Mai 2002 : avec une participation record au deuxième tour (80 %), Jacques Chirac est élu par une vaste majorité pour « faire barrage au fascisme ». Cinq ans plus tard, une grande partie du programme de Le Pen est appliquée (dans le domaine des politiques économique, migratoire ou sécuritaire), sans grand « sursaut citoyen », caution démocratique oblige.
Avril 2007 : nouveau record de participation, dès le premier tour, à 85 %. La démocratie n’est plus à sauver, elle est même complètement revivifiée. Elle a d’ailleurs trouvé son champion : Nicolas Sarkozy, pour qui la pédophilie et les tendances suicidaires sont des faits génétiques, lui qui veut identifier les délinquants dès la maternelle, encourager la délation pour débusquer les parasites qui fraudent le métro et profitent honteusement du RMI, et gérer la traque des sans-papiers depuis son Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale... En bref du Goebbels avec l’accent américain et la claudication en moins.
Nicolas Sarkozy fait peur. Bizarre, quand la plupart des logiques et des dynamiques qu’il personnifie sont déjà bien engagées. En France, on peut déjà se prendre de la prison ferme pour avoir regardé un flic de travers [1] ; on peut déjà se faire « flexibiliser » pour un salaire de misère en intérim ou en CNE ; on peut déjà largement se faire radier des fichiers de l’ANPE d’un côté, tout en se faisant ficher à l’ADN de l’autre (que ce soit pour siphonnage, pour vol à l’étalage, pour graffs, en bref, dès qu’on remue un peu trop). On le sent bien : la France d’après est déjà là.
Pourtant, l’élection de Sarkozy fera bien une différence. La chasse aux oisifs et aux délinquantes va s’intensifier, les peines vont s’alourdir, les nouvelles prisons vont fleurir (ce qui tombe plutôt bien, les chômeurs auront alors le choix entre devenir maton et devenir prisonnier). Sarkozy président, c’est le triomphe de la valeur travail, de la valeur famille et de la valeur patrie : la fin du droit de grève et l’avènement du service minimum, des universités vraiment réservées aux élites ou bien des facs professionnalisantes susceptibles de nous intégrer au plus vite au monde impitoyable de l’entreprise.
Alors c’est sûr, il se trouvera bien quelques anarchistes, voire même quelques camarades, pour faire, encore, « barrage au fascisme ». Le vote utile : deuxième round. Quand tout ce petit monde aura été battu démocratiquement, peut-être repensera-il à ces déclarations prononcées un peu à la va-vite : sur un mode apeuré, « Si Sarko passe, c’est sûr, je quitte la France ! » ; ou pour les plus véners, « Putain si Sarko passe, ça va péter, on prend les armes ! ».
Effectivement, ces intuitions tracent à nos yeux les seules voies praticables dans la situation actuelle. Mais il s’agit de les lester avec autre chose que de la mauvaise humeur et de la bière de piètre qualité. Autrement dit, il faut nous organiser collectivement afin d’opérer une désertion réelle partout où nous pouvons rendre le territoire national ingouvernable.
Ils veulent nous mettre au travail de force, ce sont des ANPE qui flambent. Ils veulent nous fliquer, les contrôles dégénèrent en émeute comme à la Gare du Nord. A Rouen, des violences policières ont trouvé leur réponse dans une manifestation sauvage qui a vu la destruction des locaux de l’UMP. La banderole de tête portait la mention « Boutons les flics hors de France ». Il y a en effet une nécessité à ce qu’elle soit partout jetée hors de nos vies.
Ce que nous promet le slogan « Travailler plus pour gagner plus », c’est une séparation forcée, une individualisation des misères quotidiennes. Nous ne saurons y faire face qu’en mettant en commun nos moyens d’existence et de lutte, que ce soit au niveau des quartiers, des universités, des lieux de travail. Et alors oui, nous ne serons plus en France, et alors oui, nous saurons trouver des armes.
La victoire de Sarkozy (ou de Royal), c’est surtout notre apathie, quand on se contente d’émietter notre puissance politique en allant mettre un bulletin dans l’urne. S’il faut faire barrage à Sarkozy, ce sera en attaquant directement sa police.
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