Entrons en résistance

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Est-ce la fin du mouvement ? D’une certaine manière, on peut dire que le mouvement contre la réforme des retraites ressemble à un mégot de cigarette que certain(e)s essaient de rallumer ou de maintenir incandescent.

Mais revenons sur quelques points marquant de cette mobilisation « sans précédent ». Ce texte n’est que le reflet d’étudiants lambdas non encartés, mais mobilisés. Aussi, il n’est pas exhaustif, et ne détient aucune vérité, il est un appel à la réflexion et à la résistance (avec le prisme du profil sociologique étudiant).

Nous avons connu une semaine (au mois d’octobre) qualifiée et caractérisée par le terme « violence ». C’est un fait, la violence s’est exprimée par des jeunes et des moins jeunes voulant en découdre. Mais de la violence, il y en a également de la part du dispositif de pouvoir et de contrôle qui nous gouverne. Le mépris et l’autisme de ceux qui prétendent nous gouverner est un acte symboliquement violent. Refuser d’écouter ce que le peuple ou une bonne partie du peuple conteste et/ou propose, est un acte de déni démocratique.
Ces « casseurs », ou plutôt ces émeutiers (rappelons que l’étymologie d’émeute renvoie à émotion populaire), dont nous sommes solidaires ont exprimé de manière radicale un malaise latent d’une partie de la jeunesse. Depuis plusieurs années (une petite dizaine d’années au moins), les mouvements sociaux et universitaires se répètent, les jeunes descendent régulièrement dans la rue pour protester contre telle ou telle réforme. La rue comme moyen d’expression pacifique n’a plus l’effet escompté en Sarkozie. Nous pouvons être 3,5 millions, ou 5 millions, rien ne changera la politique fixée par le gouvernement. Néanmoins, les évènements du mois d’octobre semblent avoir ouvert une brèche dans l’engluement certain des mobilisations de ces dernières années. Il apparaît, que pour un certain nombre de jeunes, la réponse à ce mépris politique, soit la violence. Pourquoi ?

Issus des quartiers populaires, ou de la bourgeoisie estudiantine, le mépris est le même, mais à des degrés divers. La jeunesse n’a plus de place dans la société telle qu’elle est définie actuellement, et telle que le gouvernement et le parlement veulent la définir pour demain. Toute forme de créativité individuelle et collective est aseptisée par un dispositif coercitif et légal bien organisé : fermetures de squats, répression policière et étatique de la contestation des jeunes, parcellisation des réformes afin d’étouffer la contestation, criminilisation des actes de solidarité notamment avec les sans-papiers, privatisation de l’université, démantèlement du CNRS, restriction budgétaires dans l’éducation nationale, la santé, la justice... bref, dans tous les secteurs du service public ; augmentation du temps de cotisation, augmentation du prix de l’énergie, surveillance téléphonique de journalistes, fascisation de la société, stigmatisation de certains peuples, islamophobie, sécuritarisme, inscription dans la loi du « devoir de délation » etc...
Au programme pour demain : démantèlement de la sécurité sociale et de l’assurance maladie, augmentation des frais d’inscription à l’université, limitation de la rétroactivité des aides au logement...

