Grèce : Après huit semaines de lutte le mouvement continue…

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Cela fait huit semaines que le monde de l’enseignement en Grèce est en lutte. A présent nous comptons 280 facultés occupées sur les 420, quatre mobilisations nationales à Athènes et six décentralisées, des occupations des écoles secondaires, la grève du personnel universitaire qui dure déjà depuis trois semaines et trois jours de grève nationale dans plusieurs secteurs du monde du travail (entre autres les enseignants du primaire et secondaire). Cela ne semble pas encore se dégonfler, même pas après deux évènements qui ont complètement changé les données du mouvement : premièrement, le PASOK (parti socialiste grec) ne soutient plus le gouvernement dans sa volonté de réviser l’article 16 de la constitution et deuxièmement, le mardi 20 février le gouvernement a remis sur la table la loi cadre...

Résolution du nouvel an : Lutter pour l’enseignement public et gratuit pour tous !!

« L’année 2007 sera marquée dans l’histoire comme l’année du refus total de toutes les reformes qui ne vont pas dans le sens de l’enseignement gratuit et public pour tous et à tous les niveaux… », déclarait un syndicaliste étudiant.

Cependant, depuis déjà l’année 2006 il existe en Grèce un refus et une désobéissance à l’égard des autorités européennes et de leurs homologues nationales. En mai- juin 2006 il y a eu la lutte contre la loi cadre (plus des 90% des facultés ont été occupées pendant deux mois). En septembre il y a eu la grève des enseignants du primaire et du secondaire qui a duré presque trois mois, couplée par les occupations des écoles par les écoliers. Finalement entre octobre et novembre une nouvelle vague d’occupations et de manifestations a eu lieu, organisée par les étudiants universitaires suite aux déclarations du gouvernement qui veut réviser l’article 16 de la constitution et de l’éventuelle proposition d’une nouvelle loi-cadre qui avait été congelée en juin.

L’article 16 doit changer…

La cause principale des mobilisations c’était la révision de l’article 16 de la Constitution grecque. La constitution garantit un enseignement donné uniquement par l’état et gratuitement pour tous. La révision propose la création d’un marché de l’enseignement où l’état serait un fournisseur parmi d’autres fournisseurs privés. Ces ’fournisseurs’ fonctionneraient comme des associations sans but lucratif mais selon les standards du secteur privé (p.ex. responsabilisation du consommateur/étudiant via des minervals, accords avec des banques pour les prêts étudiants etc.). Selon le gouvernement, ces standards sont la voie de sortie des impasses que le système d’enseignement rencontre et à terme seraient adoptés par les universités de l’État.

Le soutien de la révision par le parti au gouvernement, Nea dimikratia, et le plus grand parti d’opposition, le Parti Socialiste (PASOK), rendait la situation très alarmante. Ensemble ils représentent plus de 90% des sièges au Parlement, ce qui est amplement suffisant pour une révision constitutionnelle qui requiert ¾ des voix. La révision paraissait un fait accompli.

Toutefois il y a deux semaines le PASOK a décidé de ne plus soutenir la révision. En faisant une manoeuvre politique G. Papandreou, le président du PASOK, propose un vote de censure au gouvernement. Il déclare que les révisions proposées par le gouvernement vont trop loin et que le PASOK ne soutient plus la procédure sans des élections anticipées. Suite à de longues discussions, les élections auront lieu normalement en 2008 mais la révision constitutionnelle est désormais remise à la prochaine législature puisque la majorité des ¾ a été perdue.

Devant cette manoeuvre, le mouvement parait soulagé mais aussi déchiré. Est-ce une victoire du mouvement, une victoire partielle ou un retrait stratégique du PASOK sous la pression du mouvement ? Indépendamment de l’interprétation, une chose est sûre, l’article 16 est largement considéré comme un obstacle à « l’amélioration » du système de l’enseignement, mais sera de nouveau mis à l’ordre du jour par l’un ou l’autre parti lors d’un prochain gouvernement. La révision est toujours possible … et les revendications du mouvement aussi. La lutte sera de longue haleine…

Pendant qu’ils congèlent l’article 16 ils réchauffent la loi-cadre…

Mardi 20 février, Marieta Yannakou [1] a remis sur la table la nouvelle loi cadre. Cette loi-cadre a été à la base du large mouvement étudiant de Mai-Juillet 2006. Ce mouvement qui avait poussé le gouvernement à la retirer. On dirait que le ministère a oublié ce qui s’était passé l’année passée et qu’il n’a pas eu assez avec les six semaines d’occupations, de manifestations et de grèves. Selon certaines analyses Yannakou profiterait du fait que le mouvement dure depuis longtemps et qu’il serait entrain de s’essouffler. Elle profite aussi des enjeux du mouvement et des occupations pour faire pression : faire peur aux étudiants qu’il ratent leur session d’examens de janvier-février et le semestre qui suit.

