« Si tu veux être heureux, nom de dieu !
Pends ton propriétaire,
Coupe les curés en deux, nom de dieu !
Fous les églises par terre.. »
Chanté par Ravachol avant de passer sur l’échafaud...
François Koënigstein-Ravachol est né le 14 octobre 1859 à Saint-Chamond et mort guillotiné le 11 juillet 1892 à Montbrison.
Déclaration de Ravachol
Ce texte clair, que Ravachol avait écrit pour son procès à Montbrison, le 21 juin 1892, est devenu une référence. D’ailleurs, au bout de quelques paroles, les juges lui ont interdit de le déclamer. [1]
Si je prends la parole, ce n’est pas pour me défendre des actes dont on m’accuse, car seule la société, qui par son organisation met les hommes en lutte continuelle les uns contre les autres, est responsable.
En effet, ne voit-on pas aujourd’hui dans toutes les classes et dans toutes les fonctions des personnes qui désirent, je ne dirai pas la mort, parce que cela sonne mal à l’oreille, mais le malheur de leurs semblables, si cela peut leur procurer des avantages. Exemple : un patron ne fait-il pas des vœux pour voir un concurrent disparaître ; tous les commerçants en général ne voudraient-ils pas, et cela réciproquement, être seuls à jouir des avantages que peut rapporter ce genre d’occupations ? L’ouvrier sans emploi ne souhaite-t-il pas, pour obtenir du travail, que pour un motif quelconque celui qui est occupé soit rejeté de l’atelier ? Eh bien, dans une société où de pareils faits se produisent on n’a pas à être surpris des actes dans le genre de ceux qu’on me reproche, qui ne sont que la conséquence logique de la lutte pour l’existence que se font les hommes qui, pour vivre, sont obligés d’employer toute espèce de moyen.
Et, puisque chacun est pour soi, celui qui est dans la nécessité n’en est-il pas réduit a penser :
« Eh bien, puisqu’il en est ainsi, je n’ai pas à hésiter, lorsque j’ai faim, à employer les moyens qui sont à ma disposition, au risque de faire des victimes ! Les patrons, lorsqu’ils renvoient des ouvriers, s’inquiètent-ils s’ils vont mourir de faim ? Tous ceux qui ont du superflu s’occupent-ils s’il y a des gens qui manquent des choses nécessaires ? »
Il y en a bien quelques-uns qui donnent des secours, mais ils sont impuissants à soulager tous ceux qui sont dans la nécessité et qui mourront prématurément par suite des privations de toutes sortes, ou volontairement par les suicides de tous genres pour mettre fin à une existence misérable et ne pas avoir à supporter les rigueurs de la faim, les hontes et les humiliations sans nombre, et sans espoir de les voir finir. Ainsi ils ont la famille Hayem et le femme Souhain qui a donné la mort à ses enfants pour ne pas les voir plus longtemps souffrir, et toutes les femmes qui, dans la crainte de ne pas pouvoir nourrir un enfant, n’hésitent pas à compromettre leur santé et leur vie en détruisant dans leur sein le fruit de leurs amours. Et toutes ces choses se passent au milieu de l’abondance de toutes espèces de produits ! On comprendrait que cela ait lieu dans un pays où les produits sont rares, où il y a la famine.
Mais en France, où règne l’abondance, où les boucheries sont bondées de viande, les boulangeries de pain, où les vêtements, la chaussure sont entassés dans les magasins, où il y a des logements inoccupés !
Comment admettre que tout est bien dans la société, quand le contraire se voit d’une façon aussi claire ?
Il y a bien des gens qui plaindront toutes ces victimes, mais qui vous diront qu’ils n’y peuvent rien.
Que chacun se débrouille comme il peut !
Que peut-il faire celui qui manque du nécessaire en travaillant, s’il vient à chômer ? Il n’a qu’à se laisser mourir de faim. Alors on jettera quelques paroles de pitié sur son cadavre.
