« Ils ne m’ont jamais informée, comme s’ils avaient abattu un chien errant »

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Comptes-rendus de justice | Meurtre policier

Le 19 août 2022, Adam a été tué par la police. Comme souvent dans ces affaires, sa mère a été informée par la presse. Le procureur affirme que l’identité d’Adam n’a été établie que l’après-midi. Pourtant dès le matin, Darmanin présentait Adam comme un jeune « défavorablement connu ».

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Illustration de Laffrance

Ce récit est le premier volet de notre dossier « Homicides policiers : qui fabrique le silence ? ».

Ibrahima Bah, Gaye Camara, Cédric Chouviat, Lamine Dieng, Wissam El Yamni, Joseph Guerdner, Adama Traoré ont été tués par la police. Mais ils ont un autre point commun : leurs familles n’ont pas été informées tout de suite par les autorités, qui la plupart du temps, ont préféré se tourner d’abord vers la presse. Fatiha, la maman d’Adam, n’a jamais été informée officiellement. Adam et Raihane ont été tués par la police à Vénissieux (près de Lyon) dans la nuit du jeudi 18 au vendredi 19 août 2022, juste après minuit. Voici le récit de Fatiha.

« Le jeudi, je devais me rendre à Amplepuis [à 60 km de Lyon]. J’ai vu Adam à 11h à la maison, il partait à un rendez-vous chez son conseiller Caisse d’Épargne car sa mamie lui avait donné des sous. Il m’a parlé d’un projet qu’il me dévoilerait plus tard. Je lui ai demandé : “Je pars à 17 heures, je te verrai avant de partir ?“” Il m’a répondu oui. Mais à 16h, ne le voyant pas je l’ai appelé et il m’a dit qu’il ne serait pas là avant mon départ : “On se verra samedi alors“. Et je suis partie. Ils l’ont tué le soir-même.

La famille refoulée des commissariats

Le vendredi vers 19 h, je vois que j’ai un appel manqué, d’un numéro inconnu, avec un message. Je l’écoute immédiatement. C’est une vieille dame de notre immeuble, elle aimait beaucoup Adam, elle me dit “Rappelez moi”. Je la rappelle, et elle me dit “Ils l’ont tué, Adam, la police a tué Adam – Mais qu’est-ce que vous racontez ? Je crie. – Dans le journal ils ont dit Adam B.“. C’était dans la presse, et elle avait vu et entendu des copains à lui, venus dans l’immeuble pour sonner chez nous, donc elle avait compris.

J’appelle Adam, plusieurs fois, je tombe sur le répondeur, invariablement. Je comprends qu’il est mort : d’habitude il me répond toujours. J’appelle son père, il ne répond pas. Je n’ai pas de voiture, mais je trouve le moyen de redescendre à Lyon. J’appelle ma sœur, elle a entendu parler de l’affaire, mais elle n’imaginait pas que c’était Adam.

Alors je commence à appeler les commissariats. Je crois que j’ai appelé le commissariat du 1er/ 4e arrondissement, du 3e, et l’hôtel de police, je ne sais plus très bien. Soit ça ne répondait pas, soit on me faisait patienter une fois que j’avais expliqué mes craintes, puis on me disait : “On ne peut rien vous dire, un OPJ [officier de police judiciaire] vous contactera ou viendra vous voir, si c’est bien votre fils. Ce n’est pas de notre ressort“. Une femme, après m’avoir fait patienter, a terminé l’appel par un “bon courage madame“. Ma sœur a été au commissariat. Elle a été refoulée. Mon beau-frère y a été aussi. Il a été refoulé.

Rendez-vous à l’IGPN

On me dissuade donc de me rendre à l’hôtel de police, je rentre chez moi pour la nuit de vendredi à samedi. Ça fait 24 heures que mon fils est mort et je ne le sais pas ! Nuit blanche, nuit d’angoisse, la pire de ma vie. A 2h du matin, le téléphone fixe sonne. C’est la maman d’une camarade de collège d’Adam. Elle a trouvé mon numéro dans l’annuaire. Elle me dit “Oui, c’est vrai, c’est bien Adam” .

Samedi matin à 10h, je reçois un appel de l’IGPN, une commandante qui me dit : “Vous savez ce qui s’est passé ?” Je lui réponds “Non ! Vous allez me le dire“. Elle me dit “Ce n’est pas mon rôle, c’est à un OPJ de se rapprocher de vous, moi je vous appelle pour vous demander de venir à l’IGPN lundi matin“.

Quand on arrive à l’IGPN avec mon avocat, le chef de la délégation de Lyon me présente ses condoléances, il a l’air plutôt empathique, puis il me pose des questions sur Adam, sa vie, ses relations. Quand j’ai demandé ce qui s’était passé, il m’a dit que ce n’était pas l’objet de cette audition, qu’il s’agissait pour lui de recueillir des informations pour les transmettre au parquet. À la fin de l’entrevue j’ai exprimé mon incompréhension et ma colère quant au fait que personne ne s’était soucié de m’informer, il a approuvé : “Oui, on aurait pu faire mieux“. J’ai répondu : "Vous n’auriez pas pu faire pire !" Ils ont vaqué à leurs occupations, sans m’informer, comme s’ils avaient abattu un chien errant. »

Échanges de lettres avec le procureur

Le 2 septembre 2022, Fatiha écrit au procureur. « J’ai perdu mon enfant unique, autant dire l’essentiel. À la violence de cet arrachement s’ajoute une autre violence, institutionnelle, qui me taraude et me conduit à vous saisir : Dans le déroulement des événements, aucun officier de police judiciaire n’a jugé utile, nécessaire, digne, de m’informer, pas même au téléphone. Mon fils était immédiatement identifiable, mes coordonnées étaient disponibles. Néanmoins, ce sont la rue, la presse, le voisinage qui ont amené la rumeur jusqu’à moi me plongeant dans un calvaire dont on n’a pas idée. Plus tard, j’ai été entendue par l’IGPN sans que les faits me soient énoncés ! ».