Cette « nouvelle » loi cadre touche à l’essence du système de l’enseignement. Elle veut mettre le système de l’enseignement sur les rails de Bologne. En voici les grandes lignes [2] :

- Révision de l’asile universitaire : Jusqu’à présent l’asile universitaire protège la libre circulation d’idées et la liberté de penser sur le campus universitaire. Il est interdit à tout représentant des forces de l’ordre d’être présent sauf invitation explicite par le Conseil du rectoral (CR) de l’université, où les étudiants ont plusieurs sièges. Ce dernier peut inviter les forces de l’ordre que s’il y a des actes criminels ou des atteintes à l’asile lui même sur le sol universitaire. Cette invitation est effectuée à l’unanimité du CR .

Selon la nouvelle loi-cadre l’asile universitaire défendrait les idées et la recherche mais aussi le droit au travail pour tous. Donc une grève ou une occupation pourraient être une atteinte contre l’asile et donc une raison pour que la police rentre sur le campus. Elle propose que l’asile universitaire soit limité seulement aux bâtiments où la recherche et l’enseignement sont accomplies et non sur tout le campus. A majorité simple le CR peut inviter les forces de l’ordre.

- Révision du financement et la gestion économique des établissements :
Aujourd’hui les établissements supérieurs font partie du Ministère de l’enseignement. Ils sont financés par celui-ci et administrés par des fonctionnaires qui lui sont directement liés. Il y a une indépendance sur la gestion et l’allocation des fonds, même s’ils sont toujours sous contrôle du Ministère.

La loi-cadre propose deux changements fondamentaux qui conduisent vers l’autonomisation du supérieur. Premièrement, la création du poste de « Secrétaire de l’établissement supérieur » qui assurerait la rationalisation des procédures et des finances de l’établissement. Il serait le gestionnaire économique de la faculté, un manager. Deuxièmement, le financement des établissements se ferait par appel à projets de quatre ans. Les établissements auraient ainsi un financement sur base d’un contrat avec le Ministère. Les critères principaux pour gagner le financement seraient de nature économique, la fiabilité du projet et l’établissement et l’application des reformes déjà introduites (p.ex. le ranking, le complément de diplôme etc.) par les établissements. La loi cadre encourage également les établissements supérieurs à rechercher des sources de financements alternatifs, soit chez les étudiants soit chez les entreprises.

- Introduction de l’aide financière aux étudiants : Aujourd’hui les étudiants ne reçoivent pas d’aide financière directement mais indirectement. L’Etat assure qu’ils ne paient ni minerval, ni les livres, ni la nourriture pour certains ni logement. Toutefois, la loi cadre propose l’introduction d’une aide financière qui serait « plus juste ». Cette aide serait des prêts. Il y en aurait certaines qui seraient attribuées directement par les établissements en retour des heures de travail des étudiants (à la bibliothèque, administration etc.) qui équivaudrait à la somme octroyée. D’autres auraient la forme de prêts bancaires qui seraient remboursés après les études.

- Plus d’un syllabus/livre/manuel : Jusqu’à présent tous les étudiants du supérieur recevaient gratuitement un livre de référence, sur la base duquel ils étaient examinés. Cette procédure a fréquemment soulevé la question du monopole au bénéfice des professeurs. Pour « briser » ce monopole la loi-cadre propose l’introduction d’une liste des plusieurs livres dont un, au choix, serait fourni gratuitement et les autres seraient payants.

- Limitation des années d’études : Suite à la réussite des examens d’entrée dans le supérieur les étudiants peuvent rester aux études les temps nécessaire pour les achever. Selon le Ministère c’est à cause de cette possibilité que nous trouvons au supérieur des « étudiants éternels ». La loi-cadre « veut mettre fin » à ce phénomène et donc met la limite suivante : 2v. Où « v » est la durée officielle des études. Ainsi, si la loi-cadre est votée, un étudiant dont les études durent minimum quatre pourra rester aux études maximum huit ans. Il est important de souligner que ceci est un point sur lequel le gouvernement a reculé puisque au mois de mai 2006 il proposait v + 2. Par ailleurs c’est la seule chose qui a changé depuis la première version.

