Vinatier : Retour sur la Nuit blanche de résistance du 9 mars 2010

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Le neuf mars a eu sa nuit de résistance au Vinatier, nous la voulions blanche pour sa durée, elle le fut dans sa pagination et par ce qu’elle a permis d’écrire. Résistante, elle le fut à coup sûr par l’affluence, le dynamisme, la diversité et la détermination qui étaient au rendez-vous. Paroles entremêlées mais aussi expression libre, création, ouverture, elle fut active et farouchement vigilante...

Lire aussi l’appel à cette nuit de résistance publié sur rebellyon.info.

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Le neuf mars a eu sa nuit de résistance au Vinatier, nous la voulions blanche pour sa durée, elle le fut dans sa pagination et par ce qu’elle a permis d’écrire. Résistante, elle le fut à coup sûr par l’affluence, le dynamisme, la diversité et la détermination qui étaient au rendez-vous. Paroles entremêlées mais aussi expression libre, création, ouverture, elle fut active et farouchement vigilante contre ce qui est perçu par un nombre grandissant comme une blessure à la conscience humaine et à l’éthique soignante.
La présence de deux cents à trois cents personnes l’a clairement indiqué, même si l’affluence auraient être plus importante si un certain nombre d’organisations ayant soutenu et appelé à la soirée n’avait pas eu à tenir un meeting régional de campagne électorale ou, comme le syndicat de la magistrature, du conduire une action, nationale à Paris. Enfin, appuyées par des élus de Vaulx-en-Velin, de Bron et d’autres communes environnantes, elles pouvaient aussi compter sur le soutien des « 39 de la nuit sécuritaire » représenté par un des leurs, de « l’appel des appels », de l’USP, du comité des résistances d’hier et d’aujourd’hui, de l’association « L’improbable », qui s’ajoutaient aux partis, syndicats et associatifs signataires du comité d’organisation.

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Musique (merci au groupe « Les lascars » et au Rock’n Roll), lecture et débats ont permis, en mêlant des expressions différentes, d’aborder dans l’émotion, la fraternité et la convivialité des questions graves et brûlantes, portant sur l’avenir de l’hôpital, des services publics en général, des libertés individuelles, mais aussi sur la façon dont s’installe un climat de suspicion, de surveillance et de punition, où tout est ramené à une mise en équation des comportements, à une normalisation chosifiante. Constat a été fait que l’humain disparaissait pour le profit, au profit de la machine, en somme d’une vision mécanique de ce qui en fait le genre. Il a été dit que dans le soin, à l’école, partout, l’évaluation individualisée démembre, pulvérise les collectifs et les associations, dépersonnalise. Il faut être conforme à ce que les experts attendent de chacun, ne plus désirer, ne plus penser, être pragmatique parce que, comme l’explique Elisabeth Roudinesco :
« Il est impossible d’être anxieux, exalté, rebelle sans être aussitôt contraint d’avoir recours à des pilules afin de ne plus songer aux lendemains qui chantent ; ».
Une aspiration contre cette démocratisation/crétinisation hygiéniste des conduites s’est dégagée de l’assemblée qui donnait voix, pour cette occasion à « l’insurrection des consciences » pointée et suscitée par les pétitionnaires de l’appel des appels. SalariéEs de différents horizons, usagerEs, militantEs de différentes organisations ou associations, simples citoyenEs venuEs s’informer, ont dénoncé ce qui se passe partout dans les entreprises, les administrations, cet esprit insidieux qui rend coupable d’être malade, coupable d’avoir le désir de vivre selon soi, avec les autres, les idées de l’universel et non pas celles de la marchandise et du repli sur soi.

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La soirée s’est articulée autour de deux débats, eux-mêmes ouverts par des textes ; pour le premier de Michel Foucault, tiré de « surveiller et punir », pour le deuxième d’Althusser, tiré de « L’avenir dure longtemps ». Le premier débat, assuré par Jean Darrot, ancien chef de service en pédopsychiatrie, a porté sur la situation des hôpitaux aujourd’hui. Il s’est cristallisé autour de ce message en forme de cri lancé par Jack Ralite au lendemain du discours de Sarkozy à Anthony et après la manifestation du plateau des Glières où se rassemblaient résistantEs d’hier et d’aujourd’hui :
« L’humanité a rendez-vous avec sa ré humanisation ».

