Récit d’un prisonnier du centre de détention de Bourg en Bresse

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Voici un témoignage d’un prisonnier incarcéré actuellement au centre de détention de Bourg en Bresse.
Il parle de la misère que font les surveillants aux prisonniers qu’ils ont dans le collimateur. Il raconte comment, suite à une projection en cours de promenade pour laquelle ils n’ont pu sanctionner personne, l’AP l’a déclassé [1] puis lui a refusé systématiquement ses demandes de permissions et de libération conditionnelle.
Il parle également d’un prisonnier soupçonné d’avoir ramené du cannabis après un parloir, mais que les matons n’ont pas pu coincer, et qu’ils ont tabassé puis jeté au mitard. Récit de résistances quotidiennes, et de la répression qui les accompagne mais ne les étouffe pas.

Récit de la banalité insupportable de l’enfermement, pour en finir avec toutes les prisons.

Les embrouilles qu’ils m’ont fait c’est suite à un truc qui s’est passé en cours de promenade. C’était un matin, il y avait du monde, on était plusieurs. Et il y a eu un mouvement, il y a eu des projections [2]. Ils ont cru que c’était moi qui avait récupéré la projection.
Ils m’ont amené direct au mitard de force, j’ai dit que c’était pas moi et ils ne voulaient rien savoir, seulement trois jours après ils m’ont fait passer au prétoire [3], et là t’es devant eux tu t’expliques, ils regardent les caméras, et à ce moment là ils ont vu que je n’avais rien à voir dans cette histoire.

En fait la personne n’était pas identifiable parce qu’elle s’était dissimulée.
Les chefs voulaient que quelqu’un paye sur ce coup là, et dès que je suis revenu en bâtiment, on m’a dit que j’étais déclassé. J’ai demandé pourquoi, j’ai lu leurs raisons, et c’est pas valable, ils peuvent pas me déclasser par rapport à un truc qui s’est passé en promenade. Le chef m’a dit “ben on fait comme on veut”, en gros je te fais payer.
Ils ont utilisé ce truc, qui était sur le rapport, alors que quand je suis sorti du mitard j’ai eu une levée de prévention, c’est à dire qu’ils n’avaient rien contre moi parce qu’il y avait un vice de forme, ils ont dû annuler toute l’histoire.
Et après ils m’ont fait chier, par exemple ils m’ont refusé les permissions de sortie que j’ai demandées, pour des motifs à la con, ils m’ont dit que ça ne faisait pas deux mois que j’étais sorti du mitard. Normalement tu dois attendre un mois, mais là ils me l’ont refusée pour ce motif. La fois suivante, deux mois après [4], ils me l’ont encore refusée parce qu’ils ont dit que c’était une commission où ils disaient combien de RPS [5] j’avais et que je pouvais pas faire une demande de perm’ en même temps. Après je me suis renseigné, ça n’a rien à voir !
Tous ces papiers je les ai gardés, même si ça sert à rien.

Là, ça fait 6 mois que j’attends pour ma demande de conditionnelle, pour rien !
Il y a deux mois de ça je suis passé devant ma SPIP [6], elle m’a dit qu’elle allait me faire passer en commission pour le bracelet, ça fait un an que je suis prêt au niveau des dossiers, j’ai tout ce qu’il faut !
J’attends, et puis elle me dit que non finalement elle va me faire passer à la prochaine commission. Et là ils m’ont refait pareil, ils repoussent encore et encore.
C’est pareil pour plein de gens, ils repoussent tellement qu’à la fin ça sert à rien.
C’est un peu compliqué tous ces trucs, mais en fait le bracelet ça vaut le coup s’il te reste une longue peine. Mais s’il te reste seulement quelques mois, le temps qu’ils fassent leurs dossiers, que tu leur donnes les papiers etc, ça vaut même plus le coup, tu sors libérable et voilà.
Parce que quand t’es dehors avec un bracelet c’est des contraintes super fortes, par exemple faut que t’ailles bosser et si t’arrives en retard ils peuvent te remettre dedans pour ce simple fait, il y a un tas de trucs super stressants. _ T’as pas de liberté dans ces conditions, au moindre truc faut les appeler pour leur dire qu’il y a ci ou ça, que tu vas être en retard, s’il y a un bouchon ou quoi, c’est la vie quoi ! Mais la non, ça sonne à la maison, la police vient te chercher et tu finis en prison ! En fait ça va vite.
Par exemple moi j’avais trouvé un patron il y a un an, mais eux ils nous font poireauter, ben au bout d’un moment ça tient plus, il n’y a plus de patron et voilà.
Ils ont leurs têtes, et puis ça tient aussi aux juges d’application des peines.
Mais bon en général c’est la merde, la réinsertion on la fait tout seuls. Moi j’avais ce qu’il faut pour une conditionnelle, mais je sortirai à fond de peine, et voilà.