Le président du syndicat des professeurs universitaires (POSDEP), L. Apekis, déclarait que « même s’ils essaient d’embellir la loi-cadre et de la faire passer comme si elle n’était pas le monstre de l’année passé, il n’ont pas réussi. Nous savons que la loi-cadre et la révision de l’article 16 sont deux phases du même mouvement, l’application du Processus de Bologne et des directives de Lisbonne. Nous savons aussi que la loi-cadre est même pire que la révision de l’article 16. La révision met en place les fondements de la privatisation, mais la loi-cadre privatise directement l’enseignement supérieur. C’est plus que jamais le moment de continuer la lutte !

Le mouvement est encore vivant....

Le mouvement commence à montrer de signes de fatigue. Le nombre des facultés occupées a diminué depuis la semaine passée. Aujourd’hui nous comptons 280 facultés occupées sur 420, par opposition aux 330 de la semaine passée.

Cependant dans la rue la situation est encore enthousiasmante. Chaque semaine lors des manifestations locales ou nationales nous rencontrons dans les rue une vraie marrée humaine. Le summum de la massification dans la rue nous l’avons vécue à Thessalonique le mardi 20 février et à Athènes le jeudi 22 février.

A Thessalonique le Comité de Coordinations du mouvement avait décidé d’occuper le centre ville toute la journée et organisé des concerts, des événements artistiques, des expositions et des projections. Plus des 8000 personnes étaient présentes.

À Athènes 35000 étudiants de toute la Grèce se trouvaient dans les rues lors de la manifestation nationale contre la loi-cadre et la révision de l’article 16. Lors de la rencontre du Comité National de Coordination du mouvement qui a suivi la manifestation il y avait 6000-7000 étudiants qui étaient présents et qui voulaient participer. Une première dans l’historie du mouvement.

Le mouvement passe et est dans un moment de crise. Les étudiants commencent à être fatigués et très soucieux de leur semestre et leurs examens qui risquent d’être perdus.
Les organisations syndicales proches du gouvernement, la DAP, utilisent cela pour créer une ambiance de peur pour désorienter les étudiants et arrêter le mouvement. Cette semaine est une semaine cruciale pour le mouvement. La remise sur la table de la loi-cadre donnera-t-elle un nouvel élan au mouvement ou au contraire marquera-t-elle la fin du mouvement et la première vraie défaite du mouvement et de la société ?. Le bras de fer entre enseignement et gouvernement continue…rien n’est jugé.

Entre temps le 26 février à Athènes il y a le blocage du centre ville avec des concerts et le jeudi 1 mars encore une manifestation nationale de tous les secteurs du système l’enseignement mais aussi des secteurs de l’industrie.

To be continued…

Notes

[1Ministre de l’enseignement

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  • Le 6 mars 2007 à 21:41, par Aris Oikonomou

    Le mouvement étudiant grec, qui dure depuis un an déjà, serait-il à sa fin ? La question est sur toutes les lèvres depuis que la ministre de l’enseignement, Marietta Yannakou, a annoncé que la loi-cadre serait votée au plus tard le jeudi 9 mars. Selon les journaux, les signes de fatigue sont évidents : plusieurs Assemblées Générales ont été perdues, plus des cent facultés ont arrêté les occupations et le nombre de personnes qui participent aux manifestations serait à la baisse. Toutefois le monde étudiant en lutte n’accepte pas l’enterrement facile de son mouvement.

    La fin de l’occupation n’est pas la fin de la lutte !!!

    « Il est vrai que beaucoup de facultés ont arrêté leur occupation, toutefois ceci ne signifie pas qu’elles arrêtent la lutte. C’est ce que la DAP [1]et le gouvernement veulent que les étudiants et leurs familles pensent. Cela fait partie de leur stratégie de démoralisation et désorientation du mouvement. La lutte continue, que les facultés soient ouvertes ou pas », déclarait un représentant étudiant hier.

    Aujourd’hui nous comptons 266 facultés occupées. Plus des cents facultés ont ouvert leurs portes depuis la semaine passée. Il est clair qu’il y a une baisse et que les étudiants en lutte le savent. C’était, selon eux, prévisible : « …après deux mois de lutte intensives, de débats incessants, de disputes entre groupes politiques, les féroces attaques de la DAP, la fatigue et l’usure allaient faire surface ». Par ailleurs, beaucoup d’étudiants votent contre les occupations que parce qu’ils ont peur de rater la session d’examens et le semestre de printemps-été, comme menace la DAP. Ces étudiants ne sont pas pour la loi-cadre pour autant.

