Mercredi 8 décembre, 23h30, rue de la République, la pluie commence à tomber, les fêtards venus de toute la France et l’Europe commencent à se retirer sagement de la Ville pour rejoindre leurs bus ou leur appartement. La Fête est finie et il est bien normal de rentrer chez soi pour être en forme pour le travail demain.
Un groupe de jeunes décide de profiter de cette Fête pour occuper un petit bout d’espace que celle-ci daigne laisser libre, autour d’un banc, pour organiser une petite fête, et danser sur des rythmes africains que jouent deux musiciens sur des djembés.
Ils sont une dizaine et tous n’ont pas la couleur locale….
Autour d’eux, une vingtaine de CRS, postés à quelques mètres, préoccupés par cet attroupement non prévu dans le programme de la Fête. Ils sourient en regardant ces jeunes danser comme s’ils contemplaient, moqueurs, une bande de sauvages se déhanchant sur des rythmes en voie de perdition venant de contrées inconnues.
Mais est-ce bien raisonnable ? N’est-ce pas dangereux de laisser se développer une telle ambiance sonore alors que la Fête, la vraie, celle visuelle qui transforme le passant en spectateur contemplatif et passif, se termine ?
Une partie du groupe s’en va. Une autre reste, composée maintenant uniquement de maghrébins.
Les policiers suivent cela de près. De plus en plus près.
Sans doute pour les prévenir qu’il n’est pas raisonnable de jouer sous la pluie, qu’ils vont attraper froid et que leurs djembés vont s’abimer, ils décident finalement d’interrompre cette petite fête bon enfant en s’immisçant dans le groupe et en leur demandant tout simplement de dégager, fissa.
Le groupe se disperse pour répondre à l’injonction bienveillante de la vingtaine de CRS, bienveillance néanmoins intimidante.
La Police se retrouve seule autour du banc dont elle a pu ainsi reprendre le contrôle sans trop de difficultés, comme on ferait disperser les pigeons pour ne pas qu’ils chient de partout.
Voilà un territoire qu’ils n’auront pas. Qu’ils aillent squatter les bancs de leurs quartiers, il est minuit, la Fête est finie, la Ville ferme boutique.
Puis les CRS suivent lentement le groupe qui s’éloigne de ce banc, semble-t-il important à leurs yeux, histoire de bien leur montrer qu’aucun espace de cet espace ne leur est concédable, même en temps de Fête.
Un des jeunes crie en s’éloignant « Vive la sécurité ! Vive Sarkozy ! Vive la Police ! ». Les policiers le suivent, toujours lentement, ils sont une dizaine, une autre vingtaine se tient à distance. Puis il recommence « vive la Police Nationale ! vive la Police ! ».
Humiliation suprême pour les policiers, l’ironie exprimée ici leur renvoie à la figure le ridicule dont ils viennent de faire la preuve en prenant le contrôle d’un banc autour duquel dix personnes dansaient (double ironie) au milieu des passants chagrinés que la pluie viennent leur gâcher La Fête.
Ni une ni deux, les policiers se mettent à le courser, le choppent violemment contre un arbre. Des policiers en civils apparaissent soudainement d’on ne sait où mais restent finalement en retrait remettant leur capuche qui leur sert de subtil camouflage.
Serré brutalement contre l’arbre, palpé en lui susurrant des mots doux (« tu fais moins le malin là hein ? »), il est finalement emmené à l’écart des Fêtards inquiets, contre le joli manège de la place de La République.
Là, les CRS lui font vider ses poches et sa sacoche en foutant toutes ses affaires et papiers par terre, sur le sol trempé.
Le temps de l’interrogation de son titre d’identité par téléphone, les CRS lui demandent s’il connait la garde à vue, combien de fois il y a déjà été. Il répond qu’il n’y a jamais été. Les policiers en seraient presque surpris et déçus.
Il a un titre de séjour étranger. Ils lui font bien comprendre qu’il n’est donc pas chez lui, qu’il ne faut pas trop qu’il s’amuse avec eux, qu’il y a parmi eux des pères de famille et qu’il faut donc les respecter et ne pas les insulter. Le jeune homme, calme et poli, leur répond qu’il a juste dit « vive la Police ».