Là dernièrement, ils m’ont mis en régime fermé [7] sous le prétexte que j’avais menacé un surveillant. Ils m’ont laissé trois semaines en régime fermé, et j’ai aussi fait 8 jours de mitard pour cette histoire. Après le mitard, ils m’ont remis en régime fermé ! On était à deux en cellule, et à un moment ils nous ont dit que le sport avait été supprimé. Franchement, quand on a appris ça avec mon collègue on a foutu le bordel, et ça a eu des résultats. Ils nous ont fait sortir du régime fermé, ils nous ont remis en détention ordinaire. Des fois quand tu fous le bordel ils te cabossent, mais des fois ça paye. Ils prennent la température, ils veulent voir si t’es vraiment énervé ou pas. Alors j’ai fini par retourner en détention mais du coup on voit que ça tient pas la route cette histoire de menace de surveillant, parce que dans leur logique, si tu as fait ça, ils ne te remettent pas avec le même.

Et là, encore tout récemment, il y a eu plusieurs fois des serrures qui ont été bouchées. Entre chaque aile dans les bâtiments, il y a des grilles de séparation, avec des serrures. Elles ont été bloquées, elles ne pouvaient plus servir. Nous on était en promenade, et quand on est remontés les surveillants nous ont bloqués dans des boxes minuscules où on était entassés, ils ne voulaient pas nous laisser repartir parce qu’il y avait eu ce sabotage des portes. Des gens ont commencé à gueuler, taper dans la porte pour sortir. Et peu de temps après, ils ont pris des personnes, et direct ils les ont amenés en régime fermé.

Sinon, il y a aussi des choses à dire par rapport à ce qui se passe ici.
Il y a de gros problèmes au niveau des fouilles qu’ils font aux moments des parloirs. En fait ils disent qu’il arrêtent les fouilles [8], mais c’est pas vrai, elles sont de pire en pire.
Les fouilles, ils les font vraiment comme ils veulent. Il y a deux boxes, ils sont deux, ils te font passer un par un, à poil, ils te font tourner. Des fois il y a eu des altercations avec des gens, parfois pour rien, des gens se font taper, c’est arrivé à plusieurs détenus.
C’est arrivé par exemple à un ami à moi, et ça plein de gens l’ont vu. C’était il y a deux mois environ. Ça se passait au moment de la fouille, donc après le parloir.
Ils ont pensé qu’il avait quelque chose, lui disait qu’il n’avait rien, donc ils ont appelé leurs collègues, leurs renforts là, comme ils font tout le temps. Et là ils ont voulu mettre leurs mains là où ils n’ont pas à le faire, et c’est parti en cacahuètes. Ils ont tapé une alarme et ils sont venus à 15, 20, ça va vite !
Après ils sont sensés faire une fouille avec un brigadier, un chef, et après ils l’ont monté au mitard, pour le fouiller là bas. Et là ils ont vu qu’il n’avait rien, ils l’ont tapé, tapé et tapé, et ils l’ont laissé 10 jours là bas. Il faut préciser qu’au mitard il n’y a pas de chauffage, et que quand il est sorti il avait encore des traces de coups. Le médecin est passé vite fait mais mon pote ne voulait pas le voir, et lui n’a pas insisté.
A la fin il n’y a rien eu, pas de suite, rien.

