Maroc-Chaîne amazighe (berbère) : finie la comédie !

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L’accès à l’information, dans sa langue, est un droit pour toute personne. Au Maroc, il n’en est rien. Cela fait plusieurs années que les Berbères du Maroc revendiquent la création d’une chaîne berbère. En vain, malgré les éternelles promesses dilatoires.

L’accès à l’information, dans sa langue, est un droit pour toute personne. Au Maroc, il n’en est rien. Cela fait plusieurs années, en effet, que les Amazighs (Berbères) du Maroc revendiquent la création d’une chaîne amazighe. Les caisses de l’État sont vides, nous rabâche-t-on depuis des années. Mais parallèlement, plusieurs chaînes arabophones ont été créées dont une en cours (la chaîne parlementaire). Promesses non tenues et engagements non respectés sont les choses concrètes qu’ont vues les Amazighs.

Le ministre marocain de la Communication, M. Naciri, est celui qui pilote le projet de création de la chaîne amazighe. Mais c’est aussi celui qui, actuellement, excelle dans l’art de se moquer des Amazighs.
« Le gouvernement ne se dérobe nullement à cet engagement », « Il faut mettre l’accent sur la nécessité de mettre en place des chaînes de haut niveau », « le projet de la chaîne de télévision amazighe constitue une source de fierté pour l’ensemble des Marocains », « Il s’agit d’une question importante qui ne souffre aucune précipitation ou improvisation », « Nous nous emploierons, sous la supervision du Premier ministre, à réunir les fonds nécessaires à la concrétisation de ce projet dans les meilleurs délais », « Le processus de préparation du lancement de la chaîne de télévision amazighe suit son cours normal conformément aux normes juridiques en vigueur ».
Ce sont les réponses de M. Naciri à chaque fois qu’on l’interroge sur la progression du projet lié à la création de la chaîne amazighe. Ce sont surtout les balivernes que les Amazighs ont l’habitude d’entendre. Cela fait un moment qu’ils revendiquent la création d’une chaîne amazighe, si ce n’est plusieurs. Mais l’État marocain persiste dans sa politique d’arabisation. À part cette jolie mascarade politico-médiatique et du mépris au quotidien, les Amazighs, eux, n’ont toujours rien vu.

Au Maroc, demander la création d’une chaîne amazighe s’apparente à demander la lune. Qu’en sera-t-il de la constitutionnalisation de la langue amazighe ? L’avenir nous le dira. Toujours est-il que des millions de dirhams sont prêts à être débloqués quand il s’agit de créer des chaînes arabophones. Le temps, l’argent et les moyens humains sont disponibles. Par contre, quand il s’agit de répondre aux revendications des Amazighs concernant la médiatisation de leur culture, le makhzen [1] se parque immédiatement, prétextant des problèmes d’organisation ou de financement. Il n’ y a jamais d’argent, pas de personnel compétent mais par contre, la volonté est au rendez-vous, nous rassure-t-on ! Indépendamment du caractère mensonger et escroc de cette “politique”, il s’agit d’une énième insulte à la dignité des Amazighs. Car ces derniers ne demandent pas autre chose que le droit le plus légitime qu’est celui d’être informé. Dans sa langue et chez soi.

Quelles sont les raisons qui expliquent ce retard ? L’absence de volonté politique est la plus évidente. Mais c’est bien le racisme indubitable qui nourrit ce manque de volonté politique. À propos de la place de l’ amazighité dans l’audiovisuel marocain, des“ efforts” sont à noter. Soit. Mais ces progrès s’avèrent on ne peut plus minimes par rapport aux exigences des Amazighs. Les “efforts” dont parle incessamment le ministre marocain de la communication ne méritent aucun applaudissement quand on constate l’extrême lenteur de leur réalisation.

