait que le tissu populaire organisé n’existe que si on le fait exister ; le maintenir demande du temps, de l’énergie, un investissement dans une organisation (quelle qu’elle soit) mais il s’agit d’une étape nécessaire. C’est sur ces mots que s’achève la soirée, avec une invitation au public de se syndiquer, de rejoindre des organisations militantes et, bien évidemment de ne pas hésiter à s’investir au sein du Comité de quartier de Villeurbanne, qui annonce la tenue d’une Assemblée en octobre au Palais du travail.

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P.-S.

Le Comité de quartier (cdq) de Villeurbanne est un espace d’auto-organisation visant à lutter contre la progression de l’extrême droite et son idéologie fasciste, par la construction d’un réseau d’alliances et de solidarités à l’échelle de Villeurbanne, l’organisation d’événements (assemblées, conférences et banquets populaire) par différentes commissions.

contact : comitevilleurbanne@riseup.net

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