Journée François Partant
« Des ruines du développement
à la ligne d’horizon »
Samedi 22 septembre 2007 de 9h à 18h à Paris
au Musée des arts et traditions populaires
6, avenue Mahatma Gandhi – 75016 PARIS - (métro Sablons)
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« Aussi longtemps que nous assimilerons l’évolution de notre société à celle de l’humanité avançant vers un terme à la fois idéal et indéfiniment futur, aussi longtemps que nous verrons, dans nos progrès scientifiques et techniques, la preuve de cette évolution d’ensemble, nous ne parviendrons même pas à ima-giner un projet politique nouveau ».
François Partant
François Partant arrête tout en 1968
C’est au départ son itinéraire professionnel qui a amené François PARTANT, économiste de formation et cadre de haut niveau dans le secteur bancaire, à prendre ce pseudonyme. Comme il le disait lui-même, tant qu’il était à Paris, chez Paribas, il ne se posait pas beaucoup de questions. Mais, au cours des années soixante, il accepte de partir comme directeur d’agence à Téhéran (Iran), sous le régime du Shah. Et là, il commence à se poser de sérieuses questions sur les pratiques bancaires qu’il a pour mission d’effectuer. Sur ces entrefaites, il rencontre la "tête pensante" de l’opposition au Shah, et finit par prêter régulièrement sa maison comme lieu de rencontre des différents partis d’opposition au régime.
Après quelques années - et un infarctus - il retourne à Paris puis rentre dans une banque du secteur public, qui l’envoie diriger une société d’investissement à Madagascar durant 4 ans. Il travaille au "développement" de l’île, activité qu’il jugera sévèrement plus tard, disant : « J’y fis énormément de conneries ». Il revient en France peu avant « les événements de mai 1968 qui lui firent un grand bien », dit-il.
C’est durant cette période qu’il prend la décision d’arrêter tout travail salarié, et qu’il se met à écrire des livres, aujourd’hui totalement introuvables, et pour cause : c’est lui-même qui les a fait mettre au pilon, estimant a posteriori qu’ils n’étaient pas satisfaisants.
C’est au Sud-Yemen (Aden) que Partant expérimente sa première intervention non professionnelle en 1969. Le scénario qui deviendra classique se produit : devant l’incompréhension des autorités, il élabore son projet, constamment retravaillé depuis, de Centrale Économique.
En 1971, Partant est contacté par le gouvernement de la République Populaire du Congo, afin d’étudier le financement du Plan de Développement de ce pays. Rendu méfiant par ses précédentes expériences, il s’y rend d’abord en touriste, histoire de voir de quoi il retourne. Il est consterné, selon ses propres termes, par ce qu’il découvre là-bas. Il rédige alors une notice critiquant les fondements du Plan, notice destinées au ministre concerné qui, sur le point d’être convaincu, fut emprisonné suite à des règlements de compte interne au parti marxiste alors au pouvoir. Cette notice, considérablement augmentée, constituera la base de son livre La guérilla économique, paru en 1976.
Partant reprend la route, faisant « un détour » par Madagascar pour voir des amis. Ce détour durera en fait trois ans, car il arrive à Tananarive à la veille du « mai malgache » de 1972. Partant se mouille dans les événements révolutionnaires qui se déroulent à ce moment dans ce pays qu’il considère un peu comme le sien. Il fait circuler l’étude qu’il a rapporté du Congo jusque dans les ministères, il analyse la situation de nombreux papiers pour la presse malgache ou pour le Monde Diplomatique, sous plusieurs pseudonymes. La situation revevant à l’ordre ancien, et ayant reçu des menaces de mort, Partant rentre en France après un bref séjour en Tanzanie.
Il se consacre alors à l’écriture d’articles et de livres, collaborant occasionnellement à bon nombre de revues. Il publie en 1978 Que la crise s’aggrave, livre au titre provocateur mais au contenu très élaboré, qui s’emploie à bousculer les tabous. Cet ouvrage, comme le précédent, se vend mal. Partant cherche alors une autre façon de faire passer ses idées. Cela donne Le pédalo ivre, paru en 1980, bouquin curieux et stimulant qui raconte la découverte de la société idéale au milieu du Lac de Genève, mélange de roman philosophique à la Voltaire et d’utopie libertaire, de traité théorique et... de joyeuse gaudriole.