Revenons sur une notion importante lorsqu’on s’esquisse à l’observation du politique : la place du sujet, c’est à dire la place du sujet politique. Le sujet est à la fois esclave et acteur. Esclave au sens d’assujettissement aux contraintes de la loi. Notons qu’aucun sujet n’émerge sans cette dépendance par rapport à la culture dans laquelle il naît. Autrement dit tout ce que nous entreprenons pour nous affranchir de cette subordination la présuppose. Ainsi, on peut dire que le sujet n’est pas seulement celui qui commande (acteur) mais aussi celui qui obéit. On a souvent tendance à considérer les choses de manière duale ; la domination vs la liberté, l’intérieur vs l’extérieur... Or le pouvoir n’est pas seulement ce qui s’oppose au sujet, mais également ce qui le constitue. En d’autres termes, il n’y a pas d’essence du pouvoir, mais des relations de pouvoir et des dispositifs de contrôle afin d’assurer ces relations. Il convient alors d’observer les modalités d’exercices de ces relations de pouvoir au travers des comportements individuels et collectifs, ou encore en observant les institutions. Apparaît alors l’esquisse d’un dessin architectural structurant le vivre ensemble, c’est à dire un croquis des dispositifs de contrôle du corps et de l’esprit.
Tout d’abord les dispositifs de contrôle du corps ont pour but de contrôler le sujet du berceau à l’entreprise, en passant par l’école ; dans le but de le surveiller, de le discipliner et éventuellement de le corriger. Ainsi cet ordre disciplinaire qu’on ne peut discuter est formé d’un ensemble de normes soumises de manière coercitive (à travers l’école, l’entreprise, la publicité, la télévision etc...) qui s’imposent d’autant plus facilement au sujet, car celui-ci les a intériorisé inconsciemment. Les normes, ou alors la normalité (c’est selon...) apparaissent donc comme un asservissement à la tyrannie de normes univoques. On peut alors observer un processus de dé-subjectivisation et de dé-singularisation exercé par un pouvoir qui pénètre à travers des systèmes d’interdits normatifs (campagne de santé publique sur la cigarette, le fait de manger 5 fruits et légumes par jour, ou encore de faire au moins 30 minutes de marche tous les jours etc...) l’inconscient du sujet, le réduisant à une sorte de clone se déplaçant dans une société lisse et policée.
Les dispositifs de contrôle de l’esprit passent en partie à travers le rôle de l’image et de la langue. L’image télévisuelle est présentée sous la forme d’une vérité absolue, on la voit et on l’écoute, mais on la regarde pas, elle ne laisse place à aucune subjectivisation. Elle est à l’état brut, elle est pure. L’image télévisuelle n’est pas une image, mais une illustration de propos journalistiques. La parole guide l’interprétation de l’image, et impose celle-ci comme l’illustration de ses propos. Elle est omniprésente, au début, pendant la diffusion et à la fin de la diffusion, aucun échappatoire possible. La parole utilisée, n’est pas langage mais langue. Le langage, que l’on peut considérer comme un corps en activité (avec des intonations, des respirations, une certaine rythmicité etc...) offre la possibilité de créer du sens (ce qui est déjà subversif en soi), la langue (qui n’est qu’un des aspect du langage) enferme les mots dans un sens précis, total, totalisant, totalitaire fermant le débat, déclamant la vérité pure, laissant possible aucune autre interprétation que celle véhiculée par ces « mots-menottes », dont la politique et les médias sont si friands. L’exemple le plus flagrant, est celui du terme « casseurs », qui enferme et stigmatise une révolte, un message politique et un acte politique dans une illustration télévisuelle, journalistique et politicienne que tout le monde connaît. L’image semble alors asservie à l’hégémonie de la parole tout en étant présentée comme la garantie de la vérité absolue ; c’est à dire l’unique vérité ; celle du dispositif de contrôle social.
Ce dispositif de contrôle social qui semble être tendancieux, pervers, sournois voire invisible parfois, porte en lui un caractère totalitaire. C’est à dire un dispositif qui conduit à un conformisme latent, tacite, généralisé, généralisant, univoque, uniforme, uniformisant ; mais celui-ci ôte tout désir et tout plaisir d’exister. Et c’est bien cette finalité qui est remise en cause aujourd’hui par la jeunesse.

