Les mouvements sociaux au Brésil

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Les mouvements sociaux brésiliens actuels font la une des journaux internationaux, on parle même d’un « printemps brésilien ». Vu de l’intérieur, le constat peut être un tout petit peu différent.
Voici la traduction d’un article d’un journal de contre-information de la ville de Recife.

Que sommes nous en train de vivre ?

Il y a un peu moins de une semaine, le pays est entré dans une crise politique historique. Cette situation s’est déroulée tant rapidement que à chaque fois que nous essayons de l’analyser, elle a changé, on peut maintenant mieux la comprendre. Nous sommes très satisfaits de l’explosion de la lutte pour le Passe-livre (gratuité des transports) à São Paulo et autres capitales d’état brésiliens et dans une certaine mesure qu’elle commence à arriver à Recife. Quand les manifestations commençaient à grossir dans tout le Brésil nous savions déjà qu’il se passait quelque chose de plus grand, les revendications sur le transport public n’étaient qu’un motif, nous étions face à une véritable révolte populaire.

Nous attendions donc avec impatience la manifestation de Recife, la première a eu lieu le 20/06, jour d’appel national. Mais avant cette date avait déjà émergé un groupe nationaliste qui tentait de séquestrer le caractère revendicatif des manifestations en chantant l’hymne national et en défendant sans en avoir bien conscience les idées des Grands médias. Dans notre premier texte sur le sujet avant la manifestation du 20, nous appelons ce groupe les Pacifistes, puisque c’était ce dont parlait tous les médias : la nécessité que les pacifistes supplantent les « vandales » dans les manifestations. Nous pensions que le problème était encore dans la conduite et les positions des manifestations.

Après ce jeudi tout a changé. La révolte a mis du temps à arriver à Recife, et quand elle est arrivée, elle est venue déjà retournée, avec le fascisme dans les rues. Nous voyons et interprétions cette masse de quasiment 100 milles personnes comme une véritable masse de pions. Ce sont personnes qui n’avais jamais participé à une manifestation, qui non seulement a complètement dilué les revendications que la gauche avait proposé mais qui, fait encore plus préoccupant, ce sont comporté-e-s comme des policiers. Illes ont identifié et chassé les véritables indigné-e-s, les personnes qui étaient là pour résister, pour emmener la révolte à mettre à bas l’exploitation et la domination sociale. Nous sommes impressionnés par la solidité de ses tactiques, comment illes étaient unis dans un mode pensée et d’agir commun qui nous effraie. Nous appellerions ce mode de pensée « appareil idéologique capitaliste » que l’on retrouve dans les grands médias de la manière la plus droitiste et palpable.

C’était comme si l’indignation initiale avait été séquestrée, comme si la contre-révolution avait pris les rues sous la forme d’une masse menée par des idées vagues mais conservatrices et un comportement inédit, schizophrène (ils sont à la fois anti-partis mais nationalistes) et détestable, absolument détestable. C’était sans aucun doute la droite dans la rue. Nous somme aussi étonnés par le nombre réduit de policiers mais nous avons vite vu que les gens prenaient les policiers dans leurs bras, c’était comme si illes étaient compagn-es-ons d’une même lutte, rendons donc superflus le principale rôle de la police, la répression puisqu’il n’y avait rien à réprimer dans cette manifestation fasciste. C’est comme si nous étions au milieu de la Marche de la Famille avec Dieu pour la Liberté, qui a ouvert les portes de la dictature militaire (en 1964).