    Dans tous les cas, ceci ne décourage pas les étudiants qui savent que la lutte ne se réduit pas à une occupation (même si cela la facilite). Aujourd’hui lors d’une réunion d’un Comité de Coordination d’une faculté occupée, un étudiant de la PKS, organisation syndicale proche du PCG, disait : « notre cause est juste. Nous nous battons pour l’enseignement public et gratuit pour tous. C’est dans la rue que nous l’aurons, c’est dans les manifestations, les blocages de rues, les tractages, les actions multiformes et pas uniquement dans les occupations. Croire que le mouvement étudiant se limite aux occupations c’est tuer le mouvement. C’est croire aux analyses limitées faites pas la télévision et la presse qui enterrent le mouvement seulement parce que le nombre de facs occupées baisse… ».

    Une raison de plus qui rassure les étudiants est que presque toutes les semaines chaque faculté a une ou deux Assemblées Générales (AG). Ainsi, une AG où gagne la proposition de la DAP peut être suivi d’une AG, la même semaine ou la suivante, où la proposition du Comité de Coordination (généralement un front de plusieurs groupes syndicaux) gagne. Le nombre des facultés occupées est fluctuant. Une baisse ne cache pas obligatoirement la mort du mouvement.


    Le vote de la loi-cadre, fin ou élargissement du mouvement ?

    La Ministre de l’Enseignement a déclaré ce week end que la loi-cadre passera par le Parlement cette semaine et qu’elle sera votée le jeudi 9 mars au plus tard. Selon certaines analyses, elle essaierait de profiter de la fatigue de deux mois de lutte étudiante pour passer la loi sans trop des réactions. Selon d’autres analyses, le Ministère de l’Enseignement s’en foutrait complètement du mouvement. Les pressions de la part de ceux qui on intérêt à ce que cette loi passe sont plus grandes que les pressions faites par le mouvement. D’autant plus que le gouvernement à été mis en échec dans sa volonté de réformer l’article 16. Au-delà du pourquoi, Yannakou veut le vote rapide de la loi cadre il évident qu’elle est décidée coûte que coûte.

    Devant cette urgence imposée aux étudiants par le Ministère de l’Enseignement et le Parlement, le mouvement répond de manière inattendue pour ceux au pouvoir. Les Comités de Coordination de facultés en lutte de Thessalonique et Athènes appellent à des occupations des bâtiments administratifs de l’université ; aux blocages des rues, des autoroutes, des voix ferrées ; à des actions locales et nationales ; à des manifestations locales mercredi et une nationale à Athènes ; à l’ouverture du mouvement aux travailleurs comme seul garant du succès de cette lutte.

    Aux côtés des étudiants, nous trouvons leurs professeurs. Leurs syndicat (POSDEP), après leur 8e congrès qui a eu lieu ce week end, a confirmé sa position que la loi cadre est « antidémocratique, inapplicable et anticonstitutionnelle » et pour cela ils continuent leur grève jusqu’à ce qu’elle soit retirée. Nous trouvons aussi le syndicat, OLME, des enseignants du primaire et du secondaire qui soutiennent les actions des étudiants et appellent à la grève le jeudi 9 mars. Nous trouvons aussi les organisations syndicales du personnel des universités, des travailleurs dans la construction, des employés, des fonctionnaires, des paysans (eux aussi en luttes depuis un mois) etc.

    Cela semble loin d’être fini. Le mouvement étudiant monte la pression et semble être soutenu par les travailleurs.

    Pour les jours après le vote de la loi-cadre, les divers comités de coordination et la POSDEP ont déjà déclaré que la lutte ne s’arrête pas. « En suivant la voie tracée par la jeunesse et les travailleurs en France dans la lutte contre le CPE, nous aussi allons continuer notre lutte même après que la loi cadre soit votée. Le mouvement anti-CPE a montré qu’il est possible qu’une loi votée puisse être retirée si le mouvement populaire le veut. Nous n’arrêterons pas devant ce monstre qu’ils ont créé. Nous élargirons notre lutte. Nous serons des milliers. Nous l’avons dit des le départ…une lutte, une lutte, une lutte de longue haleine est notre réponse à l’Ministre de l’enseignement ».

    Rien n’est fait, le bras de fer continue. La Grèce : une nouvelle France ou nouvelle Oaxaca ??

    To be continued…

    par Aris Oikonomou

    [1Organisation syndicale étudiante liée à la Nea Dimokratia (le parti de droite en Grèce et celui qui est au gouvernement)

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