Dans le même temps, bizarrement, le régime marocain met les bouchées doubles quand il s’agit de promouvoir l’arabité dans les médias « marocains » et étrangers. À titre d’exemple, le Maroc était l’invité d’honneur du Festival des Médias arabes, qui a eu lieu en décembre 2007 au Caire. Le ministre marocain de la communication, toujours au rendez-vous, ne rate jamais une occasion de défendre ses programmes arabes. Ainsi, la SRNT et 2M se sont empressées de présenter plus de 40 programmes lors de cet évènement médiatique arabe.

Étrangement, il y a de l’argent pour produire feuilletons, courts-métrages, documentaires et émissions-débats arabes. En plus de faire leur promotion à l’étranger avec tous les frais qui vont avec. M. Naciri s’est d’ ailleurs réjoui de visiter ce si beau pays qu’est l’Égypte, « lié au Maroc par des relations très solides dans les différents domaines, y compris les médias, la culture et l’art ». Mais il ne reste plus de chèques dans le carnet quand il s’agit de mettre en avant la culture amazighe dans les médias. Deux poids deux mesures, traitement différentiel, injustice : appelez cela comme vous voulez. Il s’agit d’une discrimination tellement évidente qu’il n’est nul besoin d’employer d’autres termes. Les discours importuns ne font que la masquer discrètement.

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Khalid Naciri, ministre marocain de la Communication

M. Naciri, dans chacune de ses déclarations, tient toujours à préciser que « le gouvernement est décidé à poursuivre la réalisation des chantiers de réformes dans le secteur de la communication, dont l’intégration de la langue et de la culture amazighes dans le système médiatique national, conformément aux Hautes orientations royales contenues dans le discours royal du 17 octobre 2001 à Ajdir ». Au lieu de présenter l’historique des discours royaux, M. Naciri ferait bien de dresser le bilan de toutes ces années où le ministère de la communication a ignoré le message (très clair) d’ Ajdir.

Il a aussi pour habitude de rappeler « la création en 2006 d’une commission bipartite entre le ministère de la communication et l’institut royal de la culture amazighe (IRCAM) qui s’est attelée à l’élaboration d’une approche globale visant le renforcement de la position de la langue et de la culture amazighe dans l’audiovisuel public ». Sauf que M. Naciri ne se rend pas compte qu’il ne sert strictement à rien de le rappeler, étant donné qu’il s’agit d’une information connue de tout le monde ! Quand une personne est interrogée et qu’elle n’a rien à dire, un « Pas de commentaires » suffit. Inutile de parler pour rien dire.

À ce propos, le « pro de la com’ » ferait bien effectivement de tourner sept fois sa bouche avant de parler, comme on dit. Il a récemment fait une « gourde », et ce n’est certainement pas la dernière, en faisant part à une télévision arabe de « la disposition du Maroc pour le référendum » concernant la question du Sahara. Propos qu’il a immédiatement infirmé en disant qu’il avait affirmé, selon lui, que « le Maroc a une position saine sur le référendum » en accusant les médias algériens de désinformation. Les médias algériens ne sont pas parfaits. Certes. Ceci dit, il vaudrait mieux balayer devant sa porte avant de balayer devant celle des autres. Khalid Naciri, qui a été un temps journaliste, en sait quelque chose…En tout cas, des cours de communication s’imposent !

Loin d’être dupes, les Amazighs sont pleinement conscients que le projet de création d’une chaîne de TV ne se réalise pas à la hâte. Mais leur patience a des limites. Les Amazighs ne sont plus des chiens que le makhzen peut tenir en laisse. D’ ailleurs, ils ne se contentent pas de demander la création d’une chaîne amazighe tout court mais la création d’ un média amazigh libre, pour lequel travailleront des Amazighs et qui aura pour objectif de les informer et non de les mépriser. Les Amazighs ne paient pas cette fameuse taxe audiovisuelle pour regarder danser Tachinouite pendant que les gens dorment ou pour qu’on leur diffuse du Ahwach chaque dimanche. Ils ne paient pas pour subir du mépris et des insultes au quotidien. Et que M. Naciri le sache, les Amazighs ne supporteront plus ces atteintes à leur dignité. Ce ne sont pas quelques leçons de Tifinagh et quelques émissions sur Ahidus [2] qui vont redonner à la culture amazighe la place qu’elle mérite. Cette culture immémoriale ne saurait être réduite au folklore et aux motifs esthétiques de l’alphabet Tifinagh. Quand le Maroc sera démocratique, le journalisme existera et les Amazighs existeront également...A défaut, chaîne amazighe ou pas, répétons-le, Internet sera le véritable média des Amazighs.

