Université et pouvoirs

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Novembre2007-...(LRU et retraites) 4 compléments

En ces temps de contestation et de questionnements sur le rôle de l’université et sa place dans la société, je porte à votre attention un bout de texte, sorti d’une entrevue avec Michel Foucault en 1975 [1], sur lequel je suis tombé cette semaine...

* Il s’agit d’une remarque assez générale sur les relations entre savoir et pouvoir et il y fait une remarque à propos des revendications étudiantes de l’époque, ici contre la toute-puissance du « mandarin », qui possède des pouvoirs très étendus sur la scolarité des étudiants Je ne suis pas un spécialiste de l’époque et je ne peux en dire plus... Voici donc cet extrait :

« [...] J’ai l’impression qu’il existe, j’ai essayé de faire apparaitre, une perpétuelle articulation du pouvoir sur le savoir et du savoir sur le pouvoir. Il ne faut pas se contenter de dire que le pouvoir a besoin de telle ou telle découverte, de telle ou telle forme de savoir, mais qu’exercer le pouvoir crée des objets de savoir, les fait émerger, accumule des informations, les utilise.

On ne peut rien comprendre au savoir économique si l’on ne sait pas comment s’exerçait, dans sa quotidienneté, le pouvoir, et le pouvoir économique. L’exercice du pouvoir crée perpétuellement des objets de savoir et inversement, le savoir entraîne des effets de pouvoir. Le mandarinat universitaire n’est que la forme la plus visible, la plus sclérosée, et la moins dangereuse, de cette évidence.

Il faut être bien naïf pour s’imaginer que c’est dans le mandarin universitaire que culminent les effets de pouvoir liés au savoir. Ils sont, ailleurs, autrement plus diffus, ancrés, dangereux que dans le personnage du vieux prof.

L’humanisme moderne se trompe donc en établissant ce partage entre savoir et pouvoir. Ils sont intégrés, et il ne s’agit pas de rêver d’un moment où le savoir ne dépendrait plus du pouvoir, ce qui est une manière de reconduire sous forme utopique le même humanisme. Il n’est pas possible que le pouvoir s’exerce sans savoir, il n’est pas possible que le savoir n’engendre pas de pouvoir. « Libérons la recherche scientifique des exigences du capitalisme monopolistique » : c’est peut-être un excellent slogan, mais ça ne sera jamais qu’un slogan. »

* Je vois ici une très forte analogie avec la situation actuelle, où l’on peut remplacer le mandarin par le président de l’université, en rognant un peu sur le savoir académique du professeur pour en faire un savoir institutionnel et statistique de l’université et de son environnement.

Les pouvoirs dont il hérite du pouvoir étatique sont aujourd’hui combattus comme le furent les pouvoirs acquis, protégés et conservés du mandarin. Aujourd’hui les pouvoirs du président impliquent l’ensemble de la faculté qu’il chapeaute, seulement l’auteur nous dit qu’« Il n’est pas possible que le pouvoir s’exerce sans savoir, il n’est pas possible que le savoir n’engendre pas de pouvoir. ». Ce qui n’est pas un problème, il nous suffit donc, comme beaucoup d’entre nous le veulent, de construire un autre lieu de pouvoir que celui du monde capitaliste (« monopolistique » ou même d’apparence concurrentielle), de créer une articulation entre savoir et pouvoir dans un lieu autre que celui déterminé par l’université et son intégration au service de l’entreprise.

Si nous voulons un savoir et un pouvoir qui ne sont pas organisés pour un système que nous refusons, il est nécessaire de produire un savoir et de se constituer des pouvoirs pour contrer et restreindre, mais il faut surtout travailler à sortir de ces modèles et ces cadres établis par les pouvoirs au service du développement économique, financier, industriel, commercial, monétariste etc...

Il faut développer nos savoirs ET nos pouvoirs !