Deux ans après, en 1982, parait son livre le plus connu, La fin du développement, où, après avoir longuement enterré le développement, il cherche à théoriser ce qui pourrait être une alternative au vieux monde finissant.
Durant cette période, et jusqu’à la fin de sa vie, Partant collabore régulièrement au bulletin de l’association Champs du Monde, animé notamment par François de Ravignan.
Ses dernières années, Partant travaillait sur un nouvel ouvrage, resté inachevé. Mis en forme par un groupe d’amis de François Partant, ce manuscrit est paru en octobre 1988 sous le titre de La Ligne d’horizon. Loin de n’être qu’un complément à La fin du développemement, ce texte analyse l’idéologie du progrès, traite de la crise comme d’un blocage du système, et de l’agriculture comme, peut-être, l’espoir d’une reconstruction ; et aussi des aventures d’un milliardaire idéaliste...
François Partant a disparu le 25 juin 1987. Il avait 61 ans.
Un dernier livre, Cette crise qui n’en est pas une, est paru en 1993. Il s’agit d’un recueil d’articles devenus introuvables ou même inédits, écrits entre 1977 et 1987, et qui révèlent sans doute quelques facettes méconnues de la plume de François Partant. [1]
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« Il ne s’agit plus de préparer un avenir meilleur mais de vivre autrement le présent ».
François Partant
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La grande actualité de la pensée de François Partant
par François de Ravignan
La dé - croissance
L’anti - développementAprès une carrière d’expert en développement, François Partant (1926-1987) était devenu un critique très radical du modèle économique dominant. Dans la période d’incertitude extrême où nous nous trouvons actuellement, la perspicacité de ses analyses jette une lumière nouvelle sur les problèmes que pose l’évolution de nos sociétés. Remettant tout à la fois en cause les notions de croissance, de développement et même de crise, prônant des ruptures drastiques pour enrayer l’exclusion de populations de plus en plus nombreuses (dans le tiers-monde comme dans les pays industrialisés), François Partant propose une alternative socio-économique respectant les règles de la démocratie, de l’écologie et du droit au travail de tous.
Lorsque parut « Que la crise s’aggrave », un titre aussi provocateur ne pouvait que déplaire à beaucoup. François Partant s’engageait là dans une voie catastrophiste que beaucoup lui ont reprochée ; à savoir que les difficultés connues actuellement par l’Occident, notamment le chômage, ne peuvent pas trouver de solution dans le cadre d’un système économique qu’on ne veut ni ne peut changer. La crise doit alors dissiper les espoirs chimériques entretenus par les pouvoirs politiques, selon lesquels l’enrichissement devrait résoudre les problèmes de sociétés, alors que ceux-ci sont précisément générés par l’évolution du système lui-même. Dans ses derniers ouvrages, François Partant va plus loin, en se livrant à une critique radicale de la notion de développement, acceptée comme objectif par nos sociétés et proposés au tiers-monde.
Bien que ce développement n’apparaisse guère jusqu’à maintenant comme synonyme de liberté, de démocratie et de justice sociale, il est mal considéré de le remettre en cause. Dans les milieux d’économistes et d’universitaires cette notion s’apparente souvent à un article de foi. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait eu, en France, une conspiration du silence contre les idées de François Partant, amenant à mettre sous le boisseau une des pensées politiques les plus stimulantes et originales de notre temps... A la recherche d’une alternative à la société présente, François Partant travaillait à un nouveau livre, qu’il termina (sauf la mise en forme), au moment de sa mort. La constitution à Lyon de l’Association Les amis de François Partant, qui devait prendre rapidement le nom même du livre demeuré sur une table de travail (La Ligne d’Horizon) suivit très peu de temps après à Paris, et se donna pour tâche de diffuser ses idées, d’approfondir et de mettre en oeuvre ses conceptions.