Toutes ses affaires et ses papiers sont par terre, détrempés. Les policiers, et surtout celui qui semblent être leur chef, viril et autoritaire, lui ordonnent de ramasser toutes ses affaires, sans doute encore un conseil amical et bienveillant pour ne pas que ses affaires ne soient complètement trempées (téléphone, cartes, papiers, etc). Un peu tard. Il ramasse l’essentiel, accroupi au milieu de la dizaine de CRS. Il en laisse par terre, de la paperasse trop humide pour être récupérée. Hopopop’ ! Le policier, décidément bon conseil, est soucieux de l’environnement : il lui ordonne de tout ramasser et d’aller les mettre à la poubelle. Le jeune homme s’exécute. Un brin cynique et fin observateur, on pourrait presque discerner un début d’érection chez le policier, il faudrait avoir l’œil, au milieu de toutes ses armes, c’est difficile à distinguer.
Puis le chef des caïds revient avec le titre de séjour dont l’interrogation n’a pas donné de motifs pour prolonger ce petit manège jouissif : il le balance au pied du jeune homme en lui intimant l’ordre de bien ramasser toutes ses affaires. Sans rien dire, il s’exécute. Les policiers lui conseillent alors amicalement de ne pas trainer là, de rentrer dans son quartier, et qu’il ne vaudrait mieux pas qu’ils le recroisent ici. Le jeune homme, confiant et se sentant sans doute protégé par tant de conseils avisés et chaleureux, les quitte en les remerciant (triple ironie) et en répétant une dernière fois, reconnaissant de tout ce respect dont il a fait l’objet « merci et vive la police ».
Dernier conseil précautionneux du chef CRS : « tu redis ça encore une fois, tu te fous encore de notre gueule, on te choppe et tu vas ramasser tes dents par terre ! ». Sage conseil, il dit sûrement vrai.
Le 8 décembre à Lyon, sors ton trépied, pas ton djembé.
La Fête des Lumières, avec un grand F donc, met surtout en lumière l’espace discipliné tel qu’il est au quotidien : le public est là où il est attendu, dans le rôle qui lui est assigné, celui de circuler, contempler, regarder, photographier, s’extasier et surtout d’être passif : le public ne doit pas coproduire cette fête autrement que par sa présence déambulatoire. Illusion de déambulation choisie, sentiment de promenade urbaine errante au gré des installations lumineuses, la magie est parfaite, le public est également équipé de déambulateurs : dispositifs de surveillance maximum (PC de crise en préfecture, présence de CRS un peu partout, flics en civil disséminés), barrières interdisant l’accès à certaines rues gardées par des CRS, parcours programmés du spectateur, panneaux d’entrées et de sorties des espaces publics projetés jusque sur les murs, gestion de troupeaux pour accéder aux transports publics, le centre-ville s’exhibe dans ce qu’il a de plus ordonné, tout est sous contrôle et rien ne doit déborder.
L’étranger bienvenu est celui qui s’inscrit dans tout cela, le touriste, tartampion et son lumignon, c’est le Fêtard idéal. Bienvenus, faites comme chez vous, c’est l’hospitalité, la politesse la plus élémentaire.
L’autre, l’étranger d’ici, celui dont la présence dans le centre est habituellement considérée comme coupable, car génératrice de problèmes pour l’ordre des choses, ne doit pas profiter de ce sentiment d’hospitalité et de ferveur festive pour trop se sentir comme chez lui, ou, a minima, user d’un espace qui n’est pas programmé pour cela, de le déborder. S’il n’a pas son lampion, qu’il la mette en veilleuse.
La police n’a pas attendu le 8 décembre ni le fameux 21 octobre de la place Bellecour pour faire mumuse avec ceux et celles qui ne rentrent pas dans les clous et pour lesquel-les elles vouent une profonde et obsessionnelle détestation, ce n’est pas la plainte (celle concernant la garde à vue à ciel ouvert de Bellecour) qui s’ensuit qui lui dissuadera de continuer, cela ne fait que mettre un coup de Lumières sur l’ombre de l’ordinaire (waow ça rime !).
Mimil
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