Tract distribué à Lyon 2 pour la manifestive contre les caméras de surveillance

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Trois sites vidéo surveillés. Une caméra accrochée au-dessus de la passerelle centrale, braquant l’espace sous le chapiteau. Une autre qui commande la promenade en face de l’UNEF et contrôle la descente vers le resto U. L’amphi Cassin a droit aussi à son objectif, à sa visée électronique. Et il y en a 17 autres dispersées à l’extérieur et à l’intérieur de la fac. Tout le monde s’en fout… Et d’ailleurs pourquoi pas ? Tout habitant de Lyon a appris à admettre la présence des petits globes de surveillance qui pullulent déjà dans le centre ville depuis 2001. Alors quelques caméras de plus…

Il y a bien une poignée de belles âmes pour s’émouvoir de la situation, y voir une atteinte à leur liberté individuelle. Mais la contestation est faible quand elle s’adosse à la défense de sa petite existence privée, de ses petites envies raisonnables (mon droit de pointer au resto U avec ma carte Cumul, de traîner un peu sur le forum avec d’autres existences individuelles, de circuler dans les couloirs pour aller consommer mes cours). Difficile d’être émues par un argumentaire qui prend appui sur un genre de vie garanti précisément par les caméras : des vies sans histoire, des vies légitimes (c’est un point commun des espaces vidéo surveillés : au fond il ne s’y passe pas grand chose de notable, et on y accède de bon droit ; déambuler devant des vitrines ou dans des coursives, consommer dans les grandes surfaces, visiter sa ville comme un musée, avec le détachement du touriste planétaire…).

Le rythme cardiaque augmente, sueurs froides du voleur à l’étalage, de la casseuse : il n’y aurait donc que les criminelles pour rejeter, sur un mode épidermique, tout ce milieu sous contrôle… Et puis quelque chose s’est passé avec le mouvement du printemps dernier : toutes les caméras se sont trouvées curieusement aveuglées, peinturlurées, empaquetées, arrachées. C’est qu’il se déroulait autre chose ; une vie s’élaborait au sein de la communauté de lutte, avec ses évidences : une allergie au contrôle, une impassibilité aux rapports de pouvoir qui prétendent nous ramener à l’ordre ou à la raison, la certitude que pour s’attaquer à l’occupation policière de l’espace il faut d’abord en finir avec tous ces dispositifs de sécurité (les caméras, les serrures, les vigiles…). Se projeter dans le sillage du mouvement, densifier les perspectives révolutionnaires ébauchées en son sein réclame qu’on renoue déjà avec cette stratégie minimale : reconquérir l’espace de la fac, le disputer rudement aux tenants de l’ordre et du contrôle.

A Bron les caméras ont été installées au moment où l’administration décidait de sortir les machines à café des coursives principales et des halls centraux ; au moment également de l’application des interdictions de fumer à l’intérieur des locaux. L’enjeu était clairement affiché : mettre fin aux retards intempestifs, réinjecter dans le fonctionnement universitaire ce temps volé à traîner, en discutant dans les couloirs. Bref : dissoudre les points de fixation, en finir avec les ralentissements au profit du flux bien séquencé, de la transparence, loin des désordres enfumés. Vieux projet haussmannien : « faire entrer l’air et la lumière en même temps que la morale », non plus dans les taudis parisiens mais au cœur d’une université un rien turbulente (avec ses fumeurs de joints, ses déserteuses et son flot d’étudiants en « que dalle »). A la place, déployer une vie sans frottement, sans arrêts ni incidents, dépourvue de toute saute d’intensité.

On nous dit que les caméras à l’intérieur enregistrent en permanence ce qui se passe dans les couloirs ou sous le chapiteau. Mais avant même de servir de mouchards, ces dispositifs fonctionnent comme des marqueurs : ils signalent l’espace sous contrôle, par opposition aux endroits vagues où tout peut arriver. La vidéo-surveillance, c’est le petit ange de l’auto-contrôle qui se pose sur l’épaule. Pris dans ces espaces, on se conforme à la norme du lieu : circuler ni trop lentement ni trop vite, faire l’étudiant, l’innocent. Tant que tout reste fluide, les caméras n’ont pas d’utilité (et les bandes sont effacées les unes dernières les autres) ; c’est quand ça déborde, quand il y a effraction dans un sens ou dans l’autre qu’elles entrent en action : identifient des responsables, nous individualisent, nous rappellent à l’ordre…

Sous l’œil des caméras on nous dit qu’il n’y aurait plus de crime impuni, plus d’agression, plus d’accident grave. Rien qui cause du tort ou porte à conséquence. Et plus d’aventures, plus de rencontres non plus. La question des caméras, d’un point de vue politique, ne s’identifie pas à la défense d’une quelconque vie privée. A l’inverse elle a pour enjeu l’élaboration d’une vie trouble parce que collective, d’une vie intense et offensive. Une vie criminelle. Et c’est uniquement en rejetant la posture d’éternel innocent, de citoyen conforme, qu’on s’affrontera aux agents de sécurité, aux caméras comme aux vigiles, pour libérer le territoire de toute occupation policière.

N’importe qui

P.-S.

Pour un compte-rendu de la manifestive, c’est par là !

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