« Tous les mois je finis à découvert. Je m’en sors plus ». Récit des comparutions immédiates de gilets jaunes du 15 avril

1424 visites
Gilets Jaunes 1 complément

Où l’on entend un procureur assumer que ce ne sont plus désormais les seuls « casseurs » qui sont l’élément à neutraliser mais bien l’ensemble du mouvement des gilets jaunes. Où l’on observe que bien que n’ayant rien « fait », un gilet jaune peut en toute légalité être condamné à 2 mois de prison ferme.

Samedi 13 avril avait lieu l’acte XXII du mouvement des gilets jaunes. Au moins 3000 personnes ont battu le pavé. Lors de cette après-midi, trois personnes ont été interpellées. Deux passaient ce lundi au tribunal en comparution immédiate. Ce sont les premiers procès depuis l’instauration de la loi dite « anti-casseurs ». Les deux gilets jaunes sont poursuivis pour dissimulation du visage. Ce nouveau délit était, jusqu’à cette loi, une simple contravention. C’est aujourd’hui passible de 1 an de prison et de 15 000 euros d’amendes !

La salle est comble. Pour s’assurer de la sagesse du public, les membres du tribunal ont fait appel aux flics qui viennent surveiller la salle. La justice, dans sa sale besogne qui consiste à continuer le travail policier en condamnant les manifestants, n’est pas sereine.

Première affaire

Un homme de 52 ans a été arrêté place Antonin Poncet à la fin de la manif. Il est poursuivi pour plusieurs infractions : dégradation d’un distributeur de billet, participation à un attroupement en vue de commettre des violences et dissimulation du visage. Il a reconnu les faits en garde-à-vue et accepte la comparution immédiate.

La Juge : « Ce sont des faits assez simples et qui ne sont pas contestés. Hein Monsieur ? »
Le Prévenu : « Je sais pas ce qu’il m’est arrivé. J’ai voulu faire comme tout le monde je regrette. »

J [montrant une photo] : « On vous voit dans le 3e près de la banque avec un marteau. Qu’est ce qui donne envie d’avoir un marteau sur soi en manifestation ? »
Pré : «  J’en ai marre des banques. Tous les mois je finis à découvert. Je m’en sors plus …Donc là j’ai vu un gars avec un marteau et je lui ai demandé de me le prêter. »
J : « Vous croisez des gens avec des marteaux en manifestation ? »
Pré : « Y’en a plein madame. »
J : « Pourquoi avoir une bombe lacrymogène sur vous ? »
Pré : « Pour me défendre. Parfois des militants d’extrême-droite viennent avec des barres de fer et des battes de baseball et frappent tout le monde. »

Le procureur se lève et pose des questions
Proc : « Dans les PV il est écrit que vous faisiez partie d’un groupe extrêmement hostile aux forces de l’ordre… »
Pré : « Je faisais partie d’aucun groupe. »

Le proc’ lit le PV de police.

Pré : « Je répète : j’étais avec aucun groupe. »
Proc : « Le deuxième policier entendu dit la même chose. Et pourquoi l’extrême-droite comme vous dites, s’en prendrait à vous ? »
Pré : « Parce que y ‘a des gens qui crient anticapitaliste et anti-fachos . »

Le procureur essaie de montrer ensuite que l’homme est un militant et que son geste était préparé.
Proc : « Ça ressemble pas à un geste de colère mais un geste réfléchi. »
Pré : « Non j’étais énervé. »
Proc : « Pour quelqu’un qui avait un bandana peace and love et qui se dit pacifiste vous aviez un sacré attirail. »
Pré : « Les pétards étaient pas à moi, c’est un copain qui me les a mis dans mon sac. »

JPEG - 2 Mo

J : « Quel est votre bilan monsieur de tout ça. »
Pré : « Je regrette de me retrouver là. »
J : « Oui vous regrettez de vous trouver là mais pas d’avoir cassé le distributeur ?! »
Pré : « De toute façon y’a pas de billets qui sortent. »