C’est ce que j’ai voulu laisser à d’autres. J’ai préféré me faire contrebandier, faux monnayeur, voleur, meurtrier et assassin. J’aurais pu mendier : c’est dégradant et lâche et c’est même puni par vos lois qui font un délit de la misère. Si tous les nécessiteux, au lieu d’attendre, prenaient où il y a et par n’importe quel moyen, les satisfaits comprendraient peut-être plus vite qu’il y a danger à vouloir consacrer l’état social actuel, où l’inquiétude est permanente et la vie menacée à chaque instant.
On finira sans doute plus vite par comprendre que les anarchistes ont raison lorsqu’ils disent que pour avoir la tranquillité morale et physique, il faut détruire les causes qui engendrent les crimes et les criminels : ce n’est pas en supprimant celui qui, plutôt que de mourir d’une mort lente par suite des privations qu’il a eues et aurait à supporter, sans espoir de les voir finir, préfère, s’il a un peu d’énergie, prendre violemment ce qui peut lui assurer le bien-être, même au risque de sa mort qui ne peut être qu’un terme à ses souffrances.
Voilà pourquoi j’ai commis les actes que l’on me reproche et qui ne sont que la conséquence logique de l’état barbare d’une société qui ne fait qu’augmenter le nombre de ses victimes par la rigueur de ses lois qui sévissent contre les effets sans jamais toucher aux causes ; on dit qu’il faut être cruel pour donner la mort à son semblable, mais ceux qui parlent ainsi ne voient pas qu’on ne s’y résout que pour l’éviter soi-même.
De même, vous, messieurs les jurés, qui, sans doute, allez me condamner à la peine de mort, parce que vous croirez que c’est une nécessité et que ma disparition sera une satisfaction pour vous qui avez horreur de voir couler le sang humain, mais qui, lorsque vous croirez qu’il sera utile de le verser pour assurer la sécurité de votre existence, n’hésiterez pas plus que moi à le faire, avec cette différence que vous le ferez sans courir aucun danger, tandis que, au contraire, moi j’agissais aux risque et péril de ma liberté et de ma vie.
Eh bien, messieurs, il n’y a plus de criminels à juger, mais les causes du crime a détruire. En créant les articles du Code, les législateurs ont oublié qu’ils n’attaquaient pas les causes mais simplement les effets, et qu’alors ils ne détruisaient aucunement le crime ; en vérité, les causes existant, toujours les effets en découleront. Toujours il y aura des criminels, car aujourd’hui vous en détruisez un, demain il y en aura dix qui naîtront.
Que faut-il alors ? Détruire la misère, ce germe de crime, en assurant à chacun la satisfaction de tous les besoins ! Et combien cela est facile à réaliser ! Il suffirait d’établir la société sur de nouvelles bases où tout serait en commun, et où chacun, produisant selon ses aptitudes et ses forces, pourrait consommer selon ses besoins.
Alors on ne verra plus des gens comme l’ermite de Notre-Dame-de-Grâce et autres mendier un métal dont ils deviennent les esclaves et les victimes ! On ne verra plus les femmes céder leurs appas, comme une vulgaire marchandise, en échange de ce même métal qui nous empêche bien souvent de reconnaître si l’affection est vraiment sincère. On ne verra plus des hommes comme Pranzini, Prado, Berland, Anastay et autres qui, toujours pour avoir de ce métal, en arrivent à donner la mort ! Cela démontre clairement que la cause de tous les crimes est toujours la même et qu’il faut vraiment être insensé pour ne pas la voir.
Oui, je le répète : c’est la société qui fait les criminels, et vous jurés, au lieu de les frapper, vous devriez employer votre intelligence et vos forces à transformer la société. Du coup, vous supprimeriez tous les crimes ; et votre œuvre, en s’attaquant aux causes, serait plus grande et plus féconde que n’est votre justice qui s’amoindrit à punir les effets.