Le refus de l’exclusion
A la source de la pensée de François Partant - ce qui la rend d’ailleurs de plus en plus actuelle - il y a un refus absolu de l’exclusion sociale et une intolérance radicale à l’égard de tout ce qui peut la provoquer. Cette exclusion François Partant l’avait rencontrée dans les pays du tiers-monde où il avait travaillé avec un degré de généralisation tel, qu’à moins d’inconscience ou de malhonnêteté intellectuelle, on ne pouvait l’expliquer par de considérations sur le tempérament des gens ou les « retards culturels » des sociétés. Les causes de cette situation s’enracinent, au contraire, dans l’histoire économique et politique des cent dernières années, en somme l’histoire de la colonisation.
Mais, pour François Partant, ce n’est pas tant l’exploitation des matières premières en tant que telles, ou celle du travail dans l’échange inégal qui appauvrit le tiers-monde, que la privation même de travail. Celle-ci résulte d’une part, du fait que l’Occident s’est réservé le travail productif (fabrication de machines, transports, assurances, financement), d’autre part l’introduction de méthodes industrielles hautement productives dans ces pays. Dans cette optique, le tiers-monde souffre plus de ce que nous lui apportons que de ce que nous lui prenons. L’expression première de cette souffrance est la croissance du chômage, urbain bien sûr, mais aussi du chômage caché des campagnes, condamnées à pratiquer une agriculture résiduelle face à la faible demande des villes, satisfaite d’ailleurs par les importations à bon marché des pays du Nord. Des richesses créées, il ne reste sur place qu’une faible partie, une valeur résiduelle, une fois payée les amortissements et les salaires des expatriés, qui les uns comme les autres, retournent au Nord.
Cependant le développement du chômage dans le tiers-monde a pour conséquence de limiter la croissance du Nord. Dans nos pays, en effet, les débouchés ont tendance à se saturer. Mais pour en ouvrir au Sud, il faudrait que les revenus s’y accroissent fortement ce qui n’est pas le cas. Alors, il nous faut jouer, pour sauvegarder la rentabilité de nos entreprises sur l’accroissement de la productivité, en somme produire moins cher, ce qui est rendu possible par l’évolution technique. Mais ce faisant, on génère du chômage...
Des remèdes illusoires
On ne peut aller loin en prétendant lutter contre le chômage par des créations d’emploi, puisque justement, comme on vient de le voir, l’évolution économique va dans le sens de la suppression d’emplois. Il est illusoire de compter sur la formation professionnelle, selon le présupposé que le chômage résulterait d’une inadaptation de la main d’oeuvre à la nouvelle donne technologique. Que la main d’oeuvre s’y adapte ou non, le but de cette nouvelle donne est de supprimer de l’emploi par souci de rentabilité. Même illusion dans les utopies du partage du travail, dès lors que le système qui détruit le travail n’est pas vraiment remis en question : en effet, le travail récupéré d’un côté se voit supprimé de l’autre. de telles solutions ne pourraient d’ailleurs être efficientes, dans l’actuel contexte d’échanges généralisé, que si toutes les nations industrialisées les mettaient en oeuvre à la fois.
Quant à sauver le système par l’expansion des débouchés notamment vers le tiers-monde, cette éventualité est peu probable. En effet les débouchés ne sont pas limités seulement par les causes déjà signalées, mais aussi par l’endettement phénoménal auquel sont arrivés ces pays. Or l’endettement est le fruit du mode de développement que le Nord y a induit. D’une part, la valeur résiduelle est souvent trop faible pour permettre un remboursement des dettes. D’autre part, celui-ci doit se faire en devises fortes, ce qui implique que les entreprises échangent leur production contre ces devises ; en d’autres termes, qu’elles vendent aux pays qui les détiennent c’est-à-dire aux pays du Nord. On est alors placé devant le dilemme : exporter pour payer ses dettes, mais alors on ne produit plus pour le pays ; ou travailler pour le pays, mais alors contribuer à aggraver l’endettement national.
