Sommaire :
Comment bétonner en 5 étapes
Quelles luttes et quelle alternatives face au TOP ?
Lutter pour rendre son territoire vivant et vivable
L’objectif du TOP est de rejeter la circulation automobile du Centre-Ville de Lyon, de la Confluence et du tunnel de Fourvière vers l’Ouest de l’agglomération. Ainsi, Collomb avance que le TOP est nécessaire pour transformer l’A7 sur Lyon en boulevard urbain. Plus largement, il s’agit de dissocier le transit local (qui est censé se reporter sur le TOP) du transit national et international (qui est censé se reporter sur le projet de Contournement Ouest de Lyon [2] ). Le TOP absorberait également les véhicules venant de St-Etienne via le projet d’A45. En tout, il est prévu qu’il accueille 60 000 véhicules / jour. Pour ces promoteurs, le projet du TOP semble être la solution miracle pour faire disparaître les célèbres « bouchons » du tunnel de Fourvière.
Si le TOP est un projet autoroutier parmi tant d’autres, il permet néanmoins de révéler les logiques à l’œuvre avec ce type d’infrastructures. Sans surprise, le TOP pose les mêmes problèmes écologiques et démocratiques que les autres projets autoroutiers. Le TOP est également un projet intéressant à étudier car les enjeux locaux qu’il soulève illustrent tout à fait les processus d’accumulations capitalistes autour des enjeux urbains.
Comment bétonner en 5 étapes
1re étape : Déposséder les riverain(ne)s de la prise de décision
Celles et ceux qui sont polluéEs ne sont pas forcément celles et ceux qui profiteront de l’infrastructure et qui la décideront. En effet, il faut habiter à côté d’une sortie d’autoroute pour bénéficier de l’infrastructure au quotidien. Quant à la prise de décision, la CNDP reste un simulacre de participation de la population. Cette commission ne rend qu’un avis, qui ne sera pas forcément suivi par les autorités. A vrai dire, elle ne possède aucun pouvoir règlementaire ou de sanction et semble bien n’être qu’un alibi.
La conclusion du texte « à Grenoble plus ailleurs, l’important c’est de participer » [3] résume très bien le rôle de la CNDP :
il n’est jamais question de donner directement le pouvoir au peuple mais de créer des interfaces entre lui et les dirigeantEs. Il n’est jamais question de remettre en cause les principales décisions mais de mieux les faire passer en concédant quelques petits aménagements et en présentant les structures associées comme seul moyen de médiation. Tout en présentant les positions plus radicales comme malhonnêtes, erronées et non constructives.
Au lieu de politiser les débats en les amenant sur la place publique, on cherche plutôt à les restreindre encore plus aux seuls aspects techniques en plaçant les participantEs dans une fonction de « citoyen expert ».
Si vous voulez vous donner un avis par vous-même, jetez donc un coup d’œil au dossier de presse du Grand Lyon sur le projet [4] et à la plaquette de présentation [5] . Vous verrez que le débat va être restreint à la présentation de trois scénarii différents (un tracé court, un tracé long et une « hypothèse sans infrastructure routière nouvelle »). La ficelle est relativement grosse : pour éviter un débat politique abordant les questions de fond , il va être offert un choix entre trois options techniques. Une option pro-voitures, une option radicale (sans nouvelle voirie) et enfin une option intermédiaire qui pourra être présentée comme la seule raisonnable.
La composition de l’équipe chargée du débat public sur le TOP est particulièrement intéressante. Il y aura un Président et quatre animateurs et animatrices. Le principe est de réunir des spécialistes des questions environnementales et des profanes, pour donner plus de crédibilité à la démarche et orienter les débats vers la recherche de « compromis ». Deux personnes dans l’équipe ont un profil qui retient l’attention :
- le Président (Phillippe Marzolf) est un éco-conseiller qui a travaillé pour l’association Orée [6] et l’entreprise Auxilia [7]. Autrement dit, un expert du conseil aux entreprises dans le domaine du développement durable. De nombreuses entreprises ont en effet compris que le "vert" et le "durable" pouvaient être des atouts dans la course au profit, voire même une manière de redorer le blason d’une économie de marché accusée de tout les maux par l’ « opinion publique ». Le capitalisme vert a de beaux jours devant lui... En tout cas, nous pouvons nous attendre à voir le TOP repeint en projet écologique qui favorisera les modes doux grâce à sa voie réservée au bus.