Dans la nuit de jeudi, la gauche était une fois de plus totalement confuse. A São Paulo le « viens dans la lutte » veut dire maintenant contre le PT (Parti des travailleurs, parti socialiste brésilien actuellement au pouvoir) ; le « qui ne saute pas veut payer le bus » s’est transformé en « qui ne saute pas est partisan du PT » et le « viens dans la rue, viens contre l’augmentation du tarif » s’est transformé en « viens dans la rue, viens contre le gouvernement ». La haine contre la Globo (principale chaîne de télé brésilienne) et les autres émissions de télévisions seraient justifiées par le fait qu’elles sont gauchistes et feraient le jeux du gouvernement. L’immeuble de la Fédération des Industries de São Paulo (FIESP) (medef de São Paulo) a été illuminé aux couleurs du drapeau brésiliens. Les cris de « eh, FIESP va te faire foutre » se sont transformé en hymne nationale.

La nuit de jeudi à vendredi et durant le vendredi, cette masse a pris corps et sens. Aujourd’hui samedi, il n’y a plus de doute : fruit de la réactions des grands médias et des conservateurs à la révolte de la semaine passée, cette masse est aujourd’hui un mouvement fasciste à a recherche d’un leader. Ce mouvement fut appelé par Passa Palavra (site de contre-information brésilien) de « Révolte des conxinhas » (c’est-à-dire révolte de la classe moyenne aisée brésiliennes) : passapalavra.info/2013/06/79726.

Ce cadre nous pose un défi. Premièrement comment répondre à cet avancé fasciste et deuxièmement comment attaquer directement la structure des moyens de communication qui a impulsé le fascisme dans ce pays ?

Les fascistes parlèrent en faveur de la démocratie et contre la corruption dès le régime militaire (il y a eu une dictature militaire très forte au brésil en 1964 et 1985). Les discours, les euphémismes, le monopole des moyens de communication et le contexte politique sont effroyablement semblables à ceux de l’époque du coup d’état de 1964. On a même un certain anachronisme avec l’apparition d’une lutte anticommuniste. Regarder la manchette du journal O globo après le coup d’état de 1964 « la démocratie est en train d’être rétablie ».

« Démocratie et paix » sont des euphémismes pour « dictature et ordre », « sans partis » est un euphémisme pour « parti unique » et « sans violence » est un euphémisme pour « sans résistance ».
Il apparaît que les craintes conspiratrices d’il y a deux jours ce sont transformés en une réalité redoutablement consistante, de la même façon que les peurs d’il y a un mois face au pouvoir de l’église évangélique paraissent beaucoup préoccupantes à l’intérieur de ce nouveau scénario.

Il est urgent de répondre au fascisme. Nous nous trouvons peut-être à un moment où les questions sont plus sincères que les réponses. Que signifie notre participation dans les rues ? Que signifie notre participation aux grandes manifestations aux cotés des fascistes ? Que signifie la lutte dans le centre ? Comment fortifier la banlieue et les secteurs populaires ? Comment créer une résistance matérielle et consistante face au fascisme ? Comment fortifier nos canaux de communication ? Et peut-être encore plus important comment rester en sûreté devant la répression dans ce processus de résistance ?

Recife Resiste
Texte traduit à partir de : http://reciferesiste.org/o-que-estamos-vivendo/


Mon point de vue :

Depuis deux semaines, la télévision brésilienne ne passent que les images des actions violentes et des émeutes et condamne toutes les manifestations. Mais voyant que la majorité de la population était en faveur du mouvement et surtout contre les violences policières, le discours a changé. Les grands médias et l’ensemble de la classe politique appuie les manifestations mais demande à ce quelles se passent « dans la paix ». Ainsi on a une situation assez étrange ou l’équivalent du figaro ou de ouest france appelle les gens dans la rue.
Pour avoir vécu la manifestation de jeudi je partage en grande partie les constations de cet article. J’ai d’abord été impressionné par la masse de gens dans la rue, en un an au Brésil je n’avais pas vu une manifestation rassemblant plus de 200 personnes. Alors forcément 100 000 d’un seul coup ! A relativisé par le fait que lors du carnaval exactement au même endroit on dénombre 1 million de personnes.