Il est irresponsable, notamment de la part de tiers-mondistes occidentaux peut-être bien intentionnés, de prôner devant une telle situation le moratoire des dettes du tiers-monde, sans parler de corriger le processus qui leur a donné naissance. C’est simplement permettre de reproduire le même scénario avec toutes les conséquences dégradantes que cela a sur l’économie de ces pays, sans parler des pays du Nord dont la situation financière s’en trouve, par le fait même, fragilisée. Il en va de même des perspectives d’investissement dans les pays de l’Est européen : la déception y a été d’ailleurs plus rapide encore que dans le tiers-monde.
Le tableau ne serait pas complet sans signaler les conséquences écologiques du système mondial de production. François Partant était très sensible à cette dimension de l’évolution économique, qui n’était pour lui qu’une raison de plus de remettre en cause le système productif dans son ensemble : il n’imaginait pas qu’on puisse lui faire, à partir de simples réformes, et sans bouleversement radical, respecter les équilibres écologiques fondamentaux.
Que faire ?
Quand on lui posait la question « Que faire ? », François Partant répondait généralement : « il n’y a rien à faire ». Ce qui pourrait passer pour une réponse tout à fait désespérée. Mais comme lui-même faisait beaucoup de choses, on peut se douter que ce n’est pas de ne rien faire qu’il proposait. Il voulait dire en fait que les solutions globales qui seraient nécessaires dans le cadre du système mondial sont très improbables, s’opposant ainsi aux utopistes du Nouvel Ordre International qui faisaient tant parler d’eux dans les années soixante-dix. D’une part, parce que les pouvoirs qui s’exercent sur ce système, à savoir l’État et le Capital, ne sont pas près de le remettre en question. D’autre part, parce qu’il est quasiment impossible que les décisions économiques fondamentalement contraires à celles qui sont actuellement prises s’imposent à la fois à tous les peuples de la planète.
Les décisions qui sont prises au niveau des seuls États sont très limitées étant donné la mondialisation du système. On l’a bien vu avec l’évolution des pouvoirs socialistes en France ou dans d’autres pays européens, eu égard aux objectifs annoncés dans les années quatre-vingt ! Dans cette optique, changer de parti au pouvoir ne change rien aux tendances d’ensemble. Tout ce que pourrait faire un pouvoir d’État - et ce n’est pas négligeable sans doute - serait de favoriser l’émergence d’alternatives socio-économiques, tout en gérant les affaires selon les errements habituels parce qu’on est bien obligé de le faire sous peine de désordre immédiatement intolérables. Donc, gérer le système sans croire et sans penser qu’on peut le réformer, et contribuer ainsi à le miner de l’intérieur, en aidant ceux qui essaient de vivre en marge ou à l’extérieur de lui. En somme, l’avenir politique consisterait à tricher avec le système, ce qui va sans doute mieux que la compromission, ou que l’actuelle corruption, fruit, pour une part d’ailleurs de la désillusion des politiques.
A partir de l’expérience riche d’invention sociale, mais éphémère, du printemps malgache (mai 1972), François Partant a très tôt imaginé que les exclus du système pourraient s’organiser entre eux pour produire ce qui leur serait nécessaire et échanger, toujours entre eux, selon des règles convenues d’un commun accord. Il était très attentif à toutes les expériences alternatives qui pourraient éclore çà et là, des marginaux berlinois à divers pays du tiers-monde, en passant par les régions rurales françaises. Il se passionnait pour les informations qui lui provenaient d’Andalousie, où l’intégration économique de l’agriculture, dans le Marché commun européen, mettait au chômage des milliers d’ouvriers agricoles, mais où des groupes s’organisent dans une perspective de survie aussi autonome que possible.
François Partant était cependant très critiques sur les alternatives et les rejetait catégoriquement si elles lui paraissaient revenir tôt ou tard à une quelque forme d’intégration au « système ». Sans doute faudra-t-il encore du temps pour, qu’à travers de telles activités, les coordinations qu’elles se donneront et les organismes d’initiatives qui en naîtront, s’incarnent les intuitions et les idées de celui qui, bien que cloué dans ses dernières années à sa table de travail, mais voulait passionnément voir naître l’alternative sur laquelle il méditait. Mais cette longue marche aboutira-t-elle avant que les forces de destruction, aujourd’hui en oeuvre, n’aient creusé des fractures irrémédiables ?
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