La mort « provisoire » de l’audiovisuel public en Grèce

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Depuis le 11 juin au soir, toutes les chaînes et radios affiliées au groupe ERT S.A. ont cessé d’émettre suite à une décision gouvernementale publiée dans le Journal du Gouvernement le même jour, et signée par le ministre des Finances, Ioannis Stournaras, et le premier ministre adjoint, Siméon Kedikoglou. Plus précisément la décision gouvernementale de fermeture d’ERT S.A. touche : 5 chai­nes de télévision : ET1, NET, ET3, ERT WORLD (satel­lite), ERT HD (numé­ri­que), – sept sta­tions radiophoniques à Athènes : 1er, 2e, 3e, Kosmos, ERA Sport, Filia, 5e Programme (emis­sion mon­diale), – trois sta­tions radiophoniques à Thessalonique : 95,8, 102 et 3e Programme, - 19 sta­tions radiophoniques dans l’ensem­ble du pays, – trois ensem­bles musi­caux : Orchestre Symphonique Nationale, Orchestre de Musique Contemporaine, Chorale d’ERT, – un maga­zine papier : Radiotiléorasi.

La décision gouvernementale

Dans ce texte parmi les raisons qui sont données pour justifier la fermeture de l’audiovisuel public, on trouve notamment : « 5. Le fait que ERT S.A. alourdit le budget de l’État et qu’il est nécessaire de procéder à une meilleure gestion des services, du fonctionnement et du coût de l’organisation des services audiovisuels publics en refondant et en créant un nouvel organisme exemplaire qui serve la Constitution et qui réponde aux exigences démocratiques, sociales et culturelles de la société, ainsi qu’à la nécessité de préserver la pluralité des voix dans les médias ».

Jusqu’à présent ERT était une société anonyme étatique qui comptait environ 2900 employés dont 2700 bénéficiaient d’un contrat de durée indéterminé. Selon les mots du premier ministre cette mise à mort de l’audiovisuel public serait « provisoire ». Le projet gouvernemental viserait la création, à partir du mois de septembre prochain, d’une nouvelle société d’audiovisuel public avec un personnel réduit qui ne dépasserait pas les mille employés et dont la gestion serait plus « transparente ». L’ensemble des associations grecques du Personnel de l’Audiovisuel (Panellinia Omospondia Syllogon Prosopikou Epichiriseon Radiofonias-Tileorasis, alias POSPERT) a réagi par un recours à la Cour de Cassation en demandant que la décision gouvernementale soit annulée. POSPERT a déposé également un recours le 12 juin au Conseil d’État pour demander la suspension provisoire de la décision du gouvernement - la réponse du Conseil d’État est attendue pour le lundi 17 juin. Dans son recours POSPERT soutient que la décision du Premier ministre et de son ministre des Finances va à l’encontre non seulement du droit constitutionnel grec, mais plus généralement européen.

Un acte d’allégeance envers la troïka ?

La mise à mort d’ERT se présente en un sens comme « une lettre de créance thatchérienne » comme l’a remarqué la journaliste d’Elefthérotypia, Vicky Samara. Avec la décision de supprimer l’audiovisuel public, le premier ministre Andonis Samaras a envoyé un message politique clair à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Par ce geste typiquement thatchérien, le premier ministre a voulu montrer qu’il honore scrupuleusement les engagements pris vis-à-vis de la troïka concernant la réduction des dépenses publiques : il a réussi, dans l’espace d’une seule nuit, à effectuer les 2000 licenciements exigés par la troïka dans le secteur public pour le mois de juin. C’est ce que semble également dire le communiqué du 11 juin du Parti Socialiste grec (PASOK) : « La fermeture immédiate d’ERT et le licenciement de tout le personnel nous a été présenté par le gouvernement comme une nécessité urgente de façon à remplir ce qui conditionne l’encaissement du prochain emprunt : la réduction du personnel de l’État de 2000 personnes ».