Je ne suis qu’un ouvrier sans instruction ; mais parce que j’ai vécu l’existence des miséreux, je sens mieux qu’un riche bourgeois l’iniquité de vos lois répressives. Où prenez-vous le droit de tuer ou d’enfermer un homme qui, mis sur terre avec la nécessité de vivre, s’est vu dans la nécessité de prendre ce dont il manquait pour se nourrir ? J’ai travaillé pour vivre et faire vivre les miens ; tant que ni moi ni les miens n’avons pas trop souffert, je suis resté ce que vous appelez honnête. Puis le travail a manqué, et avec le chômage est venue la faim. C’est alors que cette grande loi de la nature, cette voix impérieuse qui n’admet pas de réplique, l’instinct de la conservation, me poussa à commettre certains des crimes et délits que vous me reprochez et dont je reconnais être l’auteur.
Jugez-moi, messieurs les jurés, mais si vous m’avez compris, en me jugeant jugez tous les malheureux dont la misère, alliée à la fierté naturelle, a fait des criminels, et dont la richesse, dont l’aisance même aurait fait des honnêtes gens !
Une société intelligente en aurait fait des gens comme tout le monde !
Ravachol
Ses jeunes années misèreuses à Saint Chamond
Le 14 Octobre 1859, François Koënigstein-Ravachol naît à Saint Chamond. Sa mère, Marie Ravachol est native du pays, son père Jan Koenigstein est Hollandais, émigré dans le Forez un an plus tôt. Parmi les aieux du jeune Ravachol, on peut noter Henri et Louis Koënigstein qui appartenaient à une bande de dangereux brigands, les « Bokkenrijders » ou « Chevaliers du bouc », pendus pour vols et meurtres en Hollande vers 1750. Sa mère était moulinière en soie, et son père était lamineur aux Forges d’Isieux. Celui-ci était violent avec elle et l’abandonna avec quatre enfants, dont le plus jeune avait trois mois. Il s’en alla dans son pays, mais comme il était atteint d’une maladie de poitrine, il succomba au bout d’un an.
Le petit François a été élevé en nourrice jusqu’à l’âge de trois ans et placé à l’hospice jusqu’à l’âge de six ou sept ans. Dès huit ans, pour rapporter un peu d’argent à sa mère, il se met à travailler comme berger dans les monts du Pilat, où les hivers furent rudes, puis chez des paysans à s’occuper des bêtes, et chez des entrepreneurs des environs, à faire des fuseaux, trier le charbon, tourner la roue d’un cordier, frapper des rivets. Le salaire et les conditions de travail sont misérables. Ensuite, il se fait exploiter dans l’industrie du secteur, la teinturerie, au sein de la maison Puteau et Richard, à Saint Chamond, comme apprenti pendant trois ans, où on le frustre en refusant de lui délivrer les "secrets" du métier.
L’ouvrier militant
Devenu ouvrier teinturier, quand il a seize ans, il se fait embaucher dans différents établissements de teinturerie de Saint Chamond et Saint Etienne, où il gagne un salaire de misère. Les conditions de travail étant très pénibles et refusant les injustices sociales, il se fait renvoyer plusieurs fois pour avoir fait remarquer que la législation n’était pas appliquée ou pour avoir fait la grève avec d’autres ouvriers.
Il a un gros chagrin lorsqu’il perd une de ses soeurs. Lors d’une grève, il décide, avec un de ses collègues, de partir de nuit à pied à Lyon. Harassé, à Grigny, après un casse-croûte au café de la tour, il prend le train pour Perrache. A Lyon, tous les deux se font embaucher au noir dans une teinturerie de soie située montée de la Butte. Comme leurs collègues de Saint Chamond n’ont rien obtenu après la grève, ne voulant pas céder à la volonté des patrons, ils décident de rester sur Lyon et trouvent un autre boulot, toujours au noir, à la maison Coron, rue Godefroy, une teinturerie en couleurs du quartier Morand.