Le makhzen est contraint, malgré lui, à favoriser la création et le développement d’une chaîne amazighe. Car s’il ne soutient pas ce projet, un jour, des investisseurs amazighs, depuis l’étranger, le feront à sa place et le régime sera incapable d’imposer sa censure. De plus, il en dépend aussi de l’image -tellement positive- du Maroc, pays officiellement démocratique. Peut-être que le makhzen craint de voir le taux d’ audience de la future chaîne amazighe grimper, se positionnant en véritable concurrent médiatique…Car les Marocains, nous l’ avons dit, ont soif d’ authenticité (voir ici) Téléfilms égyptiens, feuilletons sud-américains, films américains et européens ne figurent pas parmi leurs goûts principaux. En atteste un sondage réalisé par la Société Nationale de Radiodiffusion et de Télévision du Maroc (SNRT) même, sur son site web :

Parmi les différents types de films suivants, quels sont ceux que vous aimez le plus voir à la télévision ?

    • films français : 10%
    • films marocains : 51%
    • films égyptiens : 5%
    • films américains : 23%
    • films indiens : 11%

Tous les textes internationaux inscrivent la liberté d’accès à l’information. Même si elle n’a pas de caractère contraignant, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, votée en septembre 2007, se range du côté des Amazighs. L’article 16 stipule, en effet, que « les peuples autochtones ont le droit d’établir leurs propres médias dans leur propre langue ». Les Amazighs ont le droit de disposer de journaux, radios et TV amazighes. Mais ils ont en plus le droit « d’accéder à toutes les formes de médias non autochtones sans discrimination aucune ».

Il faut préciser que les médias, tous supports confondus, qu’ils soient locaux, nationaux, ou régionaux, sont financés par les Amazighs et que rares sont ceux qui cherchent à valoriser la culture marocaine, dans toute sa diversité. En parlant de diversité culturelle, le texte de l’ONU affirme que « les États prennent des mesures efficaces pour faire en sorte que les médias publics reflètent dûment la diversité culturelle autochtone ». Et, au Maroc, c’est loin d’être le cas. L’état marocain prend surtout des mesures efficaces pour détruire la culture amazighe. Ou en tout cas, la mettre à l’écart, sauf pendant les festivités. Evidemment.

Toujours est-il que les Amazighs attendent leur chaîne et ne supporteront plus ce mépris qu’alimentent des hommes comme M. Naciri ami très proche de son prédécesseur, M. BenAbdallah. « Créations de commissions », « réunions », séances photos et déclarations à la presse ne sont que des détails. Car ce sont des moments où les intervenants –nous le savons- sont plus invités à boire le thé plutôt que parler amazighité. Les Amazighs se moquent totalement de toutes ces harangues insignifiantes. Les Amazighs du Maroc exigent le lancement de leur chaîne amazighe sur-le-champ.

Car toutes les conditions pour la réalisation de ce projet existent. Seulement, la volonté politique, elle, se rechigne à être au rendez-vous.

Fatima Alahyan

P.-S.

Ndm, voir aussi
- Le sud-est marocain : une région berbère en colère  ;
- le rapport spécial du comité pour la protection des journalistes : « Un Maroc de façade ».

Notes

[1Al-Makhzen désignait autrefois au Maroc l’appareil étatique. Le terme est toujours utilisé pour désigner les aspects les plus traditionnels du fonctionnement de l’État au Maroc.

[2Ahidus} (pluriel ihudas) : danse accompagnée de chants dans la culture berbère.

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