Ces mythes qui nous rongent.

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Dans chaque civilisation se propage dans l’esprit des individus composant l’organisme social un mythe justifiant l’ordre existant. Ce mythe donne aux individus l’origine du monde, sa raison d’être et parfois ce vers quoi il tend. Il justifie la place de l’individu au sein de la société, conditionne ses actes et lui donne son rôle. Le mythe a pour fonction de répondre à la question : ’Pourquoi ?’, et de fournir ainsi une réponse facile à ceux qui s’interrogeraient sur le bien-fondé de l’organisation sociale. Le mythe porte en lui les valeurs de la force, de la volonté au sens de Schopenhauer, qui maintient une structure humaine en place.

Les mythes religieux et le pouvoir

Les religions sont un exemple de forces socialement structurantes. Le mythe religieux fait référence à un ou plusieurs dieux afin de justifier l’organisation sociale. Si nous remplaçons le mot ’Dieu’ par le mot ’Société’ dans les écrits religieux, ils n’en perdent pas de sens, bien au contraire. Il va de soi en effet que cette référence à un être supérieur et l’assiduité à suivre ses divines recommandations a pour conséquence réelle et perceptible une certaine organisation sociale, une certaine pratique de vie communautaire. Au moyen-âge par exemple, le mythe chrétien justifie totalement la structure de la société et le rôle de chacun : si les hommes travaillent dur et souffrent, c’est parce qu’ils ont commis un péché originel. Ils sont donc coupables d’exister. S’ils sont de bons travailleurs et restent fidèles aux valeurs du mythe chrétien en obéissant à Dieu (la société ) alors ils obtiendront le repos qu’ils désirent lorsqu’ils seront au Paradis, après leur mort bien entendu... Si le roi est roi, c’est que Dieu l’a voulu, que Dieu est ainsi et mort au blasphémateur qui oserait mettre en doute sa parole. La caste ecclésiastique trouve naturellement sa place à la fois dans le mythe qu’elle est chargée d’entretenir et dans l’organisation sociale dont ce mythe est l’image inversée. Certains sont les bergers, d’autres les moutons.

Il en va de même avec l’hindouisme. Les vies antérieures et la réincarnation justifient le système de castes qui sévit dans la société indienne et par lequel une minorité se prélasse dans le luxe alors qu’une majorité crève de faim, prête à vendre sa force de travail pour une bouchée de pain. Les rebuts du système mythico-social, les intouchables, sont naturellement beaucoup plus nombreux que les élites, et il faut bien qu’ils se battent entre eux pour tenter de satisfaire les désirs de la classe supérieure et se voir jeter leur récompense. Ceci parait-il injuste ? Le vice fondamental de ce système de castes ne nous apparait-il pas de façon flagrante ? D’un point de vue extérieur à l’hindouisme, celui-ci n’est-il pas une justification pour l’exploitation du plus grand nombre ? Heureusement, au regard du mythe, tout devient limpide, chacun est a sa place dans le meilleur des mondes.

Chez les Mayas, « l’élite était obsédée par le sang - le sien et celui des prisonniers - et le rite de la saignée constituait un important aspect de tout grand événement du calendrier maya. La saignée servait aussi à se concilier les dieux et au début du déclin de la civilisation maya, les chefs qui possédaient de vastes territoires couraient, disait-on, d’une ville à l’autre pratiquer ce rite pour sauver leur royaume en voie de perdition. La coutume voulait que les prisonniers, les esclaves, surtout les enfants et notamment les orphelins et les enfants illégitimes que l’on achetait spécialement pour l’occasion, soient offerts en sacrifice. » Cette croyance, pensée en termes d’avantages pratiques pour le pouvoir maya et de structuration sociale, prend beaucoup plus de sens.

Mythes du pouvoir et pouvoir du mythe

Il va de soi que tous ces mythes ne sont qu’un jeu de dupes permettant de ne pas se demander pourquoi celui-ci possède plus que celui-là, pourquoi un tel a plus de pouvoir que tel autre, pourquoi certains travaillent comme des bêtes toute leur vie alors que d’autres jouissent sans entrave. Ils apparaissent pour ceux qui y croient comme des nécessités absolues hors desquels aucune réalité n’est possible. Des rites sont associés à ces mythes. Ils sont répétés sans relâche par les individus. Ce faisant, la société répond sans cesse à la question qu’elle se pose elle-même : « Pourquoi j’existe ? Pourquoi je suis comme je suis ? ». Mais ces mythes sont bien plus que de simples mensonges que l’on se raconterait pour ne pas s’effrayer de la réalité nue. Ils se réifient et construisent dans l’environnement la justification de leur propre existence. La terre se couvre alors de symboles, d’églises, de statues, de totems, de drapeaux, de pyramides, dont l’omniprésence et l’existence attestent de la vérité des mythes qui en sont pourtant la cause. Ces symboles renversent dans les consciences le rapport de cause à effet liant les volontés de puissance, l’élaboration collective du mythe et finalement la création des symboles, semant ainsi la confusion, une induction fausse, une illusion mensongère, une vérité circulaire perpetuant la continuité du mythe dans la société.

Comme il est facile de voir ces croyances dans des sociétés différentes, lointaines ou passées. Et comme il semble pourtant difficile aux mêmes qui voient sans hésitation les avantages que le pouvoir tire de tels mythes, de prendre conscience du mythe dont ils sont eux-mêmes imprégnés. Il faut pourtant être bien naïf pour croire qu’il en est différemment dans notre civilisation actuelle ! Celle-ci possède un mythe aussi puissant que ceux des mayas. Nous baignons dans celui-ci en permanence, il a conditionné notre éducation, il est notre culture, nos références, nos concepts sociaux. Les éléments de ce mythe semblent tout à fait naturels pour beaucoup de gens, surtout chez la classe privilégiée bourgeoise mais aussi parmi les moins favorisés, qui sont aveuglés par leurs croyances culturelles au point qu’ils n’ont pas pleinement conscience que le système qui les entoure est une gigantesque machine à exploiter. Pourtant d’un point de vue extérieur à notre civilisation, cette machinerie est aussi grossière, aussi arbitraire, mystique, subjective et dénuée de fondements éthiques que peuvent nous paraître les mythes mayas ou hindouistes. Nos mythes modernes ne sont pas différents de ceux des autres civilisations dans leur fonction : leur but est le maintien du Pouvoir et des privilèges. Notre histoire est le mythe du Pouvoir. Les symboles patriotiques et les édifices républicains en sont la réification. Le suffrage universel est l’un de nos rites fondamentaux. Au sommet du panthéon des nouveaux dieux, ’démocratie’ , ’Etats-nations’ et ’capitalisme’ se tiennent immuables dans leur divine puissance. Leurs faces sont souriantes, leurs adeptes serviles, et de leurs autels jaillissent les larmes, la sueur et le sang des sacrifiés.

Artur

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