Mais l’emploi au noir cela ne fonctionne pas longtemps, et sans travail, François retourne chez sa mère. Là, il est très déçu que son amour de jeunesse, une fille de Saint Chamond, qui venait même le voir à Lyon, décide de se marier avec le fils de son patron. Malgré sa peine, il fait tout pour se faire embaucher et trouve un job de manoeuvre dans la métallurgie, puis dans une teinturerie de sa ville natale, où il a déjà la réputation d’être prompt à la bagarre et de ne pas vouloir se laisser marcher sur les pieds. Ensuite il a dû faire maison sur maison à cause du manque de travail, revenant trois fois de suite dans la teinturerie Vindrey.
L’anarchiste
A 18 ans, suite à la lecture du livre d’Eugène Sue, Le juif errant et de l’écoute d’une conférence de Paule Minck, il laisse complètement tomber la religion. Puis il assiste à une conférence donnée à Saint-Chamond, par Charles Chabert, membre de la première Internationale, et Léonie Rouzade, collectiviste, ce qui lui ouvre alors de nouveaux horizons. Il entre dans un cercle d’études sociales qui se forme dans la ville. Il rencontre Toussaint Bordat, Faure et d’autres qui l’aident à clarifier sa pensée. Il prend contact avec Louise Michel. Il lit des quotidiens et des brochures anarchistes, collectivistes, des apologies de la commune de Paris de 1871. Il opte alors de façon ferme pour l’anarchie.
Il fait passer des notes à ses amis ouvriers. Il écrit quelques chansons révolutionnaires, participe à des émeutes. Il a une soif d’apprendre, et suit des cours du soir de calcul et de chimie. Il tente avec beaucoup de mal de faire des explosifs, de la dynamite. Il est arrêté une première fois, pour avoir donné du vitriol, puis relâché. Chez Vindrey, où il travaille avec son frère, François Ravachol est renvoyé, ainsi que son frère, par son patron en raison de ses opinions, ayant appris que c’est un anarchiste : « il m’avait pris le pain, j’aurais dû lui prendre la vie ». A partir de ce moment-là sa réputation est faite, et il lui est pratiquement impossible de retrouver du travail sur Saint Chamond. Cependant il doit faire vivre à la maison sa mère, son frère, sa sœur et son neveu, qui vient de naître.
Mandrin
Pour nourrir sa famille, il pratique le braconnage, le vol de volaille, et avec son frère il récupère les déchets de charbons. Ils finissent par tous déménager à Saint Étienne, où là il retrouve du travail ainsi que son frère. Il apprend à jouer de l’accordéon et il va faire danser les jeunes stéphanois dans les bals du dimanche, car le travail reste très épisodique et on ne voulut pas de lui dans les mines de Saint Étienne.
A la manière du célèbre Mandrin il devient contrebandier, en transportant par le tram ou à pied, de l’alcool dans des appareils en cahoutchouc qui prennent la forme du corps. Il se lie avec une femme mariée, Bénédicte, ce qui lui vaut des relations conflictuelles avec sa mère, qu’il chérissait auparavant. Mais une maîtresse cela coûte et la contrebande diminuant, il se fait faussaire et l’idée du vol en grand lui vînt à l’esprit.
En mai 1891, Ravachol profane la tombe de la baronne de Rochetaillée récemment inhumée à St Jean Bonnefond dans l’espoir, déçu, de dérober quelques bijoux, puis il cambriole la maison d’un riche commerçant stéphanois. Mais c’est l’affaire du meurtre de l’ermite qui allait défrayer la chronique.
L’ermite étouffé
Jacques Brunet, homme d’église alors âgé de 96 ans vivait en ermite dans le hameau de Notre Dame de Grâce sur la commune de Chambles.
Une rumeur qui s’avéra exacte disait qu’il possédait une petite fortune cachée dans sa modeste maison. Le 18 Juin 1891 Ravachol lui rend visite en escaladant l’ermitage et l’étouffe en lui mettant un mouchoir dans la gorge, avant de s’emparer du magot, estimé à 25.000 francs, caché partout dans la maison.
