Avant-propos
Cet article parle des mouvements anti-fascistes récents ayant eu lieu suite notamment à l’ouverture d’un local ouvertement néo-nazi, local qui depuis a été fermé.
La nébuleuse extrême-droite
En effet, en dehors des boneheads et de quelques nationalistes acharnés, la plupart des formations de l’extrême-droite radicale ont compris la necessité de se montrer sous un jour plus enviable. Par exemple les identitaires ont su couper les ponts, du moins en apparence, avec certaines de leurs pratiques particulièrement choquantes (violence physique, salut hitlérien, racisme et anti-sémitisme forcené). Ils prônent la sauvegarde des « identités régionales », principe fourre-tout, certes, mais toujours plus attrayant que de déclarer ouverte la chasse aux immigrés. Ils jouent ainsi sur les mots revendiquant « la défense de la laïcité », « la résistance contre l’islamisme » et même « la défense de la liberté d’expression », l’on vient sur ce dernier point de leur laisser un immense boulevard ou ils pourront, toute légitimité apparente, insister la dessus (j’y reviendrais)…
Le préjugé du sens commun considère l’extrême-droite comme la famille politique la plus à même de produire, en dehors de la famille marxiste, de l’idéologie. Or comme le souligne Jean-Yves Camus [2] « l’imaginaire de l’extrême-droite est fait avant tout de ‘visions du mondes’, d’images fugaces arrivant en gerbes et qui dessinent un univers intellectuel dans lequel l’attitude et le style importent finalement davantage que la cohérence [3] ». Or à ce jeu là les identitaires sont plutôt doués, de même que Casa Pound [4] par exemple, squat fasciste ouvert en 2007 à Rome copiant ouvertement la réussite des centres sociaux gauchistes, ou encore le mouvement des autonomes nationalistes allemands [5] qui brouillent les cartes en récupérant les codes vestimentaires et les symboles des black-blocs (défilant derrière des banderoles dénonçant le capitalisme, ils ressemblent beaucoup à ceux dont ils usurpent les codes). Ce qui veut dire qu’en terme de visibilité dans l’espace public, ils apparaissent à beaucoup comme étant tout sauf nazis, c’est une donnée non négligeable. Alors certes un parallèle peut être dressé entre les nazis et les identitaires par exemple, mais l’on ne peut les réduire à cela.
L’aspirateur idéologique comme tremplin
Songeons maintenant, cette fois en nous tournant vers l’extrême-droite parlementaire, à Le Pen [6] qui, le 1er mai 2010, oubliant qu’il avait autrefois été ultra-libéral et chantre de Reagan, défendit soudainement le pouvoir d’achat, la protection sociale et les retraites. Ou même à Soral se disant de "la droite des idées mais de la gauche des valeurs" [7]… Cette prétention à se prétendre ni de droite ni de gauche repose grandement sur cette certitude qu’il y a là un « coup » à jouer, sur le constat que les forces de gauche ont perdu leur capacité à porter les aspirations de changement et que le sentiment de révolte partagé par une fraction croissante de la population peut très bien se conjuguer avec les simplistes discours anti-système de l’extrême-droite. Le danger est donc là, non pas comme l’imaginaire collectif nous l’intime, à savoir par une soudaine prise de pouvoir par les héritiers du fascisme, mais plutôt dans la conquête progressive de l’hégémonie intellectuelle dans les sociétés civiles. Ainsi donc, le nazisme serait un faux ennemi ou, tout du moins, resterait cantonné à quelques sphères locales très peu influentes. Dans ses cahiers de prison, le théoricien marxiste Gramsci écrivait que l’Etat se protège par un « système de casemates (appareils d’Etat de contrôle, culture, information, écoles, formes de la tradition) qui excluent la possibilité d’une stratégie d’assaut, puisqu’elles doivent être conquises une à la fois. C’est pourquoi une guerre de positions est nécessaire, c’est-à-dire une stratégie dirigée à la conquête des différents et successifs niveaux de la société civile ». La prise du pouvoir passant par un coup d’état est donc à proscrire. Mais si prise de pouvoir il y a, ce sera par contre sur le terrain de la récupération idéologique. Ce qui nous amène au sujet de la liberté d’expression.