- le représentant du WWF France. Il va jouer le rôle de caution écolo du débat, à l’image des Amis de la terre lors du débat sur les nanos (l’association a reconnu par la suite avoir commis une erreur en participant à ce débat). Ainsi, la CNPD pourra expliquer que les réunions auront été contradictoires et auront mis en avant tout les points de vue, même ceux des écologistes. Rappelons toutefois, que le WWF est loin d’être une asso irréprochable et peut même parfois être un allié objectif du capitalisme [8] .
La CNDP se vante d’être une instance parfaitement indépendante des décideurs du projet. Les marchés du Grand Lyon relatifs à l’organisation des réunions publiques pour le TOP vont même jusqu’à préciser que : "Pour préserver l’indépendance de la CPDP, le prestataire ne devra avoir de lien ni avec les différents acteurs du débat ni avec le maître d’ouvrage (en l’occurrence le Grand Lyon)". Il est pourtant difficile d’imaginer qu’une entreprise va prendre le risque de déplaire à un client aussi important que la Communauté Urbaine de Lyon.
La CNDP se distingue par sa dimension spectaculaire. Pour le TOP, le paquet va être mis sur la communication : utilisation des nouvelles technologies et des réseaux sociaux [9], buffets, hôtesses d’accueil, conférence de presse, jeux de rôle etc... Tout est prévu pour rendre le spectacle de la réunion publique sympa, pour faire venir les foules, les divertir et les mettre à l’aise. Mais on peut se demander si cela est vraiment le but de la CNPD : le débat sur les nanos avait été très peu annoncé, à peine un timbre poste dans le Progrès. Il est sans doute plus vraisemblable que l’objectif est de faire bonne impression devant les « relais d’opinion », les journalistes, les éluEs, les patron(ne)s, les hautEs fonctionnaires etc... en bref de convaincre celles et ceux qui détiennent réellement un pouvoir de décision dans la société actuelle.
Enfin, les promoteurs de ce type de projet jouent sur la division - entre les usagers, les riverain(ne)s et les bâtisseurs des infrastructures – pour mieux s’accaparer les prises de décision. Les unEs seront caressés dans le sens du poil en tant que bénéficiaires du projet, les autres seront soit méprisés soit achetés, les derniers gagneront le droit de se taire et l’aliénation au travail. Mais tous et toutes sont appeléEs à s’incliner et à se sacrifier dans la joie et la bonne humeur pour le développement de la métropole lyonnaise.
2e étape : engraisser les géants du BTP (ouvrir de nouveaux marchés et collectiviser les dépenses)
Le TOP représente un coût faramineux : 2 milliards d’euros minimum pour seulement une quinzaine de kilomètres ! Il est envisagé qu’il soit payé moitié moitié par le Grand Lyon et le Département (l’Etat a jeté l’éponge car il estime que le projet est trop coûteux). Ce coût élevé s’explique car la majeure partie du projet est sous tunnel : il faut croire que les habitantEs friquéEs de Charbonnières sont plus sensibles à la pollution que les riverain(ne)s du tronçon Est du périph’. A titre de comparaison, 2 milliards d’euros seraient suffisants pour doubler le réseau de métro de l’agglomération.
Quant à l’entretien de l’ouvrage, il devrait être financé en partie par les usagers via un péage (qui au passage risque d’encourager les automobilistes à continuer à prendre le tunnel de Fourvière). Mais différentes pistes sont étudiées pour financer la plus grosse part des coûts d’entretien. On sait que les concessionnaires d’autoroutes s’en mettent plein les poches sur le dos de l’Etat [10] , espérons donc que le Grand Lyon ne choisira pas la concession et aura retenu la leçon de TEO (le contrat de concession liant la communauté urbaine à Bouygues fut annulé suite à un recours d’E. Tête et suite à la colère des lyonnais face au prix élevé du péage ; finalement, le Grand Lyon a dû racheter l’infrastructure de TEO quelques semaines après sa mise en service).
Dans tous les cas, la manne financière représentée par la construction et l’entretien du TOP est une aubaine pour les multinationales du BTP en mal de débouché dans cette période de "crise".
