Réquisition du parvis de l’Opéra de Lyon : « Faire avec ? »
Le hip-hop, mouvement culturel né dans les années 70, fût le moyen d’expression des habitants du Bronx, délaissés au chômage, à la pauvreté, aux guerres de gangs. Le rap, le graff, le Djing, la danse donnaient de la voix à ceux que nous n’écoutions pas. Le message de paix et de solidarité porté par les New-Yorkais eut un écho au-delà des frontières.
Aujourd’hui, chaque ville du monde a ses artistes hip-hop. Les danseurs représentent leurs cités lors de battles nationaux et internationaux.
Lyon rassemble ses danseurs sur le marbre du parvis de l’Opéra. Dès l’arrivée du hip-hop dans les années 80, les danseurs ont dû négocier durement avec les autorités leur lieu d’entraînement, propice à l’exécution de figures et de glissades propre au breakdance.
Désormais, institué comme le spot de la danse hip-hop et urbaine, l’Opéra est un rare lieu de mixité artistique et sociale.L’endroit a donné naissance à des stars internationales telles que Mourad Merzouki ou Lilou le champion du monde avec le célèbre Pokemon Crew. Ceux-ci se sont même produits sur la scène de l’Opéra de Lyon. La ville est devenue une capitale du breakdance.
Cependant, depuis quelques semaines, vous ne pouvez plus découvrir ces artistes sur le parvis de l’Opéra. Désormais, on y voit se développer un « entre-soi » social. Des barrières et des dispositifs de surveillance empêchent toute personne de s’approprier les lieux. L’espace public est aménagé comme un bar avec des tables, assurant certainement une meilleure rentabilité pour l’établissement !
Pendant 3 mois, l’art est dégagé de l’Opéra. Il est effacé au profit de la consommation. Il n’y a plus la spontanéité créative des danseurs, le hasard des rencontres avec les passants. Tout est prévu, acheté, consommé.
Pendant 3 mois, le parvis de l’Opéra est enlevé aux mains de ceux qui le font vivre, le temps de rappeler à ces artistes d’en bas qu’ils ne sont que tolérés, jamais respectés. Ils dansent dehors !
Nous demandons, avec cette tribune, le respect et la reconnaissance de l’institution envers ces artistes qu’elle abrite. Nous ne devons pas hésiter à faire exister notre voix par tous les moyens que nous possédons.
Les Bboys et Bgirls de l’Opéra
Suite à la réception de cette tribune, ont est partis à la rencontre de quelques habitués du parvis de l’Opéra, Mas Maz, Aline, Polo et d’autres. Pendant qu’ils nous racontaient leur lien avec ce lieu mythique du breakdance, touristes et bourgeois consommaient du jazz. A l’endroit même où les danseurs s’entraînent d’habitude. Comme un air de lutte des classes.
Polo
« Je danse depuis 2007, je fais partie du Tekken crew. Je danse dans des salles à Rillieux , à Vaulx-en-Velin dans des MJC ou des centres sociaux. L’Opéra c’est une place emblématique pour les danseurs. C’est là que le breakdance c’est fait connaître à Lyon et c’est aussi à cet endroit que les premiers crews ont percé à l’international comme le Pokémon crew. En s’entraînant là, on continue à transmettre le mouvement hip-hop dans leur lignée. C’est un point de rencontre aussi, on sait qu’on peut croiser des danseurs ou autres.
Cet été, ça va être compliqué de danser. On va trouver d’autres occupations, voir si il y a des créneaux dans les salles avant la fermeture des vacances d’été. Sinon en ville, c’est assez dur de s’entraîner, il n’y a pas beaucoup d’autres spots.
La mairie a fait déjà beaucoup de choses mais elle peut permettre à des jeunes d’avoir des places dans les salles. Elle a déjà mis à disposition l’amphithéâtre dans le cadre de l’Original festival ou pour les Nuits de Fourvière. On voudrait que la mairie fasse un peu plus d’efforts, histoire d’être libres et de gêner le moins de personnes.
Mas Maz
« Ça fait 10 ans que je viens danser ici. Et je fais aussi partie du Tekken crew.