Jean Darrot situe ainsi un point pivot par où peut se relancer le défi des changements permis par la victoire contre le fascisme et l’esprit de Vichy, toutes idéologies remises au goût du jour dans les décisions politiques gouvernementales. Il s’agirait alors de reprendre le combat désaliéniste et communautaire commencé à la libération et continué lors de la formation du secteur selon cette autre formule délivrée par Jean Bonnafé :
« La folie ne sera que l’avatar malheureux d’une légitime protestation contre une injuste contrainte » ode à la liberté pour une aspiration au mieux-être contre les infortunes d’un destin tressé par la pauvreté et les grandes catastrophes historiques portées par le siècle dernier. Pourtant, expliquait-il, cette sectorisation s’est construite entre l’après-guerre et les années 90 comme elle a pu, souvent par la seule volonté de ceux qui en ont jeté les bases, c’est-à-dire par à-coup et beaucoup plus faiblement qu’on ne le croit, les financements accordés ne permettant pas son développement à la mesure des espérances annoncées par la législation. Les effets d’annonces n’ont pas été suivis par l’application des moyens qui leur étaient nécessaires. Contrairement aux idées reçues, expliquait-il, la circulaire des années 60 considérée comme l’acte fondateur du secteur n’obtenait ses crédits que dans les années 70 quand résonnaient encore les tambours des évènements de 68 et des luttes qui lui succédèrent dans la psychiatrie et les autres secteurs de la société engagés contre les lourdeurs de l’ordre moral et les pratiques répressives du régime gaulliste. Les véritables transformations et leur financement seront votés en 85, au moment où est pris le tournant de la rigueur et des restrictions budgétaires. Le développement s’est alors noué à des malentendus d’où ressortait cette impression – effective au demeurant – d’une mise en place faite en piochant dans les réserves de l’intra, c’est-à-dire par redéploiement de ses moyens. Le premier effet conduira à une division des personnels entre eux et créera une conflictualité artificielle dont la responsabilité incombe à l’administration et à ses modes de gestion. Ainsi ont été poussés les uns contre les autres personnels de l’intra contre ceux de l’extra, ceux-ci étant souvent accusés de nourrir un sentiment de supériorité alors que les uns et les autres étaient victimes d’une politique cynique dont les détournements n’ont pas fini de produire leurs effets en matière de diminution de moyens, de casse des dispositifs d’accueil et d’abandon de pans entiers de la population laissée à la précarité, la déshérence, toutes situations qui nous amènent aux sujets de cette soirée.

Ainsi, peu à peu, et Jean Darrot ne mâcha pas ses mots, des psychiatres en trop grand nombre se sont compromis au nom du réalisme et de la nécessaire participation aux politiques décidées, dans une demande de contention, d’ouverture de cellules, de construction d’unités spécialisées, au fur et à mesure que les moyens humains diminuaient jusqu’à refuser dans les services traditionnels le traitement des patients difficiles. De telles postures, selon lui, expliquent la réponse administrative et structurelle des UHSA qui procède d’une logique interne à la filière pénitentiaire, devenue par défaut mais immanquablement le lieu d’accueil de ces patients « inadéquats et inopportuns » refusés par l’hôpital. Partis par la petite porte des exclusions économiques, ils reviennent par la grande porte du sécuritaire, celle des fourgons cellulaires et d’une forteresse décidée inexpugnable, placée dans les murs de nos établissements par une volonté politique et la complicité médicale. Puis il mit en parallèle, pour qualifier le moment où nous vivons, ce qui s’est produit en 2008 à Grenoble quand un patient en fugue avait assassiné un étudiant, avec ce qui s’était passé en 79 quand un vagabond délirant avait égorgé 6 personnes à Maison Blanche la nuit de son admission. Daumézon qui avait passé la nuit à débriefer son équipe choquée se tuait sur le chemin du retour, en voiture, d’une façon dont l’aspect équivoque ne sera jamais véritablement éclairci (s’agissait-il d’un accident ou d’un acte volontaire suite à un mouvement dépressif déclenché par la situation ?). Les choses en restèrent là, suspendues. Mais à cette époque l’administration ne traitait pas politiquement les faits divers psychiatriques quand ceux-ci servent aujourd’hui des buts dont les enjeux les dépassent. Ils prennent dorénavant une orientation exemplaire à la façon des exécutions publiques de l’ancien régime, deviennent des instruments pour une pédagogie du choc et de la peur, aux fins de rendre acceptables les changements imposés par « l’économie de marché totale » qui sont d’autant plus facilités « si la voie pour y parvenir est pavée de quelques traumatismes » (Zizek).

