Une nouvelle loi pour lutter contre le terrorisme... et mieux nous surveiller

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Dans deux mois, on pourra fêter (enfin) la fin de l’état d’urgence. Ou plutôt, on aurait pu car il n’y aura pas de retour à la « normale ». Ce mercredi 25 mai, une réforme du droit pénal a été votée pour mettre en place l’après-état d’urgence. Elle prétend renforcer « la lutte contre le terrorisme et le crime organisé » mais permet surtout de faire passer dans le droit commun des dispositions de l’état d’urgence.

Cette loi est le volet juridique de la loi sur le renseignement, adoptée l’été dernier. Au départ prévue pour réformer le système pénal, elle a servi, suite aux attentats de novembre, à faire voter des dispositions sur la lutte contre le terrorisme. Un ancien membre de l’Observatoire international des prisons résume le texte de cette manière : « Au-delà des garanties juridiques qui sont mises à mal, au fond, ce à quoi il faut s’intéresser, c’est l’atteinte à la vie privée. On nous habitue de plus en plus à de nombreuses intrusions dans notre vie privée, parfois en le faisant nous-mêmes via les réseaux sociaux. On fait nôtre l’idée selon laquelle si on n’a rien à se reprocher, on n’a rien à cacher. »

Revenons d’abord sur les changements du système pénal en matière de terrorisme et de crime organisé. Pour faire simple, deux étapes constituent ce système. Cela commence par les enquêtes préliminaires à l’initiative des procureurs de la République. La personne soupçonnée n’étant pas au courant de l’enquête à son encontre, elle n’a pas accès aux documents recueillis par la police. Cette dernière ne peut utiliser de moyens de renseignement poussés à cette étape de l’enquête. Si quelque chose est retenue contre la personne, le procureur demande l’ouverture d’une information judiciaire auprès du juge d’instruction, qui accepte ou non. Ce n’est qu’à ce moment-là que la personne concernée est au courant de ce qu’on lui reproche et a, en théorie, accès aux actes la concernant.

Le procureur devient l’égal du juge d’instruction en matière d’enquête

Dans le cadre d’une affaire terroriste ou de crime organisé, le procureur devient désormais quasiment l’égal du juge d’instruction en matière de droits d’enquête. Pour contrebalancer ces nouvelles compétences, le procureur doit aussi enquêter à décharge de la personne soupçonnée et celle-ci devrait avoir accès aux actes, ce qui reste illusoire puisque pour les besoins de l’enquête, beaucoup de moyens seront mis en place à son insu. Les moyens des services de renseignement sont élargis à la police judiciaire.

Sous le contrôle du juge des libertés et de la détention [1], le procureur aura le droit d’ordonner :
- des perquisitions de nuit ;
- la consultation des moyens de communications : échange de mails, conversation whatsapp documents archivés… en utilisant les identifiants de la personne à son insu ;
- l’utilisation d’IMSI catcher pour connaître le numéro de l’appelant, sa géolocalisation, le numéro du destinataire, le contenu des conversations… ;
- la prise de photos, la fixation et l’enregistrement des paroles de personnes dans des lieux publics ou privés via des dispositifs techniques ;
- la fouille des bagages et véhicules ou une inspection visuelle lors d’un simple contrôle d’identité ;
- la retenue pendant 4 heures maximum pour des vérifications administratives même si la personne a décliné son identité. A cette occasion, les policiers pourront prendre des mesures de surveillance, par exemple la pose d’une balise sur un véhicule, ou prendre des décisions administratives comme une interdiction de quitter la France ;
- l’assignation à résidence de personnes de retour d’un « théâtre d’actes terroristes », l’obligation pour elles de communiquer leurs identifiants de communications électroniques, l’interdiction de rencontrer certaines personnes…

Permis de tuer et acharnement carcéral

Parmi les autres mesures importantes nous pouvons en signaler deux : l’une concernant l’impunité policière, l’autre les prisons.

Le collectif Urgence notre police assassine a tenté d’empêcher, en vain pour l’instant, le vote de l’article 19 qualifié de « véritable permis de tuer donné aux policiers » [2]. En effet, l’article déresponsabilise les policiers, gendarmes, douaniers, ayant fait usage de leurs armes hors du cadre de la légitime défense « dans le but exclusif d’empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsque l’agent a des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable au regard des informations dont il dispose au moment où il fait usage de son arme. » Sachant déjà comment les crimes policiers sont traités par la justice, on se demande en quoi il était nécessaire de déresponsabiliser l’usage des armes à feux dans certaines conditions. Comment juger des informations sur lesquelles s’est basé le policier pour tirer ? Il est déjà difficile de le faire en cas de légitime défense, cela paraît encore plus compliqué dans des circonstances aussi larges.

Les personnes coupables de terrorisme pourront être condamnées à des peines de sûreté de 30 ans, sans possibilité d’aménagements de peine. Au sein des prisons seront créées des unités de « prise en charge de la radicalisation », des fouilles collectives et à nu seront autorisées s’il y a suspicion d’introduction d’objet dans les prisons, une manière d’ajouter une humiliation de plus en prison. Les directeurs de prisons seront mis à contribution pour aider les services de renseignements.

Qu’on ne s’y trompe pas, si aujourd’hui on nous présente la figure du terroriste comme un fanatique de Daesh, le code pénal définit l’acte terroriste comme un acte se rattachant à « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Le procès en appel du mercredi 25 mai pour savoir si l’on pouvait qualifier les actes de trois inculpés de Tarnac en actes terroristes, les abus pendant l’état d’urgence envers des personnes au « mauvais » physique ou à la « mauvaise » religion, sont les preuves, s’il en fallait encore, que la définition juridique peut être largement interprétée et que tout un chacun peut se sentir concerné...

P.-S.

Article réalisé dans le cadre du collectif d’entraide à la rédaction.

Notes

[1À noter que ce juge qui s’occupe déjà de domaines très variés n’a souvent ni les compétences ni le temps pour traiter correctement tous ces domaines

[2Une pétition a été lancée sur Change.org. Plus d’infos sur http://www.urgence-notre-police-assassine.fr.

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