Le capitalisme est étranglé par les excès de la finance ? L’Etat investit pour venir à son secours, avec la bénédiction de la social-démocratie, en donnant directement de l’argent aux banques ou comme ici en offrant sur un plateau des nouveaux marchés juteux. La privatisation des profits et la collectivisation des dépenses est un moteur habituel pour assurer la pérennité du système. Malgré leurs discours libéraux, les multinationales savent qu’elles ont tout intérêt à la mise en place de politiques de grands travaux financés par des fonds publics. Les contribuables payent et les capitalistes encaissent !
3e étape : construire une infrastructure en s’asseyant sur les politiques environnementales
S’asseoir sur la préservation de la biodiversité :
Le TOP et ses échangeurs vont traverser des espaces naturels et agricoles qui comportent de nombreux enjeux en termes de biodiversité : corridors écologiques, espèces protégées, cours d’eau etc… Les associations de riverain(ne)s et écologistes ont d’ailleurs réalisé un inventaire à ce sujet [11] . Les dégâts seront également considérables sur un plan strictement paysager, à l’image des abords de l’hôpital Lyon-Sud à St-Genis-Laval qui seront saccagés par des échangeurs.
Les maitres d’ouvrage d’infrastructures de transports de la taille du TOP ou du TAV ont l’obligation règlementaire de mettre en œuvre des « mesures compensatoires » en faveur de la biodiversité. En échange des destructions des écosystèmes sur le parcours du projet, ils doivent investir dans la protection de la nature (restauration de zones humides, reboisement etc...) à d’autres endroits. Ce système pose la question de l’évaluation des destructions : comment attribuer un prix à des biens par définition inestimables ? Et d’autre part, comment évaluer l’efficacité à long terme des compensations ? A l’image des quotas d’émissions de CO2 dans l’industrie, ce système de « mesures compensatoires » est une application stricte du dogme ultra-libéral. La biodiversité est considérée comme un capital à préserver, mais que l’on peut moyenner, échanger, stocker, économiser... Il existe même une banque qui gère des mesures compensatoires [12] !
S’asseoir sur la prévention des risques technologiques :
Une particularité du TOP est qu’il va être concerné par les Plans de Prévention des Risques Technologiques, actuellement en cours de rédaction. Il va en effet déboucher au pied des sites industriels de la chimie à St-Fons et Pierre-Bénite. Mais si les riverain(ne)s vont devoir raquer (voire être expropriés dans certains cas [13] ) pour mettre en œuvre ces plans de prévention, le TOP pourra lui traverser ces zones à risque sans discussion.
S’asseoir sur la lutte contre le tout bagnole et l’étalement urbain :
La création de nouvelles infrastructures routières peut conduire à un appel d’air en faveur de l’utilisation de l’automobile : rendre le réseau routier plus fluide, c’est aussi rendre la voiture plus attractive (et donc pousser les gens à habiter de plus en plus de loin de leurs lieux de travail). La saturation actuelle de la Rocade Est de Lyon s’explique d’ailleurs en partie par cet effet d’appel d’air. Cette rocade, censée soulager le périph’ à l’origine, a accéléré l’urbanisation des communes de l’Est de l’agglomération (devenues facilement accessibles en voiture) et elle se retrouve aujourd’hui asphyxiée par le transit de proximité.
La création de nouvelles infrastructures (le « désenclavement ») accélère en général les déséquilibres territoriaux au profit du territoire le plus développé et le plus attrayant. En réduisant les temps de parcours entre campagne et ville, le risque est grand de voir s’étendre les campagnes « dortoirs ». Les ex-citadins venant y habiter viennent consommer de l’espace sur place (souvent au détriment de l’agriculture ou des espaces naturels) mais vont vendre leur force de travail et dépenser leurs revenus en ville.
S’asseoir sur la relocalisation de l’économie :
Le même effet d’appel d’air peut jouer en faveur de la mondialisation. Dissocier le transit international du transit de proximité (grâce à la construction du TOP et du Contournement Ouest de Lyon) signifie rendre le transport de marchandises par route encore plus rentable en réduisant temporairement la saturation de la circulation aux abords de Lyon. Les beaux discours sur le « produire local » et la « relocalisation de l’économie » ne sont bien souvent qu’une façon pour les classes dominantes de se donner une bonne conscience écologiste et sociale à peu de frais. Mais dès qu’il s’agit de développement économique, tout les moyens sont bons pour faciliter les flux de marchandises à travers le monde.