Nous ne voulons pas travailler 41 ans, 42 ans, ni même 40 ans. Nous ne voulons pas travailler plus pour gagner plus ; nous voulons vivre. Quelles perspectives d’avenir nous propose-t-on ?
Étudiants en sciences humaines, tentant d’interroger le social, essayant d’observer la société, nous nous orientons de plus en plus vers un rejet total de ce que nous offre la société comme perspectives d’avenir. Nous avons des diplômes, nous sommes socialisés, nous travaillons pour payer nos études... bref le cheminement classique de l’étudiant diant diant en quête d’ascension sociale. Mais un écart persiste, un espace désinvesti par un certain nombre d’individus de notre génération. Un espace dépolitisé au sens politicien du terme, mais infiniment politique, qui semble échapper en partie au dispositif de pouvoir et de contrôle actuel. Cet écart, cet espace, ce pli, nous devons nous le réapproprier, nous devons même nous imposer cette réappropriation. Dans cet espace tout un champs d’expérimentations politiques (au sens du vivre ensemble, et des formes de contestation) est possible. Les émeutes ne sont pas des actes politiques nouveaux, néanmoins, ce qui est inédit dans notre contemporéanité, c’est cette solidarité latente qui était présente au mois d’octobre. Ce qui est nouveau également, c’est l’écoute d’une partie de la population comme ces commerçants avec qui nous avons échangé sur ces évènements (contrairement à ce qui a été montré, lorsqu’on discute avec eux, on sent que pour certains, les « casseurs » n’apparaissent pas uniquement comme des « casseurs », mais comme des individus exprimant une contestation politique, c’est à dire des émeutiers). Bien-sûr les médias ont tout fait pour criminaliser ces actes et certains jeunes se voient infliger des peines extrêmement lourdes pour une voiture cassée ou une vitrine brisée, alors que les individus détenant le pouvoir remettent sérieusement en cause le vivre-ensemble, ou plutôt détruisent peu à peu ce vivre-ensemble qui caractérise l’équilibre d’une société. Cela n’est-il pas plus important que quelques futilités matérielles ? Bien-sûr leur force est de créer cette relation de dépendance face aux besoins matériels. En d’autres termes et de façon un peu caricaturale le message délivré est le suivant : « consommez, nous on s’occupe du vivre ensemble, nous sommes élus pour ça ». Or ce vivre-ensemble ils le cassent, l’incendient...bref, ils le tuent. Face à cette situation, une brise de révolte s’est mise à caresser doucement le visage de notre cité classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, ses rue ont de nouveau respirer la colère, la révolte, la joie, la rage... c’est à dire « l’émotion-populaire ». Lyon s’est « émeutée ».
Beaucoup de jeunes ne condamnent pas ces actes d’émeutes. Ils ne les approuvent pas non plus, mais ils les comprennent, et les comprennent sensiblement, ils ressentent ce mépris dont la société leur fait part. Cette écoute, ou cette compréhension parfois, pose question, d’autant plus que ce processus d’écoute et/ou de compréhension, ainsi que ces actes d’émeutes se produisent régulièrement dans l’espace européen.

Il semble que les formes de contestations politiques soient en train de se redessiner. Or, il paraît évident que ce processus de renouvellement des formes de contestation amène à une réflexion sur une redéfinition du vivre-ensemble, qui illustre bien l’écart entre une jeunesse méprisée, oubliée, stigmatisée parce qu’elle refuse la docilité qui lui est imposée. En d’autres termes il s’agit de repenser le politique au sens « du politique » et non de « la politique ». Cette tension issue de cet espace qui met la jeunesse à l’écart du processus politique effraie les politiciens mais également les dirigeants syndicaux. Le dialogue apparaît alors être rompu de toute part.

Rappelons que l’unité syndicale est un outil et non une fin en soi. C’est un outil que tout individu mobilisé peut saisir. Mais la mobilisation ne peut ni se réduire, ni s’arrêter à cet outil. Les organisations syndicales et/ou politiques ont un rôle à jouer dans cette mobilisation, qui peu à peu se transforme en mouvement de résistance et de défi face au pouvoir. Mais n’attendons pas d’elles qu’elles investissent l’écart qui s’est créé et que nous devons investir. Organisons des actions en concertation (au sens de les informer en amont) avec elles (surtout si ces actions touchent le monde du travail), afin de garder le dialogue et les solidarités qui se sont créés en octobre.

