Quand les médias lyonnais jouent les attachés de presse de la gauche Big Brother

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La mairie de Lyon, lauréate du prix Georges Orwell 2002, annonçait ce mardi un nouveau plan d’installation de caméras de vidéo-surveillances, portant à 300 leur nombre pour la seule ville de Lyon, déjà leader en la matière.
Mais pour faire passer la pillule, il fallait l’aide des médias, conviés à cet anniversaire.

Le plan com’ fonctionne à fond. Petite revue de détail et palmarès de la presse qui vous informe.

Le prix novlangue pour France 3, pour être arrivée à placer le terme de vidéoprotection dans son reportage, 10 ans de vidéoprotection à Lyon.
Le terme de vidéoprotection est celui qui a été repris dans la Loppsi 2, et que les maires défenseurs de ces dispositifs et les industriels du secteur essayaient d’imposer depuis quelques temps. Notamment via un lobby qui les réunit, l’AN2V, qui s’appelait "l’Association Nationale des Villes Vidéosurveillées" avant de devenir "l’Association Nationale de la Vidéoprotection". Lyon en est adhérente depuis ses débuts (l’AN2V est d’ailleurs basée à Lyon, dans le 6e) et elle y côtoie Thalès ou Sécuritas.
Il ne faut donc pas dire qu’on est "surveillé" mais qu’on est protégé. Répétez : "la surveillance c’est la protection, la surveillance c’est la protection". En forme ce jour-là, France 3 ira jusqu’à reprendre le terme de "Big Mama", alternative protectrice (quelque peu sexiste certes) au fâcheux Big Brother.
Si un invité critique (sur le seul aspect du coût financier) de la vidéosurveillance est ensuite convié sur le plateau de la télé régionale, les journalistes joueront le rôle d’avocat de ces installations, montrant de suite les limites qu’ils posent au débat : "Néanmoins, quand on arrête un délinquant grâce à la vidéosurveillance, même si le coût est élevé, malgré tout ça fait quand même un délinquant en moins, même si le nombre est faible". A ce rythme-là on peut aussi imaginer des choses encore plus folles en terme de fliquage (voire de liquidation de délinquant ?), France 3 n’est pas là pour s’inquiéter des moyens mis en œuvre, bien au contraire.
France 3 ne se pose pas une question sur les libertés publiques. Pas non plus de remise en question des prétendues statistiques sur la délinquance, maintes fois critiquées [1].

Le prix de l’Ecole des fans, à Métro Lyon, pour sa copie méticuleuse de l’argumentaire du lauréat du prix Georges Orwell.
Tout y passe, du storytelling de l’aide au SDF pendant l’hiver à l’innocent disculpé par la vidéo surveillance, jusqu’à la mise en valeur de coûts assez faibles (mais incomplets), en passant par le comité "éthique" censé nous rassurer sur le fait qu’on soit filmé dans les rues 24 h sur 24. Bref.

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Lyon Cap’, le prix spécial LOL. Son titre valide la monstrueuse blague de l’annonce de l’évaluation de la vidéosurveillance qui accompagne l’installation des 62 nouvelles caméras :
« Vidéosurveillance : le dispositif lyonnais (enfin !) évalué »
Alors là on se dit « classe ! ». Enfin, au bout de 10 ans, on va mesurer le gâchis financier, l’impact liberticide, etc.
On apprend qu’il s’agit en fait du travail d’un étudiant, financé par l’Etat (qui subventionne à hauteur de la moitié les investissements en vidéo-surveillance) et la Ville de Lyon, particulièrement innovante dans ce domaine. Dans le passé, des articles sur Rebellyon ont également souligné l’implication des universités lyonnaises dans l’élaboration de logiciels pour renforcer la vidéo-surveillance [2]. On repassera donc pour la garantie d’indépendance de ce travail universitaire. On note quand même que la journaliste a vite fait tiqué sur le financement, et rappelé (c’est la seule avec France 3) le rapport de la Cour des Comptes qui dénonce le coût élevé de la vidéosurveillance, son résultat quasi nul et l’organisation de son déploiement en dehors des règles « démocratiques » [3].
Mais il aurait été intéressant de préciser que de nombreux rapports universitaires, certainement au moins aussi indépendants et pour certains bien loin d’être faits par des étudiants, ont déjà largement dénoncé la vidéo-surveillance y compris à Lyon. Ainsi, l’année dernière, Laurent Mucchielli :

A Lyon, les caméras de vidéosurveillance permettent, en moyenne, une arrestation par caméra et par année. 200 arrestations, pour 219 caméras, comparées aux 20 604 actes de délinquance dits de voie publique... pour le sociologue Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, « le résultat est clair : l’impact de la vidéosurveillance sur la délinquance constatée par la police nationale à Lyon est de l’ordre de 1% ».