4 ème étape : exacerber la concurrence entre les villes au service des bourgeoisies locales et au détriment des classes populaires (la gentrification)
Le TOP ne voisinera pas uniquement avec des quartiers huppés, on trouve également des quartiers populaires sur son chemin (l’Arsenal, Haute-Roche, Champlong...). Certains entendent profiter de l’opportunité du TOP pour venir gentrifier (embourgeoiser) quelques-uns de ces quartiers. Collomb va même jusqu’à présenter ce processus comme une compensation concédée aux communes en échange de l’acceptation du projet. Le cas le plus frappant étant sans doute le projet d’éco-quartier de La Saulaie à Oullins. Le développement durable [14] est en effet bien souvent un levier pour faire progresser les prix des loyers et ainsi chasser les classes populaires (il suffit de comparer le prix au m² d’un logement HQE avec un logement normal).
Mais la gentrification ne s’arrête pas aux seuls quartiers situés à proximité du TOP. L’un des buts, voire même le but principal, est d’accroitre le rayonnement international de Lyon [15] .
Cette politique est renforcée par la mise en place de la « métropolisation », les principales agglomérations se recentrent au sein de métropoles destinées à acquérir une taille urbaine suffisante pour concurrencer les autres grandes villes européennes que sont Barcelone, Munich, Milan ou Bruxelles. Il faut savoir qu’il est de coutume de mesurer le rayonnement international des métropoles au prix des loyers. C’est une confirmation que la Ville rêvée par Gégé n’est pas une ville destinée au plus grand nombre mais au contraire une ville réservée aux classes dominantes qui pourront s’offrir des logements hors de prix [16] . La phrase de Collomb « Aujourd’hui, les gens ont envie de venir vivre à la Duchère. Je suis sûr que dans quelques années, on parlera même des bobos de la Duchère » révèle cette volonté de bâtir une ville à destination des bourgeois de gauche. En effet, cette catégorie sociale est la main d’œuvre la plus intéressante pour les activités économiques qui font rêver nos décideurs (la recherche et développement, la communication, la culture, la mode, les nouvelles technologies de l’information etc...).
Ce n’est pas tant la qualité de vie des riverain(ne)s de Perrache qui motive le projet du TOP, mais plutôt la volonté de préserver un Centre-Ville touristique et vendeur dans un contexte de concurrence mondiale entre les métropoles. C’est à dire préserver un Centre-Ville transformé en « Disneyland » [17] luxueux [18] , pittoresque (Vieux Lyon), spectaculaire (la Confluence et son musée) et donc rayonnant à l’international. Pour cela, il est nécessaire de rejeter à la périphérie tout ce qui pourrait nuire à l’image de marque de la ville aux yeux des investisseurs (les autoroutes mais aussi les prisons, le marché gare, les stations d’épuration, les industries lourdes, la prostitution, les camps de rroms etc etc...). Ceci n’est pas un phénomène nouveau, disons plutôt que le quartier de la confluence a vocation à passer du statut de quartier à l’écart de la ville (le quartier derrière les « voûtes » de Perrache) au statut de quartier intégré au Centre-Ville.
5e étape : mettre la science au service du marketing territorial
Outre son côté « communication », le passage de la dénomination « TOP » à la dénomination « anneaux des sciences » est également une manière d’inscrire le projet dans cette concurrence pour le rayonnement international des métropoles. La science est indispensable pour attirer de nouvelles entreprises friandes d’innovations, de matière grise et de cadres dotés d’un gros capital économique et culturel. Mais si les connaissances scientifiques sont nécessaires, on est en droit de s’interroger sur les potentialités ouvertes par ces recherches. Le long du « TOP / anneaux des sciences », on retrouve le pôle de compétitivité Axelera (ces « pôles de compétitivité » qui remplissent les caisses des industriels de subventions [19]] ), des écoles de commerces et de management (pour former les futurEs petits chefs [20] ) ou encore Tech Sud Biopôle (pour financer des recherches sur les biotechnologies afin d’accélérer la marchandisation du vivant [21] ). En bref, dans bien des cas, la science est utilisée pour donner toujours plus de pouvoir au « système technicien ». Il est également paradoxal d’associer la recherche sur la santé à une autoroute quand on sait que la pollution de l’air aux particules fines est responsable de 42 000 morts par an [22] .
