Il y a une semaine paraissait dans Libération une tribune signée de grands noms de chorégraphes et d’artistes menaçant de « retirer leurs œuvres du répertoire de l’opéra de Lyon ». A l’origine une décision deux mois plus tôt de la cour d’appel de Lyon de condamner le chorégraphe Yorgos Loukos pour discrimination à l’embauche, suivi d’un conseil d’administration de l’opéra de Lyon votant son licenciement.
“Si entre 29 et 34 ans, tu as fait pas mal, mais pas beaucoup, c’est pas entre 35 et 40 que tu vas faire plus, en plus avec un enfant”
C’est que ce chorégraphe qui a derrière lui 30 ans de maison à l’opéra de Lyon a refusé de renouveler le contrat d’une danseuse partie en congé maternité. Enregistré discrètement par cette dernière qui est à l’origine de la plainte pour harcèlement moral et discrimination à l’embauche, Yorgos Loukos lui signifiait « Si entre 29 et 34 ans, tu as fait pas mal, mais pas beaucoup, c’est pas entre 35 et 40 que tu vas faire plus, en plus avec un enfant » [2].
La semaine dernière les prestigieux soutiens de Yorgos Loukos, parmi lesquels figurent Maguy Marin, Ariane Mnouchkine, Bob Wilson, Isabelle Huppert... [3], signaient donc une tribune dans Libération, oubliant malencontreusement de rappeler cette phrase du chorégraphe. A ce sujet, ils et elles affirmaient que « sous le coup de l’indignation Yorgos Loukos a prononcé des paroles maladroites et donc regrettables ». Ses mots sexistes et misogynes étaient ainsi balayés d’un revers de main au nom de la maladresse de son auteur, revers de main que l’on pourrait lui même qualifier de maladroit s’il n’était surtout détestable. Car ce que l’on lit derrière la longue litanie de noms propres signant cette tribune, c’est aussi une certaine solidarité de classe. Celle de prestigieux créatifs à gros salaires, parfois engagé.es à gauche comme il est de bon goût et qui ne supportent pas que l’on puisse s’attaquer à un bon pote et de surcroît un artiste de renom. Derrière le soutien à l’homme Yorgos Loukos, il y a aussi le soutien à son œuvre, lui qui à en croire les signataires, aurait fait du ballet de Lyon l’un des plus renommé du monde. Renommée sans doute suffisante pour pouvoir se permettre des « maladresses » sexistes sans en être comptable car « Faut-il le rappeler ? Il est de la responsabilité du directeur de la compagnie d’engager des danseurs et danseuses qui, par leur talent et leur sérieux au travail, soient aptes à être choisis par les chorégraphes prestigieux qui, réunis par lui depuis près de vingt ans, ont concouru à faire du Ballet de l’Opéra national de Lyon un des meilleurs ballets du monde et dont la réputation rejaillit sur l’Opéra tout entier. »
Mais surtout, qualifier Yorgos Loukos de sexiste à la faveur de ces malheureux mots, c’est oublier selon ce prestigieux parterre du spectacle que « huit danseuses sur seize sont actuellement mères d’un ou plusieurs enfants. Et que c’est plus de 25 danseuses qui furent dans ce cas au cours des années passées. Qu’elles ont toujours eu la possibilité d’emmener leurs enfants et leurs maris en tournée. Que plusieurs d’entre elles se sont vu attribuer un CDI après la naissance de leur premier enfant. Chose que réclamait la plaignante, mais qui ne lui avait pas été accordée pour des raisons artistiques n’ayant rien à voir avec une quelconque discrimination. » Car si on a déjà dans sa vie par plusieurs fois accordé les faveurs d’un CDI à des mères, c’est bien que l’on ne pense pas vraiment ce que l’on dit lorsqu’on affirme qu’avoir un enfant est un empêchement à se donner complètement à son travail, c’est bien que Yorgos Loukos est un directeur artistique remarquable puisque parmi les centaines de danseuses qu’il a dirigé en 30 ans de maison à l’opéra, plus de 25 ont eu droit à un CDI. C’est bien la preuve qu’il n’est pas sexiste Yorkos Loukos et qu’il peut bien faire travailler des mamans de plus de 30 ans. D’ailleurs Polanski et Weinstein n’ont pas non plus violé toutes les actrices à qui ils ont eu affaire ce que les auteurs et autrices de la tribune oublient de mentionner, on ne leur en veut pas, ce n’était pas le sujet.