Le prix « Droit dans le Panopticon » pour Le Progrès . Sur une pleine page,
on a droit à un article principal et 3 petits papiers annexes présentant les arguments en faveur de la vidéosurveillance.
L’article principal s’interroge vite fait sur l’efficacité en terme de répression de la délinquance, mais n’interroge que l’adjoint à la sécurité sur la question, qui claironne « Deux fois plus d’affaires élucidées grâce aux caméras ». La critique de la Cour des Comptes, en partie formulée par des magistrats, et à rebours de cette affirmation, n’est pas mentionnée.
Le papier révèle une jolie arnaque en terme de vocabulaire. Si, au début, la journaliste utilise le terme de vidéosurveillance (genre « non non, je n’ai pas de parti pris, quand j’interroge l’adjoint de la sécurité, je le mets devant ses contradictions »), quand elle en arrive à parler du refus du maire de Villeurbanne d’installer des caméras, cette opinion critique devient « Villeurbanne refuse la vidéoprotection ». Pour ensuite dérouler dans le reste de l’article tout l’argumentaire de la vidéo-surveillance qui sauve la vie des lyonnais avec les petites histoires pour faire pleurer et échapper aux critiques sur le rendement très faible concernant ce qui était l’argument principal de l’installation de la vidéosurveillance au départ : « Une mère de famille qui se fait arracher son sac à main », « une mamie victime d’un malaise à St-Jean » ou encore « un accident place Guichard ». Franchement, vu comme ça, le maire qui « refuse la vidéoprotection », il est quasi criminel.
Sorti du papier principal, t’es déjà bien rincé. Histoire d’en remettre une couche et de mettre les points sur les « i » et les barres sur les « t », Le Progrès te propose trois autres papiers pour assurer la com’ de la municipalité :
- une publicité pour la recherche « originale et ambitieuse » voire « objective, scientifique, rigoureuse » de l’étudiant rémunéré par la Ville et l’Etat (ça, ce n’est pas précisé pour les lecteurs et lectrices du Progrès). Le titre de la recherche est d’ailleurs tout un programme, « Surveiller pour prévenir ? ».
- un rappel du meurtre de St-Jean dont Le Progrès peut bien dire qu’il a été élucidé « grâce aux caméras de surveillance », mais c’est surtout la publication des images prises par les caméras à la « une » du journal qui avait permis l’identification du meurtrier. Mais l’intérêt de la vidéosurveillance ne s’arrête pas aux histoires de meurtre : on apprend que les caméras ont aussi permis de retrouver un voleur d’Iphone sur la ligne de bus 70, diantre ! Ca permet, ni vu ni connu, de placer que les caméras sont intéressantes également « dans les commerces » et dans les transports en commun. Le titre du papier est d’ailleurs « Quand la vidéosurveillance donne un coup d’accélérateur aux enquêtes ».
- on se garde le plus beau pour la fin, avec un petit papier « de terrain » : « Le braquage de Global Cash on l’a vu en direct ». Les journalistes lyonnais étaient donc invités dans ce haut lieu secret [4], le Centre de supervision (sic) urbaine de Lyon. Le Progrès, en mode investigation, interviewe un « opérateur », une de ces paires d’yeux qui sauvent la veuve et l’orphelin. Et là, c’est la cerise sur le gâteau : « Le soir, on privilégie les Terreaux, les berges du Rhône, le quai Romain Rolland » (choisissez donc pour faire la fête les coins branchés pour friqué-e-s qui ne sont pas concernés). Mais surtout l’opérateur témoigne de sa manière d’opérer : « Ce qui attire l’œil ? Une attitude suspecte, une façon de marcher, une capuche. » [5]

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Aucun de ces médias n’a cherché à interroger une personne vraiment critique, pas un d’entre eux ne s’est penché sur les problèmes que pose la vidéosurveillance, au-delà de « la délinquance » qui baisse ou qui monte (en général en fonction des impératifs électoraux). Nul n’a mentionné l’abandon en cours de ces dispositifs dans d’autres pays, ou encore les dispositifs de reconnaissance faciale prochainement adoptés, à partir des images de vidéosurveillance [6]. Lyonnais, lyonnais-e-s, continuez à sourire bêtement, vos médias vous informent et Big Mama vous protège.

P.-S.

Photo de Tiananmen d’Andrey Belenko en Creative Commons. Montages d’Anita Lasocka en Creative Commons pour l’association anglaise contre les caméras de vidéosurveillance, No CCTV

Notes

[1"Ces chiffres ne sont pas ceux de « la délinquance », mais ceux de l’activité policière et gendarmique sur la délinquance, ce qui est différent. Extrait de l’article de Laurent Mucchielli pour Mediapart, Un nouveau miracle pour les « chiffres de la délinquance ».

[3Au sujet de ce rapport, on conseille à ces attachés de presse de ne surtout pas lire un article publié il y a deux mois « Vidéosurveillance : ce que révèle la cour des comptes », ils risqueraient de penser à des questions fâcheuses à poser aux élu-e-s.

[4Si vous avez des infos à ce sujet, les lyonnais et lyonnaises sont certainement curieux de savoir d’où on les mate.

[5Il faut lire à ce sujet l’article très complet d’InternetActu, site pas franchement anar, Technologies de surveillance... ou de discrimination.

[6L’amélioration des deux fichiers de PTS (Police Technique et Scientifique), le fichier automatisé des empreintes digitales – FAED – et le fichier national d’analyse des empreintes génétiques – FNAEG –, ne suffit pas. Le déplacement systématique de fonctionnaires spécialistes ou polyvalents est indispensable sur les scènes d’infractions pour assurer le recueil des indices. Les premiers réussissent à prélever environ 30 % de plus de traces exploitables que les polyvalents, qui bénéficient de stages de formation. Il faut améliorer la PTS et l’on se dirige vers la création d’un troisième fichier de reconnaissance faciale, qui pourrait servir à l’exploitation des données de vidéo surveillance. Intervention de Frédéric Péchenard, mis en cause pour la surveillance illégale de journalistes au Monde dans l’affaire Woerth, accessoirement directeur général de la Police Nationale, devant la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire : http://www.nosdeputes.fr/intervention/633708. Cité dans un article de la LDH-Toulon sur l’essor de la reconnaissance faciale, De la vidéo-protection à la vidéo-identification

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