On est la troisième génération de breakers à venir danser ici. Je viens de Pusignan et ce lieu est mythique, j’ai appris beaucoup de choses ici.
Les années d’avant, on avait quand même le droit d’être sur les côtés. Depuis, ils ont installé des scratchs au sol. Si on ne pose pas d’argent sur la table, personne ne va venir nous parler.
Nous, ce qu’on veut, c’est taper des battles et rencontrer des gens du monde entier. On cherche vraiment à ramener quelque chose de différent : l’énergie underground avec notre style, notre manière de vivre la danse. Pour ça, on a besoin du lieu pour s’inspirer et s’entraîner.
Maintenant que je ne peux plus aller à l’Opéra, je m’entraîne place Louis Pradel. Les flics viennent nous casser les couilles au moins trois fois dans la journée. Parce que les gens ne sont pas contents, que soit disant on fait du bruit, ou bien qu’on gène le passage.
On n’est pas officiels, mais ce que l’Opéra ne sait pas, c’est que le lieu est mythique. Pas parce qu’ils vendent des bouteilles d’eau à 5 €, mais parce que des gens viennent et tournent sur la tête, c’est un repère de talents. C’est ce qui c’est passé avec le Pokémon crew.
Il y a des jeunes qui ont envie de s’exprimer et c’est souvent leur seul moyen. Ce serait cool d’avoir un endroit où danser. On ne demande rien de fou, mais au moins un peu d’espace pour qu’on puisse s’entraîner. »
Aline
« Ce qui est énorme ici, c’est que c’est un lieu de rencontre. Quand on va à l’Opéra, on ne sait jamais qui on va y rencontrer. Il y a une centaine de danseurs mais aussi des capoeiristes, des jongleurs, des photographes, des rappeurs, des gens qui font de la salsa. C’est un mélange culturel de ouf. Il y a des jeunes qui viennent de la Duchère, de Vaulx-en-Velin, de Rillieux, c’est un lieu de mixité sociale qui est très rare en ville, et c’est aussi un lieu social ultra-légitime. Ce sont des choses qui ne peuvent arriver que dans des lieux comme celui-là. Et là on dévalorise complètement cette vision des choses. Regardez ceux qui sont attablés en terrasse, il y a une certaine homogénéité.
Ça fait plusieurs années qu’à partir du mois de juin, l’Opéra installe une terrasse sur le parvis pour des concerts de jazz. La terrasse est installée tout l’après-midi et le soir. L’après-midi, quand il n’y a ni concert ni événement, les barrières, les vigiles et des caméras de surveillance bouclent tout. Il n’y a plus moyen d’y accéder. Avant, on pouvait encore danser sur les côtés, mais comme ça les dérangeait pour leurs concerts, ils ont installé des barrières.
On nous empêche de danser, cette démarche n’est pas juste mais elle est aussi avant tout symbolique. Ça montre qu’au quotidien on n’est pas respectés, mais seulement tolérés. On ne nous demande pas notre avis pour savoir comment on pourrait placer un bar ici, on fait comme si on n’existait pas.
Il ne faut pas oublier que c’est un lieu public quand même. J’ai fait l’expérience une fois de m’asseoir à la table de la terrasse sans consommer : soit on consomme soit on gicle. C’est l’appropriation d’un espace public auquel on n’a plus accès.
Au départ, j’ai été moteur de cette initiative, j’en ai parlé autour de moi. L’objectif serait d’avoir un minimum de reconnaissance, une discussion avec les responsables de l’Opéra et de se sentir considérés comme habitants d’un lieu public. On n’est pas institutionnalisés mais c’est nous qui le faisons vivre, ce lieu. Sinon, ce ne serait qu’un lieu de passage.
On n’est pas un collectif, on n’est pas organisés, on est au début de quelque chose. C’est compliqué de mobiliser les gens. Ce sont tous des citoyens et il faut pouvoir leur donner conscience de ce qui ce passe et voir ce qu’il ont envie de faire ou pas. Ce ne doit pas être une décision personnelle mais collective.
L’idéal ce serait que lorsqu’il n’y a pas d’événements, on puisse virer quelques tables pour pouvoir danser et exercer notre art, tout simplement. »
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