Après, c’est tout le temps pareil, les surveillants profitent de leur pouvoir. Par exemple maintenant il y a une nouvelle loi qui dit que dans les cellules de mitard il y a un allume cigare, pour qu’on ait du feu. Ben ils nous mettent dans une cellule où il n’y en a pas, alors qu’à côté il y en une dans laquelle ils pourraient nous mettre, mais non.
Mon pote est sorti du mitard, il continue à croiser les surveillants qui lui ont cassé la tête, ils ne se parlent pas trop, mais ça va pas plus loin. En fait ils savent aussi qu’ils ont fait une “petite boulette”. Ça se passe souvent comme ça, le mitard est en haut, il n’y a pas de caméras, c’est tranquille pour eux.
Quand ça s’est passé il y avait des gens autour qui l’ont vu mais qui n’ont rien fait, et même lui, il lui reste 6 mois à faire, et il va pas faire de vagues autour de ça.
En fait il y a plein de gens qui sont dans cette situation ou qui ont vécu un truc comme ça. Je connais quelqu’un d’autre, qui a porté plainte, pareil pour une histoire de fouille suite à un parloir, ils ont pensé qu’il avait un truc, ils ont fait une sale fouille. Mais il n’y a eu aucune suite à cette plainte !

Après il y a aussi des histoires au niveau du sport. C’est les mêmes moniteurs de sport qui se partagent entre la maison d’arrêt et le centre de détention, ils changent les horaires super souvent, ça fait que plein de fois on n’a pas sport. Ça parait tout con mais quand t’a rien à foutre de la journée ce moment tu l’attends vraiment.
Aussi ici il y a une surveillante qui est mauvaise comme tout. Elle a vraiment fait des problèmes à plein de détenus, une quarantaine. Plein de gens ont fait des courriers à la direction en relatant sa manière de se comporter, pour qu’elle parte, mais ils s’en foutent, elle est là et voilà.

Il y a un climat assez raciste, des surveillants qui ont leurs têtes, certains qui jouent beaucoup le rapport de force. Au début quand on connait pas la prison, on essaye de pas faire trop de bruit, mais en fait plus on est gentils, plus ils nous mettent au mitard, ils veulent qu’on marche comme des moutons !
Par contre plus on leur fait des crises et plus ils nous laissent tranquilles. En gros il vaut mieux qu’ils te craignent.

un prisonnier

Notes

[1Le déclassement est le fait d’empêcher un prisonnier d’accéder aux ateliers de travail ou formations en détention. C’est une punition de l’Administration Pénitentiaire.

[2Les projections, c’est faire passer au delà des murs d’enceintes des objets à destination des prisonniers. C’est interdit, les personnes qui se font attraper en lançant des projections de l’extérieur peuvent être poursuivies en justice pour ce fait, les prisonniers qui se font attraper en récupérant des projections peuvent être poursuivis, à divers degrés, par l’AP.

[3Commission disciplinaire, tribunal interne à la prison qui sert à juger les prisonniers pour les “petites affaires”.

[4Même si la permission est refusée, il faut attendre un certain délai, le temps que la prochaine commission se réunisse, pour faire une nouvelle demande, ce qui rend toutes ces démarches très fastidieuses et longues.

[5Selon des savants calculs, chaque détenu bénéficie de remises de peines automatiques, c’est à dire qu’un certain nombre de jours par mois sont décomptés systématiquement de la peine prononcée. Mais cela peut être supprimé si le prisonnier n’a pas eu le comportement attendu par l’administration pénitentiaire.

[6Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, travailleurs sociaux de la prison, qui des dires de nombreux prisonniers ne servent à rien, mais devant lesquels il faut quand même jouer le jeu de la réinsertion pour ne pas se faire mettre des bâtons dans les roues.

[7En centre de détention, les cellules sont théoriquement ouvertes en journée. Mais dans son art de manier la carotte et le bâton, l’administration pénitentiaire a mis en place des régimes ouverts et fermés, où elle confine des prisonniers (enfermés en cellule toute la journée) selon sa volonté, pour les punir et les isoler. Ceci vient s’ajouter à d’autres punitions comme le confinement, le mitard, l’isolement, etc.

[8Jugées dégradantes, humiliantes ou attentatoires à la dignité humaine, les fouilles intégrales systématiques ont été interdites depuis la loi pénitentiaire de novembre 2009. De fait, elles sont régulièrement pratiquées, soit de manière aléatoire sur quelques prisonniers histoires de mettre la pression à tout le monde, soit de manière généralisée pour une période de trois mois reconductibles quand les surveillants trouvent sur un prisonnier un objet illicite (selon leur règlementation) après un parloir. Plusieurs prisonniers ont fait des recours en justice à ce sujet, et ces fouilles peuvent être des moments de forte tensions entre prisonniers et surveillants.

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