* Voilà pourquoi je vous propose de commencer par remettre en cause leurs critères :

- d’acceptabilité : le vol c’est mal, faire de la connaissance un outil pour accéder au maximum de fric c’est bien ; la démocratie n’existe que pour les élections officielles et si par hasard elle pouvait exister en dehors de ces échéances, elle ne concernerait que les étudiants de Lyon2 avec une carte cumul ou un certificat d’incription ;

- sociaux : le campus est un endroit réservé aux étudiants-ayant-droit, la société civile n’a rien à y faire, sauf pour entretenir le matériel et la force armée n’est utilisable qu’au service de la présidence, dès qu’elle la demande ;

- matériels : les murs sont blancs ou unis, sinon l’université (la ville) est dégradée, ceux qui se forment ne méritent pas de rémunération (monétaire ou en natures) mais une simple aumône de subsistance, tout comme les retraités ;

- d’utilité : la formation universitaire et plus généralement l’éducation, doivent être utiles à l’individu pour s’intégrer à la société, et ainsi elles doivent être en priorité utiles à l’employeur puisque le travail est la condition de l’intégration ;

- de validation : la "réussite" en licence est importante ;

- d’évaluation : oh ! oui le stage et les travaux gratuits en association sont une bonne chose pour gagner des points capitalisables de connaissance institutionnalisée...mais pas pour gagner une rémunération palpable, utilisable dans le monde réel.

* Mais le sujet ici est le retrait du monde universitaire par rapport à la vie et à la société dans son fonctionnement : la rapprocher de l’entreprise ne fera que la rapprocher du monde marchand et de ses représentations, ses pratiques etc. L’université peut se rapprocher de la société sans se rapprocher de la marchandise et avancer ses savoirs et ses pouvoirs pour aller où nous voulons.

Encore faut-il être un minimum organisés et visibles, ce qui je crois, me semble en démarrage...mais je ne suis pas parmi vous à Lyon 2 et me contente de tchatcher de loin derrière mon ordi, tenu au courant par médias interposés, utilisant cet outil énorme qu’est Rebellyon (lui aussi élément de pouvoir en même tant que relais de savoir).

Je n’ai parlé ici que d’université et en plus de manière très expéditive alors qu’il y a tant à faire et à comprendre pour grandir nos pouvoirs. Le but était surtout de mettre en valeur ce petit texte et surtout sa dernière phrase pour continuer le travail de remise en question du rôle des savoirs et des pouvoirs et de leur utilisation, bien entamé il me semble par les analyses, les liens, les blocages et ouvertures de toutes sortes.

Jean V.

Notes

[1Texte de Michel Foucault extrait de « Entretien sur la prison : le livre et sa méthode » (entretien avec J.-J. Brochier), Magazine Littéraire, n°101, Juin 1975, pp. 27-33 ; lu dans « Foucault, dits et écrits I, 1954-1975 », Quarto Gallimard, 1994

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  • Le 17 décembre 2007 à 16:45, par Jean V.

    Ah non !!!

    je ne suis pas d’accord et je m’outre !

    ou alors je serais influencé sans le savoir par cette vision de la "guerre des classes"...

    Mais par exemple dans un soucis de malice réthorique, pourrais-je me permettre de dire que la guerre que tu proposes est une guerre entre les guerriers de l’Ordre et les guerriers du Désordre ? Un clan qui veut l’ordre et un clan qui veut le désordre ? et donc que finalement tu entres aussi dans une logique de guerre des clans ?

    Sinon, plus sérieusement, tout ce que je propose est que : pour sortir du schéma ("système") d’une connaissance qui ne serait organisée et répandue au seul profit de l’entreprise et d’un cadre de pensée et d’action très limité, il est nécessaire de ne pas se leurrer en cherchant la solution à l’intérieur de l’université et de ses institutions.

    La preuve la plus flagrante de cette complète intégration de l’université dans les rouages de la société de contrôle et le maintien de "l’ordre républicain" est pour moi la manière dont l’institution universitaire elle-même a fait appel à tous les pouvoirs dont elle pouvait bénéficier pour faire cesser le mouvement...
    On a ainsi eu le privilège de voir in vivo et en temps réel l’expression de la puissance institutionnelle dont le président de l’université a su nous montrer la teneur : il peut faire appel à la police et à l’armée, il peut censurer, canaliser et orienter tous les outils de communication interne, biaiser à loisir des procédures que le peuple s’est donné pour légitime depuis un paire de siècles (le vote et la raison de la majorité)....Tout cela pour garantir que « l’Université continuera à remplir sa mission de service public en assurant l’accès aux campus et aux enseignements » ("La présidence" soi-même dans le texte).

