Scepticisme
Mardi 24 mai 2011, 19h place Bellecour. Une grosse centaine de personnes (peut être deux cents) se sont installées en rond vers la statue au centre de la place sous la menace d’un ultimatum policier. Situation hallucinante !
En effet la police a annoncé au groupe qu’elle interviendrait à 20h30 pour évacuer la place et empêcher que l’AG puisse se dérouler. Les flics sont immédiatement associés à une milice du capital. Le numéro de l’asso Témoins sort et est affiché pour que les gens présents puissent le noter. L’Assemblée est calme et déterminée. Il est finalement décidé qu’on ne partirait que si les flics nous virent manu militari. A 21h30 ils ne sont finalement pas intervenu.
La parole tourne, amplifiée par un petit haut parleur.
J’ai l’impression de faire un bon en arrière est d’assister à mes première AG étudiantes...
Au début je suis relativement sceptique sur le fond et sur la forme. Beaucoup d’intervenant-es insistent sur le coté « non-partisan » du mouvement. Beaucoup de monde pense qu’il faut donner une bonne image du rassemblement. Il faut séduire la presse ! Beaucoup de monde insiste sur l’aspect non violent et citoyen de ce qui se construit.
Bref ça pue un peu le coté étudiant-gnangnan ou la bonne parole attac-ienne, le réformisme soce-dem teinté d’une pointe de keynésianisme...
Mais je continue d’écouter et surtout d’observer cette assemblée vu que la vulgarisation de la macro-économie ne me passionne pas dans ce cadre-là.
Premier constat il n’y a pas là que des professionnels militants ou activistes. A vrai dire les militants ne doivent pas représenter un tiers de l’Assemblée. C’est surtout des nouvelles têtes. La population est relativement mixte en ce qui concerne les sexes, de même pour l’age. Par contre pour l’instant cette Assemblée est très largement blanche. La diversité caractéristique de la France n’est pas encore représentée.
Pour autant un des aspects extrêmement nouveau de cette Assemblée c’est qu’elle n’est ni corporatiste, ni même syndicale.
Il s’agit d’une agora populaire. Le seul déterminent commun est l’envie de se parler et de s’organiser.
Il y a un coté non « professionnel » de l’assemblée qui risque de déranger pas mal de militant-es actif-ves depuis longtemps.
A ces gens là je leur dis :
Rappelez vous comment vous étiez vous même lors de votre premier engagement politique ! Naïf, enthousiaste, probablement modéré.
Combien de militant-es radicaux-cales ont commencé leur engagement chez les Jeunes Vert, avec Ras l’Front ou encore avec un syndicat lycéen avant de développer une approche plus critique et radicale de notre société ?
Bref je me fais violence pour essayer de rester ouvert et objectif et ne pas commencer à pouffer, sur de mon expérience politique, confit de mes certitudes politiques et organisationnelles.
Et quand on commence à écouter ce que les gens disent vraiment et bien c’est en fait un discours franchement politisé et plutôt radical qui émerge de cette assemblée. Tant d’ailleurs sur le fond que sur la forme.
Comme cette Assemblée est nouvelle, elle cherche ses modalités pour fonctionner de manière démocratique. Ce qui est intéressant c’est que l’autogestion est la notion qui s’impose d’elle-même comme modèle de gestion de l’Assemblée et comme modèle politique tout court.
Ainsi un certain nombre de temps a été passé pour discuter des modalités de fonctionnement de l’assemblée. (modérateur vs bureau, question du temps de parole, du vote, etc...).
N’en déplaise au camarade de la JCML [1] la forme est aussi importante que le fond en politique.
A été acté que tous les soirs, trois nouveaux modérateurs tirés au hasard sur une liste rempliraient leur mandat puis le soir suivant trois autres, etc...
Une des autres particularités de cette assemblée c’est le souci et la qualité de l’écoute de celui ou celle qui prend la parole. Cette AG a duré presque trois heures et les participant-es sont resté-es globalement attentif-ves à toutes les interventions.
Ce qui semble sortir pour l’instant de ces rassemblements c’est l’énorme besoin de se parler. Et quand les gens commencent à se parler il en sort des choses pas mal intéressantes.
Par exemple :
A été voté l’appel féministe de la place del Sol.
L’organisation tous les soirs d’une AG place Bellecour et l’installation d’un campement permanent.
A été voté le principe de tracter aux sorties des usines, facs, lycées, marchés, métros pour appeler à cette Assemblée lyonnaise.
A été voté de répondre à l’appel émanant d’Espagne contre le G8 de Deauville.
A été voté l’appel à une assemblée constituante.
(d’autres mesures on été voté mais je n’ai pas pris de notes)
A été discuté le principe de l’autogestion du mouvement (méfiance envers toutes tentatives de leaderships)
A été soulevé la question des transgenres, transsexuelles, homos, lesbiennes. La question du racisme et de la xénophobie. Le mouvement réaffirme la totale égalité entre tous les êtres humains
A été évoqué la sortie du capitalisme. Au minimum sa régulation.
Le FMI, la BM et l’OMC sont des ennemies du bien être des populations.
Le droit d’habiter et de vivre où on veut et comme on veut.
Plus largement c’est un véritable besoin de liberté qui se fait sentir.
A été évoqué l’abolition de l’argent.
La réquisition des logements vides.
La taxation des riches.
etc... je n’ai pas tout retenu, c’est un véritable catalogue à la Prévert.
Après deux heures relativement chiantes mais comme disait l’autre « la Révolution n’est pas un diner de gala » je me dis que finalement c’est pas si mal pour commencer.
En général le moindre mouvement social en France commence par des revendications minables, balisées par des syndicats tout aussi minables et terrorisés à l’idée de « perdre le contrôle ».
En général quand les conditions permettent la radicalisation, il faut plusieurs semaines d’AG avant de voir quelques trucs intéressant émerger.
Là en seulement trois AG (avec quand même le « balisage » espagnole, tunisien, égyptien, libyen,etc...) le niveau de détermination et de radicalité est quand même bien nouveau.
Il ne s’agit pas d’une assemblée qui expose les malheurs économiques des uns et des autres (même si bien sur c’est une préoccupation pour toutes et tous) mais bien des aspirations politiques. Comment on vit ensemble ? Sur quelles bases ? Comment on partage les richesses ? Comment on travaille ? Comment on assure la liberté de chacun chacune de disposer de son corps comme il elle l’entend, etc...
Et les libertaires dans tous ça ?
Une assemblée populaire
Aucune sympathie pour les autorités, flics, syndicats et partis
Une volonté autogestionnaire
Un fort besoin de liberté totale et absolue
Une position claire sur les questions d’égalités entre les genres
Une envie de rebattre les cartes sociales et économiques...
N’est-ce pas ce que nous désirons ?
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