Les médias publics, un enjeu de pouvoir

Toutefois, derrière le prétexte économique mis en avant pour justifier la mise à mort d’ERT, se cache en réalité une motivation proprement politique : réduire au silence un médium qui relayait les discours de l’opposition. Cette motivation est manifeste dans le discours du premier ministre, Andonis Samaras, prononcé le 12 juin dans le cadre d’un événement organisé par la Banque Européenne d’Investissement. Le premier ministre s’explique alors sur sa décision récente de fermer ERT, une explication qui se passe de commentaires : « Nous avons décidé la fermeture provisoire de ce qui existait jusqu’à présent pour créer à sa place un service audiovisuel public nouveau. Mais le mot « provisoire », personne ne voulait le prononcer hier soir, et personne ne l’a prononcé parce qu’on ne voulait pas que le peuple grec sache que cette fermeture était bien provisoire. Encore aujourd’hui ils agissent de la même façon. Les syndicalistes du journalisme sont arrivés jusqu’à museler, jusqu’à interdire qu’apparaisse, ne serait-ce que dans la radio, un seul député de Nouvelle Démocratie qui à notre avis essaie seulement d’exprimer l’opinion de la majorité des personnes qui sont conscients du problème. Et s’ils le peuvent, ils arrêtent le direct et s’interdisent de relayer nos communiqués au moment même où ils accordent une permission spéciale d’émission à la radio partisane de SYRIZA. Cela ne s’appelle pas “journalisme”, ni bien sûr, “liberté d’expression”. C’est la maladie passée des factions partisanes qui nous a conduit jusqu’ici. Nous créons une nouvelle radiotélévision en accord avec les modèles internationaux contemporains. Ceux qui résistent ne défendent pas la radiotélévision publique, mais défendent l’ERT telle qu’elle était par le passé ».

"On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs" : autocélébrations gouvernementales

Pour compléter le portrait de ce cynisme politique du gouvernement grec, plus récemment dans le journal Kathimerini du samedi 15 juin, le premier ministre, Andonis Samaras, signe un article qui revient sur sa décision concernant la mise à mort de l’audiovisuel public et sur sa politique des réformes en général. Le titre de l’article est idiomatique, et pour le moins surprenant : « On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs », un grand discours d’autocélébration d’un gouvernement qui aurait su, par les réformes engagées, lutter contre les privilèges et la corruption, un combat au cœur duquel il inscrit la fermeture d’ERT qu’il accuse d’un déficit de transparence, d’être un médium partisan, et d’être souvent en grève... Samaras s’y présente comme le pourfendeur de ce qu’il appelle « la coalition des privilégiés », comme l’homme qui a su restaurer la stabilité de la Grèce. Il se félicite d’avoir restauré la santé du système bancaire, mais ne dit mot de la santé d’un peuple grec exsangue dont l’état ne cesse de se dégrader au fur et à mesure que les réformes néolibérales se mettent en place.

Derrière la trivialité d’une expression idiomatique qui brouille tout, se cache une réalité sociale noire que la rhétorique gouvernementale s’applique scrupuleusement à voiler. Ainsi, il n’est jamais dénué d’intérêt de s’enquérir conjointement de l’identité de celui à qui appartiennent les œufs et de celui qui mangera l’omelette. On voit bien à qui sont les œufs cassés : aux simples citoyens qu’on sacrifie à l’autel du néolibéralisme. Mais où est l’omelette et qui va la manger ? Si le premier ministre se félicite d’avoir su recapitaliser le système bancaire au prix d’innombrables sacrifices, le quotidien du peuple grec n’en devient que de plus en plus précaire. L’omelette samarienne semble alors n’être destinée qu’aux seules instances dont la situation semble s’améliorer en pleine crise tandis que celle du peuple grec se dégrade au jour le jour : les banques, la finance mondiale et les grands du secteur privé qui achètent à peu de frais ce qui, hier encore, appartenait à l’État.

Une opinion publique ébranlée

Malgré les efforts du gouvernement à justifier le bien fondé d’une décision qui ne pouvait apparaître aux yeux du public que dans toute sa violence et son autoritarisme, les actes de contestation et de résistance se multiplient de toute part. Jamais une décision gouvernementale, aussi dure soit-elle, n’a suscité une réaction de rejet aussi vive et aussi unanime de la part de l’opinion publique non seulement grecque, mais également internationale.