    Et bien sûr il ne viendrait à l’idée de personne que ces moyens puissent être employés hors du rôle de consolidation de l’ordre existant, par exemple en faisant appel aux « forces de l’Ordre » (tiens tiens...) pour protéger les bloqueurs des anti-bloqueurs ou pour soutenir les manifestants dans la rue ou sur le campus face aux vigiles de supermarché énervés. Car les pouvoirs qui soutiennent l’université ne la soutiennent que quand cherche à soutenir l’Etat, sinon...

    Je raconte tout ça juste pour dire que mon but n’est pas de construire "une autre université" « Avec d’autres protagonistes, d’autres universités, d’autres présidents, d’autres Savoirs », non non non. L’université fera bien ce qu’elle veut et si les gens veulent y acquérir de quoi vendre leur vie à un employeur à un salaire plus élevé, ça les concerne eux-même avant nous.

    Je n’appelle pas non plus à recréer de manière plus générale le même système avec d’autres personnes, par contre effectivement, je préférerais travailler à mettre en place de nouveaux systèmes... Le désordre ne me dérange absolument pas mais je ne vois pas ça comme un objectif en soi à établir perpétuellement (désolé)

    Je préfèrerais utopiquement pour ma part produire matériellement et immatériellement des quantités de savoirs, détruire tous les pouvoirs gestionnaires qui pèsent sur l’individu à partir du moment ou il vit et se trouve confronté à des Etats, des Nations, des Institutions, des Experts... Après pour cela et pour pouvoir conserver le choix, je ne défends pas le Désordre Perpétuel mais plutôt le droit de sécession, chacune de ces communautés auto-instituées pouvant établir les règles qui lui semblent bonnes, tout comme les moyens de les faire respecter, avec pour condition la possibilité de voyager librement entre elles... Mais alors là, je suis parti plus loin que je ne pensais et ce n’était pas le vraiment le but de mon article, c’est bien aussi comme ça mais par contre j’y travaille encore et ce n’est pas cerné !

    Tant que j’y suis, une dernière envolée lyrique : je ne crois pas que le Désordre puisse être perpétuel...Il faudra bien, à mon avis certains mécanismes afin de garantir ce Désordre et d’en assurer la perpétuité... Mais peut-être est-ce encore un schéma mental qui limite mes conceptions ?
    Tout dépend cependant de ce que l’on appelle Ordre et Désordre, certains considèrent que nous sommes en déjà en Désordre, d’autres que le monde actuel est entièrement ordonné...
    Tout ceci est un peu vague à mon goût même si l’idée générale peut paraitre séduisante...

    (et hop ! petite pirouette et on s’écrase dans le mur)

    Encore une dernière phrase et promis je m’arrete jusqu’au prochain commentaire : la phrase « Tout comme notre maison (et squat) n’est bonne que pour en sortir, notre "clan" ne gagnera que s’il disparait.  » me plait bien mais je ne sais pas trop encore comment la comprendre !!

  • Le 16 décembre 2007 à 22:17, par Jean V.

    Je suis heureux que mon analyse t’intéresse, et que tu cherches à approfondir les choses, à discuter ...

    Et je suis d’accord avec toi quand tu dis :

    « N’est-ce pas prendre nos désirs pour des réalités que de penser que l’université pourrait devenir ce que nous voulons alors qu’elle appartient aux dominants ? »

    C’est justement le propos de Foucault, que je souhaitais mettre en avant, et effectivement je ne pense pas que l’université en tant qu’élément « appartenant aux dominants » ou, je dirais plutot, orienté vers le service des intérêts de la société marchande, ne peut pas être ré-orientée afin de faire autre chose que ce qu’elle fait : former des cerveaux pour perpétuer et améliorer le système de gestion des individus qu’est l’Etat (entre autres : il ne fait pas non plus que cela).

    Quand j’écris : « L’université peut se rapprocher de la société sans se rapprocher de la marchandise et avancer ses savoirs et ses pouvoirs pour aller où nous voulons. », je ne veux pas parler de l’institution mais des individus et des connaissances qu’elle abrite : tout ce qui est enseigné à l’université (ou à l’école ou dans les formations professionnalisantes ou artisanales) n’est pas axé uniquement vers le marchand et la reproduction/justification d’un ordre social et matériel établi.
    Des quantités potentielles de connaissances et de pratiques émancipatrices y sont en sommeil, ou ensevelies dans des carcans rationnels et utilitaristes.