Ces 5 étapes ne sont toutefois pas inéluctables, il existe de nombreux modes d’action qui peuvent mettre à mal les ambitions des bétonneurs. Le sud de Lyon est un territoire déjà impacté par des nuisances existantes (A7, industries...) et à venir (le CFAL [23] , A45, SITA à Ternay [24] ...), aussi de nombreux riverain(ne)s sont prêt à se faire entendre.
Quelles luttes et quelle alternatives face au TOP ?
Des élus locaux qui se vautrent dans le NIMBY (« pas dans mon jardin ») :
Les élus locaux ne voulant pas aborder le fond du problème proposent de faire passer le TOP chez leurs voisins. Le Maire d’Irigny demande le passage du TOP sur Oullins et le maire d’Oullins le passage du TOP sur Irigny ! Il est facile ensuite pour les promoteurs du projet de se présenter comme les défenseurs de l’intérêt général face aux intérêts égoïstes des riverains.
Des assos de riverain(ne)s et des assos écologistes heureusement plus combattives
Des associations de riverain(ne)s ainsi que des organisations politiques et écologistes ont formé une coordination contre le TOP baptisé « stop au TOP » [25] . Ils et elles réalisent un travail salutaire pour mobiliser les habitantEs impactéEs par le projet en organisant des réunions publiques, en mettant la pression sur les élus, en émettant des contre-propositions etc… Les solutions alternatives proposées reposent essentiellement sur le recours à une ligne forte de transports en commun : télécabine pour aller de Confluence à Francheville, tram-train, bus en site propre etc…
Il est évident que des transports collectifs seront préférables à la voiture individuelle du point écologique comme du point de vue social. Mais il est des questions que nous ne pourrons pas éluder à l’avenir comme l’origine de l’énergie nécessaire au fonctionnement de ces transports en commun, la desserte des périphéries péri-urbaines peu denses ou encore la revendication de la gratuité du réseau pour les usagers [26] .
Fédérer les luttes pour établir un rapport de force en notre faveur : sortir du NIMBY
Ne nous leurrons pas, seule une révolution sociale permettra de sortir de cette obsession pour les grands projets mégalo. Mais la révolution ne tombera pas du ciel, elle suppose de créer un rapport de force en notre faveur pour espérer pouvoir enrayer la machine (et donc renforcer les combats contre les grands projets aussi bien au niveau de l’intensité des luttes qu’au niveau du soutien des populations concernées).
Pour créer un rapport de force, fédérer les différents collectifs est un passage obligé. Ceci permet d’échanger des expériences, de contrer les discours de type NIMBY, de peser contre les organes de répressions, en bref, de se faire entendre.
Dans ce but il est nécessaire de rappeler ce que toutes ces luttes, locales et égoïstes au premier abords, ont en commun : le refus de la dégradation et de la marchandisation de son environnement, la volonté de peser sur les décisions, la formulation de propositions alternatives de déplacement.
Il s’agit dans un second temps de porter un discours critique plus global pour s’attaquer aux causes (les rapports de domination et en l’occurrence ceux imposés par l’existence du capital et de l’Etat) plutôt qu’aux symptômes (les grands projets) [27] .
Porter un discours global et révolutionnaire peut sembler en contradiction avec le travail de terrain à l’échelle du quartier. Ce travail est pourtant nécessaire pour pouvoir sensibiliser les riverains, ces derniers étant souvent plus réceptifs pour défendre leurs intérêts présents et immédiats que pour lutter contre un système plus lointain et pour leurs intérêts à long terme. Pour résoudre ce dilemme, il importe d’articuler les revendications « concrètes » et « immédiates » avec une attaque contre les objectifs même poursuivies par les « bétonneurs ». A cet égard, la campagne contre la société Vinci est particulièrement intéressante car elle démontre que différentes luttes locales s’attaquent à une même logique à l’œuvre à l’échelle mondiale [28] .