Il revient à Saint Etienne mais sa description est indiquée par un cocher aux enquêteurs, car il fait plusieurs allers-retours. Le 27 juin il est arrêté non sans mal par le commissaire Teychené, il se met à vociférer qu’il va « exterminer toute la police pour rendre service à l’humanité ». Les mains enchainées, Ravachol parvient pourtant à s’enfuir au détour d’un chemin ! Suite à cette invraisemblable évasion, son signalement est télégraphié à toutes les polices de France pendant qu’il se planque tranquillement chez un ami à Saint Étienne dans le quartier de Monthieu.
Dans l’histoire de l’activisme anarchiste, Ravachol reste une référence, mais le meurtre de l’ermite de Chambles entâche son image et avait déclenché à l’époque des débats passionnés. Dans un meeting à Saint Étienne le 28 décembre 1891, Sébastien Faure regretta que le meurtre du vieil ermite par Ravachol jetait la déconsidération sur le mouvement.
La fuite chez des amis anarchistes
Peu de temps après, un message écrit par Ravachol fût retrouvé dans une veste abandonnée à Lyon à la gare de Perrache. Il annonçait son désir de mettre fin à ses jours pour « ne pas servir de jouet à la police bourgeoise ».
Quelques jours plus tard, à Saint Etienne, Mme Marcon, 76 ans et sa fille qui tenaient un petit commerce de quincaillerie étaient découvertes assassinées à coups de marteau. Ses crimes rappelèrent le double meurtre à la hache d’Izieux cinq ans plus tôt, les victimes étaient Marie-Jean Rivollier et sa servante Françoise Fradel. Les soupçons se portèrent à nouveau sur Ravachol, mais il ne reconnut jamais ces crimes qu’on ne peut pas réellement lui imputer.
Le "suicidé de Lyon" est bien vivant. Mais alors qu’on veut coller sur le dos de Ravachol d’autres crimes, en fait il s’est réfugié en Espagne à Barcelone et vit avec un autre anarchiste stéphanois, Paul Bernard, condamné par contumace à Montbrison. Celui ci passe son temps avec d’autres, notamment Scharrini et Hugas soupçonnés dans un attentat sanglant à Paris, à fabriquer des bombes. Se sachant menacé par la police espagnole, Ravachol regagne la France et Paris tandis que certains de ses complices dans le recel de l’argent de l’ermite de Chambles sont condamnés aux travaux forcés.
Les attentats parisiens
Ravachol apparut à Saint-Denis en juillet 1891. Il se nomme désormais Léon Léger et mitonne dans ses « marmites » ce qu’il appelle « la mort aux rats pour bourgeois ». Il y a en effet des choses qui le révoltent, comme la répression destinée aux communards, qui dure depuis l’insurrection de la Commune de Paris de 1871 [2], mais aussi deux évènements : l’affaire de Fourmies et l’affaire de Clichy. Le 1er mai 1891, à Fourmies, une manifestation se déroule pour obtenir les journées de travail de huit heures, des affrontements ont lieu, les agents de la Police tirent sur la foule, cela se solde par neuf morts, dont des femmes et des enfants, parmi les manifestants. Et le même jour, à Clichy, dans un défilé où prennent part des anarchistes, des incidents graves éclatent, et trois anarchistes, Decamps, Dardare, et Léveillé, sont amenés au commissariat, ils y sont interrogés, et violentés avec coups et blessures. Un procès s’ensuit, où ce sont eux trois qui sont accusés d’avoir tiré sur des policiers ! Deux des trois anarchistes sont condamnés à des peines de prison ferme. Cette affaire a beaucoup ébranlé les milieux libertaires.
Pour venger les compagnons anarchistes condamnés, Ravachol songe d’abord, avec ses amis, à faire sauter le commissariat de Clichy et le 7 mars 1892, les voilà qui emportent une marmite chargée d’une cinquantaine de cartouches de dynamite et de débris de fer en guise de mitraille ; mais le projet avorte en raison des difficultés d’approche. Ils décident alors de s’attaquer, le 11 mars, au conseiller Benoît qui présida les assises lors de la condamnation de Decamps et Dardare. Ce juge Benoît habite au 136, boulevard Saint Germain à Paris. Ravachol dépose la marmite au 2e étage et allume la mèche. La projection de mitraille fit d’effrayant ravages, mais il n’y eut toutefois qu’un seul blessé.