La liberté d’interdire la liberté
Rappelons avant tout que cette dernière, comme pendant de la liberté de conscience, est un produit occidental s’opposant au dogme établi, à savoir celui de la monarchie absolue (crime de lèse-majesté) et celui de la religion (blasphème). C’était bien souvent la première étape vers la démocratie, un premier vrai contre-pouvoir en somme. Il est significatif qu’elle soit la première des libertés supprimées par les régimes autoritaires. Cependant, comme dans le cas qui nous intéresse, la liberté d’expression peut effectivement provoquer des crimes, à caractère raciste par exemple, qui n’auraient peut-être pas eu lieu sans elle. Il apparaît ainsi dangereux qu’une société tolère qu’on diffuse des appels au meurtre de musulmans dans ses rues. On peut aussi très bien imaginer que les paroles influent sur la pensée et qu’elles poussent les esprits faibles dans certaines directions : Socrate n’a-t-il pas été condamné à mort pour « corruption de la jeunesse » ? Considérer également que les paroles ne font pas de mal, c’est s’aveugler au sujet de ce qu’un mal peut être : il n’y a pas que le mal physique qui constitue un crime, mais également le mal moral. Que la calomnie puisse être relayée par la presse est ainsi problématique. Ce faisant, la liberté d’expression pose problème, car elle existe principalement pour contrer l’arbitraire du pouvoir, or, si on choisit de la limiter, ce sera nécessairement le pouvoir qui la limitera. Aussi il me semble difficile d’encourager une telle limitation, car ce serait comme rendre le plein pouvoir à la puissance en place. Le constat se pose d’emblée, ou bien on défend la liberté d’expression jusqu’au bout, ou on ne la défend pas du tout [8]. Alors certes, il est nécessaire de lutter contre toutes les formes de racismes, mais cette nécessitée doit elle passer par un arsenal juridique limitant la parole ? Si telle était le cas, au nom de quelle morale cette mesure se verrait justifier ? Est t’elle juste ?
Se libérer de l’ordre de liberté
Pas aussi simple d’y répondre car un autre facteur, et de taille, rentre en jeu. Comme je le disais plus haut, l’extrême-droite, en tant qu’aspirateur idéologique, est en train de s’accaparer le thème de la liberté d’expression en la vidant de son contenu tout en en faisant une valeur absolue, son cheval de bataille en quelque sorte. Il est clair que cette liberté d’expression, sous sa soi-disante valeur humaniste et progressiste, ne doit s’appliquer pour eux que de manière unilatérale. Car il est à craindre qu’une fois acquise entre leurs mains, elle puisse servir à enterrer d’autres points de vue, à mieux censurer les contres-idées. Elle serait donc biaisée car découlant d’un rapport de soumission. C’est surtout partant de ce point que les antifa souhaitent interdire la liberté d’expression. Arguant, à juste titre, qu’il s’agit de "la liberté du renard dans le poulailler". C’est cette conception de liberté qu’il nous faut remettre en cause, en mettant l’accent sur ses contraintes héritées qui pèsent sur nous. "Car il est clair que critiquer la répression institutionnelle ou para-étatique n’a de sens que si l’on s’en sert aussi pour critiquer l’idée de liberté. Non pas en arguant qu’elle serait fausse du fait de l’existence conjointe d’une répression, mais au contraire en montrant qu’elle n’a de sens que dans un contexte de pression et quelle est alors sa fonction." [9] On le voit bien ici, cette conception de la liberté est en réalité plus nocive que productive. Mais vouloir interdire cette liberté à usage verticale, bien qu’étant logique en apparence, passe automatiquement par un accaparement puis un usage inverse de celle-ci ! Ouroboros par excellence : on a peur qu’ils puissent nous interdire la parole alors on interdit la leur ! Dit autrement : à quoi sert la critique même de l’idée de pouvoir si, dans un même temps, on s’en empare ? Dans ce cas ne nous faudrait-il pas, non pas interdire la liberté d’expression, mais la reconsidérer à usage horizontale ? Cela passe par la démystification de cette liberté qui, en réalité, n’est autre qu’une "soumission consentie dans un cadre de soumission forcée" [10]. Mais il ne faut pas perdre de vue que la lutte à mener doit surtout contrer la soumission, pas uniquement l’idée de liberté toute relative qui en découle. Je n’ai pas de solution miracle, mais je persiste à croire que l’interdiction n’en est pas une.