Proc : « Sur les faits, le discours qui consiste à dire j’étais à la manifestation mais je n’ai pas participé à un groupement pour faire des dégradations ou commettre des violences était possible en novembre où il y avait d’un côté des casseurs et de l’autre des gilets jaunes. Mais depuis 22 semaines la France est secouée par des manifestations violentes. La distinction gilet jaune/casseur ne tient plus. Monsieur est un casseur. Il a cassé le distributeur. Si vous observez l’attirail de monsieur : Pourquoi tient-il à être tout en noir ? Pourquoi tient-il à dissimuler son visage ? Pourquoi tient-il à être muni d’un marteau ? Donc l’argumentation « j’en peux plus, j’ai des difficultés, j‘étais en colère » elle peut être balayée par votre tribunal. Aujourd’hui on a monsieur qui arrive en audience avec une image inoffensive. Le dossier démontre le contraire. »

Le procureur se félicite ensuite que le délit de participation à un attroupement qui était avant considéré comme un délit politique puisse depuis la loi du 10 avril être poursuivi dans le cadre des comparutions immédiates.

À l’encontre du bon sens populaire, le procureur va plus loin : « Concernant la peine, revenons aux fondamentaux. Je crois qu’on peut le considérer comme un casseur. Donc je crois que la restauration de l’équilibre social passe par une peine forte. » Alors que tout le monde sait que dans cette société dominée par l’argent et ceux qui en ont ; ainsi « la restauration de l’équilibre social » ne peut passer que par la pure et simple disparition des banques.

Réquisitions : 6 mois de prison avec mandat de dépôt + interdiction de manifestation à Lyon et Paris pendant 3 ans

L’avocate du prévenu propose une défense de profil qui contribue au clivage gentils gilets jaunes/méchants casseurs. De plus elle ne revient pas sur la demande du procureur d’interdiction de manifester à Lyon et à Paris pendant 3 ans (!). Une défense de connivence avec le tribunal donc.

Extraits :
« Monsieur n’est pas un casseur qui vient tous les samedis pour casser. C’est un homme que je trouve assez simple. Il travaille, il essaie de s’en sortir. »
« C’est pas le profil de certains casseurs qui vous pouvez voir tous les lundis, où il y a un attroupement devant le tribunal et des soutiens dans la salle. Là monsieur est seul. »
« Effectivement ça ne sert à rien de dégrader du mobilier urbain ou même une banque. Ça ne sert à rien, ça ne fait pas avancer les choses. »
« Sur la peine, l’interdiction de manifester pourquoi pas mais la prison ferme avec mandat de dépôt me parait exagérée. »

Délibéré : 6 mois de prison ferme sans mandat de dépôt et interdiction d’un an de participer à une manifestation à Lyon

Le procès a duré moins de 40 minutes

JPEG - 1.9 Mo

Affaire n°2 

Le prévenu suivant est âgé de 22 ans. Il a été interpellé vers 17h au niveau du pont Bonaparte lors de la charge de gendarmes mobiles à l’intérieur du cortège. Il est poursuivi pour participation à un groupement en vue de participer à des violences envers les personnes ou à la destruction de biens, pour dissimulation du visage et pour rébellion lors de son arrestation.

J : « Je voudrais savoir si vous reconnaissez les faits. »
Pré : « Je reconnais les faits. »
J : « Tous les faits ou seulement certains ? »
Pré : « J’ai pas fait acte de rébellion lors de mon arrestation. »
J : « Pourquoi ces vêtements noirs ? On se demande si vous n’êtes pas un black bloc. »
Pré : « J’ai pratiquement que ça. »
J : « C’est sûr que c’est plus discret qu’une tenue fluo mais ça sert aussi à véhiculer une idéologie. Vous le contestez ? »
Pré : « Oui »
J : « Très bien. Le tribunal se fera son opinion. Sur les photos on vous voie avec un masque de ski pourquoi ? »
Pré : « Pour le gaz. »
J : « Et la capuche. ? »
Pré : « Pour éviter que les bouts de grenades ne tombent dans mon cou. »
J : « Ça fait pas trop baba-cool tout ça vous voyez… »