La police sur les dents finit par arrêter Chaumartin et Simon Charles, et d’autres complices de Ravachol, le 17 mars. Quant à Ravachol, il put déménager à temps et alla habiter Saint-Mandé. Il réplique alors le 27 mars en faisant sauter l’immeuble du substitut Bulot, le procureur qui avait requis la peine de mort au cours de ce même procès, demeurant au 39, rue de Clichy. Ravachol abandonne sur le palier une valise contenant un engin qu’il bourra de 120 cartouches de dynamite. Une détonation effrayante retentit et l’immeuble fut ravagé jusqu’en ses fondements. Par miracle, il n’y eut que sept blessés et des dégâts considérables. La presse donne de larges échos de son signalement, le nom de Ravachol et sa photo sont désormais connus de tous.
L’arrestation
Or son comportement pour le moins en dilettante devait causer sa perte. Alors que trois jours plus tard, le 30 mars, il dînait au restaurant Véry, au 24, boulevard Magenta, à Paris, il ne pût s’empêcher de proclamer haut et fort son exécration de la société… et le garçon de salle, qui l’avait déjà repéré, car il avait mangé ici le jour de l’explosion, le dénonce à son patron. La police, alertée, arrêta, non sans mal, Ravachol que dix hommes suffirent à peine à maîtriser.
Jusqu’à sa comparution devant les assises, soit pendant un mois environ, trois inspecteurs le surveillèrent jour et nuit. Ils observèrent ses faits et gestes, et rédigèrent, au début, des rapports en enregistrant toutes ses paroles. [3]
Le 25 avril, alors que Ravachol est sous les verrous, c’est le restaurant Véry qui saute. La bombe a fait deux morts dont le patron dénonciateur qui est déchiqueté. « Véryfication » dira Le Père Peinard.
Le 26 avril, pendant le procès de celui qui se proclame justicier de la cause anarchiste, devant la cour d’assises de Paris, il comparaît en un Palais de justice gardé comme s’il devait soutenir un état de siège. À l’issue des débats, furent seuls condamnés Simon et Ravachol à qui on infligea les travaux forcés à perpétuité.
En attendant les chansonniers de rue s’en donnent à cœur joie :
« Il s’appelle Ravachol
Est né à Saint Chamond
Petite ville en somme
Dont il fît le renom
Paris la grande ville
Fût bien vite éprouvée
Avec la dynamite.
Il voulait tout faire sauter… »
La guillotine à Montbrison
Ravachol fût transféré vers Saint Étienne pour répondre de trois autres crimes dont celui de l’ermite. A son arrivée 500 personnes l’attendent, beaucoup l’acclament, des dizaines de policiers et gendarmes sont présents. Il est ensuite transféré vers Montbrison qui est presqu’en état de siège, où se trouve la cour d’assises de la Loire.
Ravachol fut tout autant courageux et désintéressé à ce procès de Montbrison qu’à celui de la cour d’assises de Paris. Le 21 juin 1892, s’il a reconnu le meurtre de l’ermite, des doutes sérieux demeurent quant aux meurtres au marteau et à la hache, qu’il nie totalement, mais, cette fois-ci, à Montbrison, Ravachol est condamné à mort par la cour d’assises. A l’énoncé du verdict, Ravachol se contente de dire « Vive l’Anarchie ! ».
Le 11 Juillet 1892, dans sa trente-troisième année, Ravachol monte sur l’échafaud en chantant. Le couperet interrompt ses derniers mots « Vive la rév… »
Epilogue :
Le 9 décembre 1893, Auguste Vaillant jette une bombe à Paris, à la Chambre des députés, pour le venger. Et le 24 juin 1894, c’est Santo Caserio qui poignarde mortellement à Lyon le Président de la République, Sadi Carnot, et le lendemain sa veuve reçoit une photo de Ravachol et ces mots : « Il est bien vengé… »
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