Sans réponse du procureur après trois mois, elle le relance par une autre lettre, le 2 décembre. Fatiha raconte : « J’ai prévenu une juriste d’une association d’aide aux victimes que si je n’avais pas de réponse à cette relance, je contacterais la presse. Le procureur a dû en être informé car il m’a répondu dès le 6 décembre. Dans sa lettre, il écorche l’orthographe et la prononciation du nom de famille d’Adam. »

Nous avons consulté cette lettre, signée du procureur adjoint Alain Grelet, en charge des dossiers impliquant les forces de l’ordre dans la région lyonnaise. Le nom de famille d’Adam est en effet (franchement) écorché. Le procureur affirme : « dès que l’identité de votre fils a pu être établie de manière certaine par l’enquête, soit le 19 août 2022 en début d’après-midi, la Sûreté départementale du Rhône […] a alors dépêché un équipage de police à votre domicile dans le but de vous informer […]. Vous nous avez depuis fait savoir que vous étiez effectivement absente ».

Médias informés, pas la famille

Dans une réponse au procureur, datée du 8 décembre, Fatiha, diplomate, réplique : « Les informations qu’on vous a communiquées sont manifestement erronées voire trompeuses […]. Si l’identité de mon fils n’a été établie par la police qu’en début d’après-midi, les journalistes, eux, la connaissaient déjà à 8 heures du matin de même que le ministre de l’Intérieur, et ils le qualifiaient déjà de jeune “très défavorablement connu des services de police“, ce qui est absolument faux ! ».

À 8h40 le vendredi, alors que Fatiha n’est au courant de rien, c’est BFM qui donne la nouvelle. Seul l’âge des deux victimes (dont l’une n’est pas encore décédée) est donné. Quelques minutes plus tard, l’AFP publie une dépêche. Dès 9h, Le Progrès indique que les deux jeunes sont « défavorablement connus ». À 11h, Gérald Darmanin précise à BFM qu’ils sont « très défavorablement » connus des services de police. Mais donc « connus », bien avant le début d’après-midi.

Une seule voix : celle de la police

Comme d’habitude, les « sources proches du dossier » égrènent le passé judiciaire supposé des victimes : en fait de simples soupçons inscrits sur des fichiers de police. Comme d’habitude, l’ensemble des sources officielles et officieuses racontent une seule et même version des faits : celle des policiers.

Le vendredi matin à 9h20, alors que personne n’a cherché à joindre Fatiha pour la prévenir, le procureur de la République indique dans un communiqué qu’un policier « se trouvait projeté sur le capot avant du véhicule » avant de tirer. Or, cette thèse est toujours débattue devant le juge d’instruction à ce jour.

Comme d’habitude, les seules voix qui s’expriment apportent leur soutien aux policiers. Sur BFM, toujours le vendredi matin, un représentant du syndicat Alliance dénonce « une banalisation de la violence » subie par les policiers. Vers 17h, l’avocat du policier « renversé » raconte comment son client est « abattu » (sic) et « a cru mourir ». Etc. Pendant ce temps, Fatiha ne sait pas encore qu’elle va connaître « la pire nuit de sa vie » en attendant qu’une autorité veuille bien lui confirmer la mort de son fils. Ce qui n’arrivera jamais.

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Dépêche AFP reprise sur leparisien.fr, 19 août 2022 à 11h12

Après l’autopsie

Fatiha poursuit : « Ensuite, on s’est occupé du permis d’inhumer, tout ça. On a pu voir le corps transféré de l’institut médico-légal six jours après le décès. Ma sœur m’a prévenue : “il a les yeux ouverts“. Je m’y suis préparée. Quand ils ont amené Adam sur le brancard, il avait la tête tournée à gauche, les yeux ouverts et la bouche entrouverte. Je me suis consolée en voyant qu’il n’avait pas une expression d’effroi mais plutôt d’étonnement. Je l’ai embrassé, il était froid et raide.

Une espèce de cordon foncé lui barrait le visage, nous n’avions aucune idée de ce que c’était. Au bout d’un moment, sa petite amie l’a touché. Il s’agissait juste d’une mèche très compacte de ses longs cheveux. Pour que cette mèche se soit placée ainsi, il a fallu que son corps soit manipulé avec bien peu d’égards ! Et avant cela, les secours, les médecins, ne pouvaient-ils pas le mettre dans une position de paix ? Ensuite, après l’action des pompes funèbres musulmanes et avant la cérémonie, on l’a revu, il reposait, les yeux fermés. »

Au cours de nos échanges, Fatiha se rappelle : « Sur l’acte de décès, pour l’heure du décès, il est mentionné “heure indéterminée” . Adam est violenté jusqu’à être privé d’un état civil complet ! Quand quelqu’un meurt, le médecin indique l’heure de constatation du décès non ? L’acte de décès est lui-même porteur de la violence qui nous a été faite ». Les médias eux, ont été informés de l’heure du décès par le procureur, dès le vendredi matin.


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Méthodo :

Le 26 septembre 2023, nous avons contacté le procureur de la République de Lyon pour obtenir une copie des communiqués de presse diffusés par le parquet sur cette affaire.

Sans réponse, nous avons relancé le procureur le 3 octobre.

Sans réponse, nous avons saisi la Commission d’accès aux documents administratifs le 30 octobre 2023.

Le 15 novembre (veille de la publication), le procureur nous a fait suivre les communiqués publiés par ses services les 19 et 20 août 2022 sur cette affaire.

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