Une victoire à la Pyrrhus
Face à cette question d’importance, je ne peux que vous laisser seul juge devant les conséquences liées à l’interdiction de cette "fausse liberté d’expression"qui en découlent : songeons un instant, dans notre société du spectacle, au spectateur qui serait amener à s’interroger devant tout cela. Il verrait, de prime abord, d’un côté une force dite d’extrême gauche, héritière de valeurs ancestrales telle que la liberté d’expression et d’émancipation du rôle étatique (dans le cas qui nous intéresse), et de l’autre une force dite d’extrême droite qui, toujours au premier abord, est vue comme porteuse de valeurs haineuses et autoritaristes. Dans un second plan maintenant, ce même spectateur peut voir l’extrême-gauche désireuse de couper la parole à l’extrême-droite en passant par l’aide de l’état, il verra ensuite cette même extrême-droite clamer haut et fort le droit à la liberté d’expression, invoquant une trahison étatique. Il y a donc, en terme de visibilité, inversion des rôles. La déformation médiatique aidant, le spectateur éprouvera alors presque automatiquement une certaine sympathie pour l’extrême-droite, et une antipathie certaine pour une extrême-gauche qu’il qualifiera d’hypocrite. Pour être concret cela veut dire que malgré nous, nous sommes en train d’aider l’extrême-droite-nébuleuse à s’implanter dans les esprits en la présentant sous un jour plus enviable. Elle-même se dégagant médiatiquement de son corpus le plus radical. Il y a donc urgence, il nous faut renverser la vapeur, mais par quels moyens ?
Vers l’émergence d’une "refl-action" anti-fasciste ?
Propositions : le but (éradication de la menace fasciste des groupuscules radicaux d’extrême-droite) doit n’être qu’un ADJUVENT à un but plus global et prioritaire visant à repérer puis à affronter sur le terrain idéologique les récupérations de l’extrême-droite-nébuleuse, et même de la classe politique en générale, des thèmes rascistes, xénophobes, populistes, démagogiques, (etc) sous couvent de propos « politiquement correct ». Ce n’est pas évident car Sarkozy n’effectue pas tout les matins en se rasant un salut hitlérien devant son miroir. C’est pourtant là que le danger est le plus grand, c’est-à-dire là où il est le plus subtil, le plus indécelable. Le fascisme ostentatoire est plus facile à combattre car plus visible, mais le fascisme à visage humain est plus sournois, plus insidieux et nous ne disposons pas d’armes pour le combattre. Car les moyens mis en place pour le combattre ne doivent pas rentrer en contradiction avec nos revendications usuelles, vouloir interdire une expression est non seulement hypocrite de notre part, mais de plus contre-productif car faisant le lit de l’extrême-droite-humaniste (sic). Je ne nie pas le danger potentiel des groupuscules néo-nazis, je pense juste que ce danger n’est pas prioritaire. A ce titre les antifas, en tant que force physique, sont nécessaires, mais uniquement d’un point de vue défensif. L’attaque doit se jouer sur le terrain idéologique, or à ce sujet le mouvement antifa manque cruellement de moyens de communications permettant une diffusion massive de pensées critiques. Dire d’une quelconque formation politique qu’elle est raciste et discriminatoire peut constituer une certaine vérité, ne dire que cela passe pour un mensonge ou un manque de discernement.
"La liberté de tout dire n’a d’ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. Quand il est permis de tout dire, la vérité parle d’elle-même et son triomphe est assuré." [11]
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