Mais j’ai rapidement été surpris. Déjà le maire de la ville a déclaré le jour de la manifestation férié.et a bloqué toutes les rues du centre. La manifestation allait donc se dérouler comme n’importe quel événement sportif ou bien le carnaval, suivant un joli tracé bien défini. La présence policière est assez faible compte-tenu du nombre de gens et surtout de la présence habituelle.

Les manifestant-e-s abordent des pancartes faites à la main avec divers messages tous très vagues. Mais les messages réclament généralement un meilleur système de santé, d’éducation ou de transport. On m’a parlé de certains messages du style « la classe moyenne n’en peux plus, baisser les allocations familiales », mais je ne les ai pas vu. J’ai surtout vu de nombreuses pancartes « nous allons changer le Brésil », « le géant s’est réveille », des messages très vagues et avec peu de sens. De même les chants et cris n’avait pas grand chose de revendicatif : « viens dans la rue » « contre la corruption » … Et surtout « sans violence ». On a donc un mouvement regroupant de très nombreuses revendications sans forcément un rapport les unes entre les autres. Le mouvement se revendique volontairement apolitique.

J’ai surtout été surpris par l’ambiance qui était plus à la fête qu’à la lutte. Les chants et les ola se succèdent, sans les pancartes que tiennent une partie des gens, on pourrait très bien être à une célébration footbalistique ou bien au carnaval. Et surtout la plupart des manifestant-e-s portent un drapeau brésilien ou du maquillage vert et jaune. Les chants sont soit l’hymne national soit « ahaha c’est pernambuco (l’état fédéral de Recife) ». J’ai parfois l’impression d’être plus au milieu d’un auto célébration du pays que d’une manifestation. Il faut cependant dire que le nationalisme au brésil est quelque chose d’un peu différent d’en France. Il arrive de rencontrer des gens « de gauche » qui peuvent se dire nationalistes. En effet le nationalisme a une image de lutte contre l’impérialisme et pour l’indépendance. Du coup beaucoup de gens sans formation ou expérience politique, vont chanter et porter ce qu’illes connaissent et les rassemblent, l’hymne et le drapeau national. Je dis ça pour expliquer, pas excuser.

La manifestation s’est ainsi déroulée sans heurts a part quelques incidents très étranges ou certains manifestant-e-s ont voulu effectuer des actes de « vandalisme » alors que la masse des manifestants criaient « sans violence ». La police a voulu les arrêter et c’est presque comme si les manifestant-e-s avaient livrés les quelques « activistes » à la police. Les gens prenaient des photos avec les policiers.

Elle est allée sans but ni objectif jusqu’au centre avant de se disperser. C’est donc une manifestation extrêmement étrange où à la fois il y a eu énormément de monde mais sans aucun caractère revendicatif. Elles portaient des mots d’ordre très très vagues. En quelque sorte l’idée qui ressort de cette manifestation c’est que les manifestant-e-s aiment le Brésil, et pour cela veulent le changer pour on ne sait trop quoi mais sans violence et dans la paix. Je ne serais peut-être pas aussi négatif que l’article que j’ai traduit mais ce mouvement du moins à Recife est effectivement très bizarre.

Par ailleurs il faut quand même dire que de nombreuses personnes étaient présentes avec de véritables motifs et revendications. Une partie des manifestant-e-s étaient effectivement là pour lutter pour un meilleur système de transport, une meilleur gestion urbaine ou alors contre le libéralisme et même le capitalisme.
Je n’ai pas voulu traduire ce texte pour discréditer les mouvements sociaux actuels au Brésil qui sont véritablement une révolte populaire. Je voulais simplement montrer que le contexte n’est pas aussi simple du moins à Recife, je ne pense pas qu’il faille abandonner le mouvement mais au contraire amplifier la participation des militant-e-s libertaires pour contrer justement ces tendances étranges.

Lire sur Rebellyon : [Brésil] Résistons à la hausse des tarifs ! et Solidarité contre la persécution de la Federação Anarquista Gaúcha au Brésil.

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