"Contrairement à ce qu’il nous est souvent dit, on a, en démocratie, tout à fait le droit de critiquer une décision de justice"
Alors dans cette histoire il y aurait des responsables. Le très autoritaire Serge Dorny, directeur de l’opéra que l’on ne défendra pas non plus ici, aurait peut-être à sauver quelques meubles et une réputation, lui qui fut poussé vers la sortie en 2014 avant de revenir précipitamment 6 mois plus tard [4], et qui était comptable de notes de frais exorbitantes, près de 13 000 euros par mois en 2014 [5] auxquelles il faut bien sûr ajouter son salaire de 20 000 euros mensuel. Mais davantage encore ce sont les responsables syndicaux qui sont pointés du doigt par nos artistes bien aimé.es. « Dans le cas qui nous occupe ici, aucun délégué syndical ne peut se prévaloir de représenter à lui tout seul l’ensemble du personnel concerné, car ce n’est absolument pas le cas. La ville, la région et l’Etat doivent revenir tenir leur rôle dans cette affaire et user de leur poids et de leur expérience pour apaiser le conflit, les ego, les jalousies évidemment à l’œuvre dans cette situation ». Car la ville, la métropole, la région et l’Etat sont les principaux pourvoyeurs au budget de l’opéra, plus de 37 millions d’euros en 2017, faisant de cette institution culturelle l’un des premiers budgets de la municipalité qui met aussi du personnel à disposition de l’opéra à hauteur de 10 millions d’euros de salaires qu’elle prend à sa charge [6]. C’est justement une partie de ce personnel que les soutiens à Yorgos Loukos voudraient entendre à la place des délégués syndicaux élus au conseil d’administration pour représenter l’ensemble des travailleurs et travailleuses. « Tous les travailleurs du Ballet de l’Opéra de Lyon, artistes, techniciennes, techniciens, ayant eu affaire, humainement et professionnellement, pendant des années, à Yorgos Loukos et étant encore parties prenantes dans cette belle maison, doivent pouvoir être consultés » et donc mettre en place une véritable décision horizontale et démocratique en lieu et place de l’enquête interne menée par le très rigide conseil d’administration qui on le sait fait toujours la part belle aux plus puissant.es. Et l’on aimerait ici que ce désir d’horizontalité de nos artistes chéri.es ne s’arrête pas à la défense d’un bon copain, à la dénonciation du poids trop important des syndiqué.es de l’opéra et embrasse le fonctionnement de l’ensemble de l’institution. On aimerait qu’une fois réintégré par le plein exercice de la démocratie et ses nécessités égalitaires, le grand Yorgos Loukos annonce sa volonté d’en finir avec les salaires de misères de ses technicien.nes qui pour certain.es gagnent à peine plus de 1300 euros pour 37 heures hebdomadaires, le voir alors défendre l’égalité de toutes et tous ses collaboratrices et collaborateurs, car il le sait sans doute, il n’y a pas d’exercice réel de la démocratie sans égalité réelle. Les grandes célébrités de gauche qui le soutiennent l’affirment d’ailleurs : Derrière la défense de l’artiste Yorgos Loukos, c’est un système politique dans ses principes qu’ils et elles veulent protéger, rappelant que « contrairement à ce qu’il nous est souvent dit, on a, en démocratie, tout à fait le droit de critiquer une décision de justice ». A ce panache dans la formule, on aurait bien ajouté, on a aussi en démocratie tout à fait le droit de défendre les opprimé.es et les personnes discriminées, dans la nôtre c’est juste souvent plus compliqué.
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info