Se réapproprier les prises de décision :
En découvrant des projets tels que le TOP, les riverain(ne)s s’aperçoivent vite que s’ils ne s’intéressent pas à la politique, la politique s’intéresse à eux ! C’est l’occasion en tant que libertaires de rappeler que le pouvoir est un danger : en l’absence de volonté de se réapproprier les prises de décision, les rapports de force seront toujours à l’avantage des dominantEs. L’enjeu est de rentrer dans le champ politique (au sens noble du terme, celui de la participation à la « vie de la cité ») par des pratiques alternatives aux pratiques imposées par les institutions (réunions publiques, calendrier électoral etc...), tout en boycottant ou perturbant ces dernières.
Concrètement, ces pratiques alternatives peuvent prendre la forme de nouvelles instances de décision à la base, par exemple avec la création de comités d’usagers des infrastructures de transport. Et pour les projets d’envergure dépassant le cadre local, les décisions pourraient être prises au consensus dans un cadre fédéral afin de respecter le point de vue de toutes les parties concernées par le projet [29] . Toutefois, la réappropriation de la prise de décision signifie également d’être en capacité de décider aussi bien de la pertinence d’un projet d’infrastructure que des modalités de sa mise en œuvre et de ces évolutions futures. La décision ne peut pas se baser uniquement sur des fondements théoriques : il est nécessaire d’articuler la réflexion avec l’expérimentation sur le terrain. De ce point de vue, les ateliers d’urbanisme peuvent être des outils très intéressants pour impliquer riverains, bâtisseurs et usagers dans la prise de décision [30] . Au-delà des classiques comités, ateliers ou AG, il est également possible d’imaginer collectivement de nouvelles formes urbaines grâce à des expériences plus innovantes et qui tiennent mieux compte des dimensions affectives, ludiques et sensibles (je pense notamment à la psycho-géographie et aux dérives urbaines proposées par les situationnistes).
Le revers de la médaille est que généralement la nouveauté inquiète et vient bousculer les habitudes, au risque de faire fuir les premierEs concernéEs et de ne se retrouver entre militantEs. Pour éviter ceci, la difficulté est de pouvoir intéresser les riverain(ne)s à ces nouvelles pratiques, de faire en sorte qu’elles s’intègrent dans la vie du quartier ou du village impacté par le projet. C’est un véritable travail de fourmi qui est nécessaire pour se faire accepter et pour se faire connaître (des diffs de tracts ou des tables d’infos sur un marché peuvent paraître fastidieuses mais elles permettent une présence effective dans la rue). Au sein des lieux de décisions, il est important de savoir laisser de côté ses habitudes et attitudes propres à nos milieux libertaires, et surtout savoir écouter ce que les « non-mililitantEs » ont à dire. Des espaces tels que des camps autogérés peuvent être utiles, comme lieu de rencontre ou comme base arrière pour préparer des actions, mais à la condition que ce ne soit pas au détriment de la création de liens avec et entre les riverains.
Repenser l’organisation des déplacements
Au-delà des revendications immédiates sur le développement des modes de déplacements doux, c’est toute l’organisation actuelle des déplacements qu’il est nécessaire de repenser. Aujourd’hui, l’organisation centralisée des transports en commun (réseau TCL en forme d’ « étoile » dont les branches se rejoignent en direction de la Part-Dieu) contraint les classes populaires qui habitent en périphérie à s’équiper en voiture. En effet, la faible desserte d’une périphérie à l’autre rend la vie très difficile aux habitantEs de « banlieue » qui voudrait se passer de véhicule à moteur, à cause par exemple de la quasi-impossibilité de trouver un emploi sans permis de conduire. Les classes populaires subissent ainsi une quadruple peine :
- elles supportent le coût élevé des voitures (achat, essence, assurance, entretien, péages…)
- elles respirent un maximum d’air pollué (c’est dans l’habitacle des voitures que l’on respire le plus d’air vicié [31] )
- elles sont stigmatisées, à l’image du « beauf » qui pollue par opposition au « bobo » politiquement correct du centre-ville qui va au travail en vélo’v.
- elles habitent généralement à proximité immédiate des infrastructures qui engendrent le plus de nuisances.