Pourquoi prendre la parole ainsi, dans un texte diffusé à toute la presse alternative et non alternative ? Nous n’avons aucune idéologie, nous ne faisons parti d’aucun syndicat, d’aucune organisation politique, nous ressentons juste ce poids qui chaque jour nous enfonce encore un peu plus dans une société que nous n’avons pas choisie. Ce sont tous nos sens qui quelque part sont mobilisés, ce ras le bol général et généralisé qui ne nous offre aucune perspective d’avenir. Ce n’est pas en légiférant sur l’emploi des jeunes pour tenter d’atténuer la contestation de jeunes, que le problème disparaitra. Nous ne voulons plus de toutes ces lois qui font régresser nos possibilités d’expression. Nous ne voulons pas des formes de travail imposées par le néolibéralisme, le capitalisme, la social démocratie (ou n’importe quel autre qualificatif que vous jugerez bon de mettre derrière le terme « société »). Nous voulons nous exprimer, et nous exprimerons, et s’il le faut de manière radicale. L’oligarchie actuelle refuse de dialoguer avec la jeunesse, imposons-leur le dialogue. Ils pourront user de tous les outils répressifs légaux et illégaux qu’ils ont à leur disposition, nous continuerons. Nous voulons notre avenir, nous ne voulons pas d’un avenir aseptisé, contrôlé, détourné, manipulé et vide de sens.

Les formes traditionnelles d’organisations et de mobilisations apparaissent obsolètes. La brèche ouverte par les émeutes d’octobre en est une des illustrations les plus fortes. Continuons l’expérimentation de nouvelles formes de luttes en ne la réduisant pas uniquement à l’émeute, mais en diversifiant les types d’actions autour des blocages économiques. Résistons dans les universités, les lycées, les usines, les entreprises. Amenons le débat dans l’espace public, dans la rue, les café, les transports... Repeignons nos villes de nos désirs, exprimons notre colère, notre rage, afin que les dispositifs de pouvoir et de contrôle ne soient plus en mesure de les contenir. Le dialogue en démocratie est essentiel à l’équilibre des forces, et au maintien d’une paix sociale. Mais lorsque celui-ci est bafoué, désavoué, méprisé, ignoré, ce n’est pas nous « les preneurs d’otages », mais eux, cette oligarchie qui nous gouverne, ces individus qui prétendent être nos représentants, mais qui ne représentent que leurs propres intérêts, et ceux de leurs formations politiques. Ils voient mais ne regardent pas les réalités quotidiennes de ce mépris généralisé. Les comprennent-ils, au moins, ces réalités ? L’univers dans lequel ils vivent dicté par le pouvoir, l’ambition, la finance, la démagogie et l’idéologie stérile du néolibéralisme, semble les mettre à distance de ces réalités. Cet univers les amène à considérer l’individu comme un agent économique, et le collectif comme une masse salariale ou une masse de consommateurs... « travailler plus pour gagner plus pour consommer plus ».

On comprend bien l’enjeu de la période charnière que nous vivons. Bien plus qu’un enjeu social, le contexte actuel (et latent depuis quelques années) présente des enjeux sociétaux importants qui remettent gravement en cause le vivre-ensemble, cheminant tacitement mais certainement en une sorte de « vivre seul contre » et/ou « vivre chacun pour soi ». C’est dans ce contexte que nous appelons chaque individu mobilisé ou non, chaque groupe d’individus mobilisés ou non à ne pas céder une fois de plus, à ne pas arrêter lorsque l’État et le Gouvernement décident pour nous qu’il faut arrêter. Nous appelons donc tous les individus mobilisés ou non à s’organiser pour bloquer l’économie du pays, pour retrouver le droit à rêver d’une société autre, d’une société où notre avenir est une question de choix, et non une voie balisée par divers dispositifs de contrôle social . Nous voulons vivre et non gagner notre vie. Nous appelons donc tous les individus mobilisés ou non à exprimer leurs colères, leurs rages mais surtout leurs désirs de jouir des plaisirs de la vie.

« Lorsque dix personnes jettent des pierres sur les forces de l’ordre, c’est à dire sur la représentation physique et matérielle de la force coercitive du pouvoir et de l’Etat, c’est de la délinquance, lorsqu’il y en 3000 c’est une révolte. » X.

REVOLTONS NOUS, ENTRONS EN RESISTANCE

Des étudiants révoltés.

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