    Je pense donc qu’on est sûrement d’accord... et plutot d’accord aussi avec cette radicalité qui dit que l’université elle-même ne peut pas s’écarter des exigences du capitalisme et qu’il s’agit donc - pour moi - de se poser des questions et des objectifs plus sensés (je ne cherche pas à promouvoir le rationalisme ou l’utilitarisme énergétique !) et mieux pensés que de promulguer ou non une loi d’orientation ou ses parties. Ce qui ne n’empêche pas que l’on puisse profiter de ses effets, notamment la mobilisation et le temps de corps et de cerveau disponibles...

    Ce n’est pas nouveau de tenter de promouvoir des pouvoirs et des lieux de réflexion parallèles, j’en suis conscient...mais je suis aussi conscient de l’urgence de la chose...

  • Le 16 décembre 2007 à 15:10

    « Si nous voulons un savoir et un pouvoir qui ne sont pas organisés pour un système que nous refusons, il est nécessaire de produire un savoir et de se constituer des pouvoirs pour contrer et restreindre, mais il faut surtout travailler à sortir de ces modèles et ces cadres établis par les pouvoirs au service du développement économique, financier, industriel, commercial, monétariste etc... »

    C’est encore est toujours la rethorique de la guerre des classes :
    personellement, je ne veux pas un savoir et un pouvoir organises pour un systeme que je refuse....

    ni pour un systeme tout simplement.
    Tuer cet Ordre des choses pour en construire un nouveau ? Avec d’autres protagonistes, d’autres universites, d’autres presidents, d’autres Savoirs... pour ce que tu appelles « Notre » systeme ?

    C’est la guerre, en effet. Mais sortons de ce paradoxe qu’est la guerre des clans.
    Tout comme notre maison (et squat) n’est bonne que pour en sortir, notre « clan » ne gagnera que s’il disparait.
    Alors non, pas un nouvel ordre des choses, mais le Desordre perpetuel, la multiplication des savoirs infinis.Ce sont les murs qu’ils faut casser, non pas repeindre. :)

  • Le 15 décembre 2007 à 05:29, par totof

    très intéressant. Je me demande juste si tu vas à fond dans ton raisonnement. Tu écris :

    « Si nous voulons un savoir et un pouvoir qui ne sont pas organisés pour un système que nous refusons, il est nécessaire de produire un savoir et de se constituer des pouvoirs pour contrer et restreindre, mais il faut surtout travailler à sortir de ces modèles et ces cadres établis par les pouvoirs au service du développement économique, financier, industriel, commercial, monétariste etc... »

    Puis :

    « L’université peut se rapprocher de la société sans se rapprocher de la marchandise et avancer ses savoirs et ses pouvoirs pour aller où nous voulons. »

    Dans quelle mesure l’université, qui est au main de l’Etat, peut-elle avancer ses savoirs et pouvoirs où nous voulons ? N’est-ce pas prendre nos désirs pour des réalités que de penser que l’université pourrait devenir ce que nous voulons alors qu’elle appartient aux dominants ? Tires-tu, sur ce point, toute la radicalité de l’analyse foucauldienne ?
    Le problème tient à ce que le savoir de la pensée, ce qu’on appelle faute de mieux le savoir « universitaire » ou « académique » (ces termes nous montre d’ailleurs à quel point ce savoir est institutionnalisé), se situe dans l’université. Dans une démarche de réappropriation de la vie, il faudrait extraire ce savoir du lieu extrêmement risqué pour lui qu’est l’université (puisqu’elle est au main de l’Etat, donc des entreprises). Que la sociologie, par exemple, ou la philo, siège dans l’université ne va pas de soi ! Que le savoir critique ait son dernier refuge dans l’université est on ne peut plus dangereux, comme nous le voyons à présent avec l’actuelle offensive des entreprises sur l’université. Le risque en est la mise au pas de la pensée.
    Il faut donc extraire physiquement ce savoir de l’université et nous apprendre les uns aux autres de façon autonome. Ainsi, ce savoir ne serait plus lié à la réussite sociale dans la société bourgeoise. Du coup, dans le contexte actuel, il intéresserait peut-être aussi beaucoup moins de monde, au début en tous cas, puisqu’il ne serait plus le garant d’un certain prestige dû à une place sociale (puisqu’il n’y aurait plus de diplôme pour faire rentrer ce savoir en cohérence avec la hiérarchie salariale).
    Une telle tâche me semble être de la plus haute importance puisque c’est de la survie du savoir critique qu’il s’agit.

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