A l’exception d’Aube Dorée qui reproche dans son communiqué à la chaîne de la présenter sans cesse comme un parti « néonazi », l’ensemble de la classe politique grecque a condamné l’action autoritaire du gouvernement, y compris les partis participant à la coalition gouvernementale autour de Nouvelle Démocratie, notamment PASOK et DIMAR. Le 14 juin à l’assemblée, Alexis Tsipras du SYRIZA répondant au panégyrique du ministre des Finances, Ioannis Stournaras, a commenté : « A partir d’un moment, cela devient ridicule de parler sans cesse de “success story”. Vous avez réduit la démocratie, vous l’injuriez ! Êtes-vous fiers de ce que vous avez fait hier ? Vous resterez dans l’histoire pour cet écran noir à la télévision publique. Votre manière de faire rappelle d’autres époques dans l’Histoire ».

Le 13 juin une manifestation a été organisée pour protester contre la fermeture de l’audiovisuel public. Les citoyens ont massivement répondu à l’appel et étaient plus de dix mille à se retrouver devant les locaux d’ERT sur le boulevard Mesogeion.

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Manifestation du 13 juin devant les locaux d’ERT

Les actes de solidarité et de soutien envers les employés d’ERT, qui désormais occupent les locaux de la chaîne, ne cessent de se multiplier depuis parmi la société grecque : le 14 juin un collectif d’artistes a manifesté sur la place Syntagma avec le slogan « ERT is not for sale », un concert de soutien a été organisé avec la participation de l’Association des employés du Ministère de la culture, l’Association nationale des employés de police a également exprimé son soutien en invitant les citoyens à dire « Non au droit du plus fort – OUI au droit de l’État social – les êtres humains ne sont pas des chiffres ! »...

A l’étranger, les critiques envers la décision du gouvernement d’Andonis Samaras ne cessent aussi de se multiplier. Nils Muiznieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré à Associated Press : « La décision soudaine du premier ministre grec de fermer ERT est une action irréfléchie. Avec la disparition, même provisoire, du service public d’information, la pluralité des voix dans les médias se trouve réduite en Grèce, ainsi que la liberté d’expression et le droit à l’information. Cela constitue un coup grave porté contre un des piliers de la démocratie ». D’autre part, Martin Schulz, président du Parlement européen a, de manière incisive, critiqué l’hypocrisie d’un gouvernement grec qui essaie par tous les moyens de masquer son goût pour l’autoritarisme : « Je voudrais vous faire remarquer que le gouvernement du Portugal se cache rarement derrière la troïka. Il avoue ouvertement que les mesures prises sont les siennes propres. Au même moment, on voit des gouvernements qui ferment de leur propre chef la télévision publique du pays et qui disent que c’est la faute de Bruxelles. Ceux qui se comportent de cette façon perdent le respect des autres. Mais celui qui prend la responsabilité de ses actes, le gagne ».

Par ailleurs, les manifestations de soutien de la part des milieux syndicaux et politiques ne cessent de se multiplier en Europe : le parti allemand Die Linke ainsi que les plus grand syndicat allemand Ver.di ont exprimé leur solidarité et leur soutient indéfectible envers les employés d’ERT qui occupent les locaux de la chaîne et continuent à transmettre des informations.

On peut désormais suivre ERT en direct sur internet sur le site de European Broadcasting Union (EBU) et de la chaîne 902. Vous pouvez également signer la pétition de EBU pour la réouverture d’ERT ici.

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  • Le 18 juin 2013 à 10:05, par filippos

    LA REPONSE DU CONSEIL D’ETAT
    Le Conseil d’Etat a finalement décidé hier la suspension« temporaire » du décret gouvernemental ordonnant la fermeture d’ERT, et cela jusqu’au moment où le nouvel organisme (baptisé NERIT), qui la remplacera soit mis en place. Cela ne veut en aucun cas dire que ERT fonctionnera comme avant : la décision du Conseil d’Etat considère bien ERT comme un organisme irréversiblement supprimé et ne stipule aucunement de revenir sur les licenciements effectués. Il n’y a pas de véritable surcis pour les travailleurs comme on le lit dans les grands journaux. Il s’agit simplement de rouvrir une ERT « fantoche » qui fonctionnera avec un personnel extrêmement réduit et cela dans le seul but de rassurer, de calmer les esprits choqués par l’écran noir, le temps que NERIT commence à émettre.

    Le rédacteur.

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