Le deuxième débat, mené par Raphaël Thälher, trouvait sa transition avec le précédent et la lecture d’Althusser par la description du panoptique de Betham. Il s’agissait, nous disait-il, d’une figure architecturale ayant pour principe à la périphérie un bâtiment en anneau avec au centre une tour, percée de larges fenêtres, qui permet depuis cette place centrale de voir tout ce qui se passe autour. Il suffi alors de placer un surveillant dans la tour centrale, d’enfermer dans chaque cellule un fou, un malade, un condamné. Chacun se croit de la sorte en permanence pris sous le regard du surveillant, se sent percé à jour, suivi dans chacun de ses gestes. La surveillance apparaît constante. Cette illusion assure alors du fait des conditions de visibilité, une position de pouvoir permanente sur le sujet. « Le panoptique est une machine à dissocier le couple voir/être vu. Dans l’anneau périphérique on est totalement vu, sans jamais voir. Dans la tour centrale on voit tout sans jamais être vu. ».

L’organisation du travail dont s’inspirent les théories managériales modernes, poursuivait Raphaël Thälher, s’inspirent de ce principe. « Dans toute société, le corps est pris à l’intérieur d’un pouvoir très serré qui lui impose des contraintes, des interdits ou des obligations. » Nous ne sommes en effet ni sur les gradins ni sur les scènes de la démocratie grecque mais « dans la machine panoptique, investis par ses effets de pouvoir que nous reconduisons nous-mêmes, puisque nous sommes devenus un rouage. » Aujourd’hui caméras, coachs et évaluations remplacent la tour. La vigilance des regards inter croisés ont rendu selon Foucault « inutiles l’aigle comme le soleil » (allusion à Napoléon aperçu par Hegel et au soleil d’Austerlitz, c’est-à-dire à la force des canons et à la figure du tyran) « notre société n’est pas celle du spectacle mais de la surveillance. Sous la surface des images on investit les corps en profondeur. » Pour parfaire cette illusion, celle du spectacle et des jeux de rôle, on fait disparaître la notion d’exploitation en la remplaçant par celle de souffrance au travail, jeu facile où ce qui résulte d’un certain type de rapport sociaux de production est localisé chez le travailleur dont c’est la psychologie qui se trouble. Ainsi Xavier Darcos ministre du travail, tombeur des Rased sous un précédent ministère, affirme avec son habituel mépris :« les risques professionnels ont changé de nature, les violences psychologiques remplacent les accidents du travail ». Pour ce ministre ceux-ci sont devenus plus difficiles à traquer : « parce qu’il est plus facile de repérer quelqu’un qui tombe dans un haut fourneau que quelqu’un qui souffre (psychologiquement) ». Raphaël Thälher relevait avec ironie cette énormité : « Victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles doivent savoir désormais qu’ils ne souffrent plus dans leur corps mais dans leur esprit alors que ces souffrances s’y rajoutent. » S’il s’agit toujours de maîtriser les corps. La psychologie est détournée pour assigner chaque sujet dans le périmètre de sa personnalité. En fait, nous disait-il en reprenant cette formule de Marx : « Dans une économie marchande les rapport entre personnes prennent l’aspect de rapports entre objets. » Et ici, dans ce moment de son développement, plus que jamais. Autre idée pourfendue celle du travail donné par les employeurs. « Le patronat ne donne pas du travail, il met au travail dans des conditions historiques données des forces productives. » De la même façon que, nous expliquait-il, « ce ne sont pas les travailleurs qui sont malades mais le travail qu’il faut soigner (organisé sur d’autres bases). » Dans la suite de ce raisonnement il réfutait, loin des images consensuelles qui en sont données, l’idée ressassée d’un déclin industriel généralisé. « La France industrielle continue de produire massivement. Plutôt que de pleurer sur son déclin mieux vaut en souligner les dégâts provoqués suite aux objectifs qui lui sont assignés. » Il en énumérait trois types ; la compétitivité, la rentabilité et la productivité. (Il faut faire plus dans la perspective d’un marché mondial pour rentabiliser les capitaux investis et les rémunérer à des taux exorbitants – jusqu’à 15% pour une croissance de 1 à 2% l’an - par une productivité accrue c’est-à-dire avec de moins en moins de travailleurs). Du coup, disait-il, la « crise financière » plante les décors d’une vaste mascarade ; l’argent ne travaille pas, il ne se reproduit pas. Seule la force de travail produit de la valeur et c’est sur cette force de travail que repose tout le poids des profits réalisés. Puis il faisait part de cette conviction, que l’évolution marquante dans ces dernières années porte sur ce qui est empêché dans le travail. D’où la notion de « travail empêché » développée par Yves Clot pour qui « Le stress n’est pas seulement l’intensification de ce que l’on fait » mais « l’accumulation de tout ce que l’on ne peut pas faire. Le stress est à relier aux efforts consentis contre soi-même pour ne pas faire ce qu’on voudrait, c’est ce que j’appelle l’amputation du pouvoir faire. » Ainsi, reprenait-il, « on souffre du travail que l’on souhaiterait faire et que l’on ne fait finalement pas. C’est le travail empêché. » Ceci n’empêche d’ailleurs pas la souffrance du travail que l’on fait dans les conditions où on le fait. Cette situation désigne « un phénomène de débordement ». Les charges de travail, le manque d’effectif, les cumuls d’objectifs, conduisent les salariés à une course folle. Ce système, nous le voyons bien, n’est pas propre à l’industrie. Il s’applique partout dans les services publics.