J : « Les manifestations gilets jaunes sont pour le moins dynamiques. Quand on se met en première lignes on se met dans une situation d’être pris dans toute sortes de choses. »

Après un examen rapide de la personnalité, la juge revient sur les faits et tente d’obtenir une repentance de la part du gilet jaune. On voit alors clairement à l’œuvre toute la logique inquisitoriale propre à n’importe quel procès :
J : « Quel est votre regard sur tout ça honnêtement ? »
Pré : « Je suis dégouté, attristé. Ça me donne pas envie d’y retourner. »
J : « Pourquoi dégouté ? »
Pré : « On peut plus manifester comme on veut. Y’a beaucoup de blessés à cause de la police, c’est violent… »
J : « Samedi on vous trouve où ? »
Pré : « Je serais chez moi. »

Proc’ : « Les photos sont largement suffisantes. Ce qu’on cherche à prouver c’est le degré d’hostilité de monsieur envers les forces de l’ordre. L’interprétation qui est bonne c’est celle qui est faite dans le PV d’exploitation de la vidéo. Je crois qu’on peut balayer la position du gentil citoyen qui demande gentiment sa route à un gentil policier. [...] « Monsieur n’est pas poursuivi pour avoir manifesté mais pour avoir participé à un groupement. La juridiction de Lyon est habituée depuis des semaines à utiliser cette notion. »

Réquisitions : 4 mois de prison ferme avec mandat de dépôt et l’interdiction de manifester pendant 3 ans à Paris et à Lyon

Délibéré : relaxe pour la participation à un groupement, 2 mois de prison ferme sans mandat de dépôt et interdiction de manifester à Lyon et Paris pendant 1 an.

JPEG - 264.1 ko

P.-S.

En cas d’arrestation, vous pouvez contacter la Caisse de Solidarité (06.43.08.50.32, caissedesolidarite/at/riseup.net).

Groupes associés à l'article

Caisse de Solidarité - Témoins

  • Tel : 06.43.08.50.32
  • 91 rue Montesquieu 69007 Lyon
  • caissedesolidarite /at/ riseup.net
  • Autres infos : Permanence les 1ers jeudis du mois à 19h à la Luttine, 91 rue Montesquieu (Lyon 7eme) Possibilité de permanence en mixité choisie à 18h30, les 1ers jeudis du mois à la Luttine, 91 rue Montesquieu (Lyon 7eme). Pour les dons : -par chèque à l’ordre de Témoins-Caisse de Solidarité à envoyer au 91 rue Montesquieu 69007 Lyon -via le site helloasso : https://www.helloasso.com/associations/temoins-des-acteurs-en-mouvement/formulaires/2 La caisse de solidarité est membre du réseau RAJCOL https://rajcollective.noblogs.org/

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Publiez !

Comment publier sur Rebellyon.info?

Rebellyon.info n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail contact [at] rebellyon.info

Derniers articles du groupe « Caisse de Solidarité - Témoins » :

› Tous les articles "Caisse de Solidarité - Témoins"

Derniers articles de la thématique « Gilets Jaunes » :

>🟡 La France en Jaune - 18/11 à 14h place Bellecour

Les 17 et 18 novembre, pour la 5e fois de leur existence, les groupes Gilets Jaunes de toute la France appellent l’ensemble des colères à se refédérer (sans étiquette partisane) contre le pouvoir libéral, répressif, écocidaire et fasciste qui nous opprime toutes et tous, avec ou sans gilet. A...

>L’industrie du complotisme

Vous en avez marre des conspirationnistes qui voient des lézards géants partout ? Et en même temps vous ne supportez plus la petite musique des médias qui traitent de "complotiste" chaque personne qui remet en question l’ordre établi ? Pour nourrir la réflexion des mouvements sociaux...

› Tous les articles "Gilets Jaunes"