Dans l’agitation provoquée par la mobilisation des étudiants, les débats et parfois les dissensions qui s’en sont suivies ne doivent pas nous faire perdre de vue l’essentiel. Notre opposition ne relève pas d’une opposition de principe, ni d’un retour au statu quo, mais elle s’appuie sur l’analyse de ce texte de loi qui met en évidence ses conséquences immédiates et futures. Nous avons apporté notre soutien aux étudiants dans cette logique car c’est leur voix qui s’est faite entendre et a permis d’exprimer le refus de cette loi. Il est important de faire la part des choses entre les désagréments pour les personnels causés par l’occupation la semaine dernière et les objectifs de cette mobilisation qui restent parfaitement légitimes.
ENSEIGNANTS-CHERCHEURS,
Votée en urgence cet été, la loi LRU a de quoi inquiéter la communauté universitaire. Dans son esprit, elle institutionnalise une vision de l’université où prédomine une logique marchande qui va à l’encontre des missions principales de construction et de transmission d’un savoir fondamental dont l’université est le supposé garant. Que ce soit pour l’enseignement ou la recherche, elle impose et généralise la compétition et la concurrence à tout les niveaux (entre étudiants, personnels, disciplines, composantes, filières, universités…).
L’ENSEIGNEMENT
La professionnalisation à tout prix amènera de facto l’exclusion et la disparition pure et simple de filières jugées « non rentables ». Les formations deviendront directement dépendantes des besoins immédiats des entreprises locales qui exerceront un droit de regard sur leurs contenus. La personnalisation des cursus menace directement la cohérence pédagogique, la possibilité de transmettre des savoirs fondamentaux et court le risque d’introduire davantage d’inégalités entre les étudiants.
LA RECHERCHE
La concurrence généralisée et le recours aux fonds privés, dont nous subissons déjà les conséquences au quotidien, remettent en cause l’activité de recherche, de plus en plus soumise à la compétition entre chercheurs et à la fusion incohérente d’unités de recherche. Le statut d’enseignant-chercheur est menacé par la division du travail (des chercheurs « publiants » et des enseignants aux services surchargés…), nos modes d’évaluation seront encore davantage basés sur des systèmes métriques absurdes et contestés (le fameux « classement Shanghai ») entraînant des stratégies de publications et des relations institutionnelles opportunistes, entravant l’échange interdisciplinaire.
LA DÉMOCRATIE UNIVERSITAIRE
Le président aura des pouvoirs de décision exorbitants, hors de tout contrôle (un CA aux ordres et des conseils seulement consultatifs). Il pourra ainsi décider du recrutement et du licenciement des personnels, ainsi que de l’attribution et du montant de leurs primes. Il pourra devenir le super-manager de l’université, et choisir d’engager des personnels en contrat de droit privé. Cette loi fragilise la démocratie universitaire en réduisant le nombre de personnes qui siègent dans les Conseils, et le nombre de personnalités extérieures (issues notamment du patronat et des collectivités locales) non élues et choisies par le président augmente considérablement en proportion.
AU-DELÀ DE CETTE LOI, L’AVENIR…
La loi LRU s’inscrit dans une logique de frénésie réformatrice, qui précarise les conditions de travail en obligeant les personnels à s’adapter en permanence à des changements brusques et imposés de manière autoritaire. Elle ouvrira les portes à d’autres chantiers engagés sans concertation, comme celui de la « refondation des Masters » et du « double tri » : sélection de filières « rentables », sélection des étudiants dès leur entrée en M1. Les évaluations des composantes et des équipes de recherche seront définitivement assujetties à la « performance » de leur formation et à l’ « impact factor » de leurs publications. Par la poursuite du désengagement financier de l’Etat, les universités seront amenées à augmenter les frais d’inscription pour assurer leur financement, renforçant les inégalités sociales dans l’accès à l’enseignement supérieur, comme ailleurs en Europe.
PERSONNELS BIATOS,
Notre situation actuelle pourrait considérablement se dégrader une fois cette loi mise en application :
en termes de maintien et d’amélioration des statuts des personnels titulaires
en termes de stabilisation et d’intégration pour les personnels précaires
en termes de conditions de vie et de travail.
STATUT DES PERSONNELS : GESTION, CARRIÈRES, PRÉCARITÉ
La possibilité de recruter des contrats en CDD et CDI sur des missions pérennes de service public remet en cause le principe même du statut de fonctionnaire. Non seulement les précaires, qui représentent actuellement 1/3 des personnels de Lyon 2 ne seront pas intégrés mais c’est l’accentuation de cette précarité qui est programmée. Pour preuve, aucune création d’emploi n’est prévue au budget 2008. La tendance au recrutement sans concours (pour le moment c’est le cas pour la catégorie C) est une voie ouverte à la généralisation pour les autres catégories. On peut penser que cette « année blanche » sera le prétexte à favoriser le recrutement d’emplois de catégories A en CDI par les présidents. Le droit de veto des présidents en terme de mutation remet en cause des prérogatives des Commissions paritaires académiques et nationales. C’est de fait, une attaque contre les instances paritaires des personnels…
GESTION LOCALE ET RÉMUNÉRATION AU MÉRITE
La loi développe l’individualisation des primes et permet la mise en place d’un dispositif d’intéressement. De ce fait, un personnel ayant le même grade avec la même ancienneté percevra un revenu différent. La procédure d’évaluation permettant déjà des évolutions de carrières TGV pour les uns et tortillards pour les autres. Cela aboutit à l’individualisation des salaires, favorise le clientélisme par le développement des primes au mérite. A ce jeu-là les perdants sont beaucoup plus nombreux que les gagnants. D’ailleurs, la possibilité de rachat des jours épargne temps proposé dans la précipitation par le gouvernement aux fonctionnaires est scandaleux car ce sont les personnels eux-mêmes qui en vendant leurs jours de congés augmentent leurs salaires.
GOUVERNANCE
La composition du nouveau CA - on passe d’un CA à 60 membres à un de 20 ou 30 membres - réduit particulièrement la représentation démocratique des étudiants et des personnels BIATOS (on passe de 7 élus à 3) au détriment des personnalités extérieures. Le président n’est plus élu par la communauté réunie en Congrès des 3 Conseils, mais par les membres (enseignants, étudiants, personnels) élus au CA. Par ailleurs, le mode de scrutin favorise la liste majoritaire qui rafle d’office 50% des sièges au détriment d’un équilibre représentatif des autres sensibilités.
Il faut ajouter, pour compléter le tableau, que cette loi est le socle d’une série importante de décrets qui seront publiés dans les semaines et mois à venir et qui toucheront encore plus directement nos conditions de vie et de travail.
Pour résister à cette logique qui transformera en profondeur et pour longtemps la mission essentielle des Universités et qui dégradera encore davantage les conditions et les relations de travail des personnels, il faut :
− Exiger le maintien et le renforcement de l’engagement de l’Etat dans le financement de l’enseignement supérieur et de la recherche publique
− S’opposer à la frénésie réformatrice dont ni les constats ni les solutions n’ont fait l’objet d’une réelle concertation
− Refuser l’application fataliste d’une loi qui institutionnalise un darwinisme académique
− Remettre en cause l’inégalité de traitement entre Universités et Grandes Écoles
− Faire reconnaître les inquiétudes légitimes exprimées par le mouvement étudiant
− Imposer l’ouverture d’Etats Généraux des Universités
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