Face à cette organisation actuelle des déplacements, nous pourrions imaginer une planification décentralisée des déplacements qui échapperait à la logique marchande. Je ne parle pas de la décentralisation administrative qui a été mise en œuvre en France, elle est en réalité une mise en concurrence entre les collectivités territoriales dans un contexte de réduction des dotations de l’Etat (et de suppression de la taxe professionnelle). Je parle plutôt de décisions prises à la base en fonction de l’utilité sociale des projets de transport et non en fonction d’impératifs économiques, politiciens ou techniques.
Par sa nature même, un projet d’infrastructure peut répondre aux besoins du plus grand nombre ou être réservé à une élite. Ainsi, le réseau de TER dessert une population importante, ne serait-ce que par le nombre de gare et son prix relativement modeste pour l’usager, et il est organisé à l’échelle régionale. A l’inverse, le TGV va surtout profiter aux classes plus aisées, il ne desservira que quelques gares dans de grandes agglomérations et sera imposé par les décideurs nationaux, voire européens.
Une nouvelle organisation des déplacements suppose une évolution globale de l’urbanisme et de la société. Il s’agit de faire diminuer les déplacements quotidiens, de rapprocher les lieux d’habitat des lieux d’activité. Le coût élevé des infrastructures de transport est due notamment à l’étalement urbain : des ZUP à l’horizontal (lotissement) viennent remplacer les immeubles des ZUP verticales. Si la décentralisation n’est pas la concurrence entre quartiers ou entre collectivités, elle ne doit pas non plus être synonyme de dispersion, d’isolement, de gaspillage. Bien au contraire, elle doit s’articuler autour d’espaces de rencontres (que peuvent être les arrêts de transports en commun), de centres urbains à taille humaine.
Ce passage du fanzine « désurbanisme » consacré aux transports résume bien ce que pourrait être une ville qui ne serait pas sacrifiée à l’automobile :
détruire les villes, c’est détruire ses fondements, c’est détruire les rapports urbains : puisque tout le monde ne peut pas aller vivre à la campagne, il faut qu’on s’organise pour améliorer notre vie en ville, et que la ville soit le théâtre des réalisations de vies, et non plus celui de la barbarie capitaliste orchestrée par les puissants de ce monde. En abordant cette question des transports, on peut proposer un modèle de ville différent, émancipateur des individuEs, non-excluant vis à vis de celles et ceux qui n’ont pas de bagnole, et qui favorise les rapports de proximité : la vie de quartier. Ce modèle alternatif peut être proposé si on considère que les transports collectifs peuvent être aussi structurant que l’a été l’automobile
Lutter pour rendre son territoire vivant et vivable
Un projet comme le TOP-anneau des sciences est imbriqué dans des mécanismes de pouvoir, de destruction de l’environnement, de gentrification, de concurrence entre métropoles ou encore de technocratie. Lutter contre les projets d’infrastructures démesurés tels que celui-ci, c’est aussi combattre les logiques capitalistes d’exploitation, des ressources naturelles comme des humains, qui conduisent à des inégalités sociales et territoriales de plus en plus grandes. Mais c’est aussi lutter pour le droit de vivre dans un environnement décent, le droit à une existence digne et à l’émancipation pour tous et toutes sur son lieu de vie. Fédérer les oppositions aux grands projets démesurés est une nécessité mais ces oppositions ne peuvent rester déconnectées des autres combats concernant l’aménagement du territoire et l’urbanisation [32] . Rendre un territoire vivable, c’est être présent au quotidien sur tout les fronts de l’urbanisme de « classe » qu’on nous impose : pour le droit au logement en luttant contre la spéculation immobilière et contre les expulsions, pour défendre son cadre de vie en créant des jardins collectifs, pour les intérêts des travailleurs et travailleuses qui font fonctionner le territoire (à l’image de la lutte récente des éboueurs du Grand Lyon), pour une ville débarrassée des technologies de flicage, pour la création de crèches et de centres sociaux autogérés pour les jeunes, pour le droit à la santé pour tous et toutes etc etc… .
Parce que nous vivons dans un même territoire et que nous faisons face aux mêmes logiques de domination, parce que nous construisons tous et toutes (en tant qu’utilisateur, contestataire, travailleur et travailleuses, habitantEs etc...) l’environnement qui nous entoure : multiplions les luttes et les alternatives là où nous vivons !
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