La discussion qui suivit cet exposé a davantage permis à celles et ceux qui subissent ces nouveaux dispositifs de travail et de soin, de prendre la parole. Ainsi avons-nous enregistré le témoignage de précaires, d’infirmierEs travaillant en UHSI, de jeunes ayant enquêté sur les centres de détention pour mineurEs, mais aussi de travailleurSEs sociaLES faisant état des situations difficiles où illes interviennent, de collègues à qui il arrive de basculer du côté sombre de la « maladie mentale » et de l’inhumanité de sa prise en charge. (Prise de conscience d’autant plus rude chez celles et ceux-là qui passent de l’autre côté du décor) Nouvel écho du : « Nous sommes touTEs concernéEs ».

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Cette soirée s’est terminée tard, dans une tonalité très combative et passionnée. Tout au long, nous avons eu le sentiment que quelque chose se passait d’inédit pour certainEs, qu’un parfum de 68 revenait pour d’autres. Interventions et débats, nous le sentions, ont permis d’élever le degré de conscience de touTEs. Une page a été écrite qui en appellera d’autres tant son contenu dépasse déjà le cadre qui lui était donné.

Le collectif après une réunion de bilan pense que la généralisation de la résistance et de la lutte est nécessaire. Il nous faut continuer, réaffirmer que nous sommes contre cette politique qui stigmatise et crée la misère individuelle et sociale sans régler les vrais problèmes.

Ensemble continuons !

P.-S.

A l’appel des organisations : CGT Vinatier, Union Syndicale Départementale Santé-Action Sociale CGT et UD CGT du Rhône, SUD Santé Sociaux, CNT Santé Social , FSU 69, Elus communistes et apparentés de la ville de Bron, Guy Fischer Sénateur communiste du Rhône, Fédération du Rhône du PCF, Parti de Gauche 69, MRAP Lyon 1-4, Collectif Privés d’emploi de Vaulx en Velin, Collectif d’aide aux sans papier et demandeurs d’asile 69, NPA, CGA, La Gauche unitaire, L’Appel des Appels 69, CGT chômeurs, La librairie « à plus d’un titre », Le CIRDEL, CGT Renault Trucks Tertiaire, section de Lyon du syndicat de la magistrature, USP, CRHA (Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui), Collectif des 39 la nuit sécuritaire, (citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui), Elus communistes de Vaulx en Velin, L’improbable, Mouvement des jeunes communistes 69, Les Alternatifs Rhône, …

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