Samir Tafer a déjà effectué 40 mois de prison alors qu’il n’était entré que pour 8 mois et qu’il ne devrait pas sortir avant janvier prochain. Sa détention a été prolongée de plus de 3 ans, pour des faits (supposément) commis en détention, suite à 3 plaintes différentes de surveillants. Connait-on le nombre de peines de prison prononcées pour des faits commis en détention ? Quelles sont les principales accusations ?
Céline Reimeringer : Nous n’avons pas connaissance de statistiques précises, qui seraient d’ailleurs sans doute très parlantes. Les pratiques divergent selon les parquets (dans chaque tribunal) qui décident de poursuivre ou pas tels types de faits. C’est donc très variable selon les établissements. En général, l’introduction ou la détention et le trafic de stups sont systématiquement poursuivis, il en va de même en cas de violences des détenus sur les personnels ou d’outrages de détenus sur les personnels.
Pour le reste, les violences entre détenus sont assez rarement poursuivies (par rapport au nombre de procédures disciplinaires internes). Enfin, certains parquets poursuivent systématiquement en cas de découverte de téléphone portable, d’autres pas. Nombre de faits poursuivis concernent donc des actes résultant des violences et des tensions induites par le fonctionnement de l’institution, ce qu’ont montré plusieurs études sociologiques. L’une d’elles constate que la prison rend nerveux, irritable, angoissé, agressif et stressé » et que « tout peut devenir un motif de colère, d’altercation, d’insulte ou de violence ».
Malgré cette situation maintenant connue et reconnue (l’étude précitée date de 2005), les juges au pénal persistent à condamner aveuglément, sans tenir compte de cette situation particulière. Le pire de cette logique consiste dans les peines plancher, à cause desquelles un détenu récidiviste peut être condamné à 4 ans de prison pour avoir introduit 5 grammes de shit. Enfin, les détenus subissent en général une triple peine pour toute infraction commise en détention : ils vont bien souvent au mitard dans le cadre de la procédure de discipline interne, ils se font condamner au pénal, mais aussi, ils se voient retirer de façon quasi systématique leurs "crédits de remise de peine" sur simple décision du juge de l’application des peines (JAP) et se voient interdire des remises de peine supplémentaires pour bonne conduite. Les peines peuvent donc s’allonger très rapidement, et le cas de Samir est l’illustration d’une problématique récurrente, qui signe d’ailleurs l’échec de la prison à faire entrer des « petits délinquants » dans le « droit chemin ».
Les plaintes peuvent donc être posées par les surveillants pour « outrage et rebellion à l’égard de personnes dépositaires de l’ordre public », comme les policiers notamment. Quelle incidence le renforcement de ce délit dans la loi, en 1996, a-t-elle eu en prison ?
C. R. : Une telle information serait là encore très instructive, mais nous n’avons aucune donnée en notre possession.
En juillet 2010, un communiqué de l’OIP pointait une série d’allégations de violences de surveillants à l’égard de détenus à la prison de Saint Quentin Fallavier. En janvier 2012, c’est la prison où a eu lieu la dernière altercation de Samir Tafer, lui valant une année supplémentaire de détention. Qu’en pensez-vous ?
C. R. : Malheureusement, les autorités compétentes (tant judiciaire que pénitentiaire) cultivent le silence à ce sujet et laissent donc place à la suspicion. L’interpellation de l’OIP a été suivie d’une enquête de grande ampleur des services d’inspection interne à la pénitentiaire mais ses conclusions ne nous sont pas connues ; le personnel de direction et une partie du personnel d’encadrement a été muté mais l’administration ne s’est pas expliquée. Par ailleurs, pour l’instant, seul un dossier a donné lieu à la traduction devant la justice d’un personnel de surveillance qui avait asséné un coup de tête à un détenu au sein de l’établissement. A notre connaissance, aucune autre condamnation pénale n’a été prononcée. Ce silence dessert tout le monde, y compris les institutions concernées...
Les gardiens connaissent le "curriculum vitae" des détenu-e-s dès leur arrivée. Il semblerait qu’ils se passent le mot, et Samir Tafer les accuse de pousser les détenu-e-s à la faute juste avant leur date de libération. Qu’est-ce que les détenus connaissent des surveillant-e-s ?
C. R. : En effet, les personnels disposent de nombre d’informations, notamment sur le comportement des détenus en prison. Le problème principal, c’est la traçabilité de ces informations, c’est-à-dire le fait que les détenus traînent pendant toute leur détention (y compris après transferts) le moindre incident ou la moindre remarque sur leur comportement comme autant de boulets. Et l’administration, comme les juges, a tendance à devenir de plus en plus dure avec les détenus qui lui posent problème, ce qui crée un cercle vicieux qui a lui aussi été largement décrit par des sociologues.
Les détenus ont évidemment beaucoup moins d’informations sur les personnels, dont ils ne connaissent en général pas le nom (sauf pour les gradés), ni le matricule qui n’est pas mentionné sur l’uniforme.
Un-e détenu-e peut-il porter plainte contre un surveillant ?
C. R. : En théorie, oui bien sûr. Le problème, c’est d’abord et avant tout l’inertie de l’autorité judiciaire (les parquets) à mener des enquêtes sérieuses, c’est à dire à même de permettre la poursuite des auteurs d’infractions. Le principe de l’"opportunité des poursuites", qui permet au procureur de décider de poursuivre ou pas sans avoir à s’en expliquer a été critiqué par le Comité contre la torture de l’ONU en 2010, qui s’est dit « particulièrement préoccupé face à la persistance d’allégations qu’il a reçues au sujet de cas de mauvais traitements qui auraient été infligés par des agents de l’ordre public à des détenus et à d’autres personnes entre leurs mains ». L’autre problème, c’est que la plupart du temps, l’administration refuse d’admettre que des violences puissent être commises par des personnels et donc, fasse tout pour étouffer de tels faits. La meilleure preuve, c’est qu’elle ne comptablise pas dans ses statistiques sur les violences en prison, celles commises par des personnels. Plus encore que le comportement individuel des personnels, c’est la réaction des institutions qui pose problème.
Quelles sont les conditions de jugement d’un-e détenu-e ? Peut-il citer des témoins ? Le tribunal ou la défense ont-ils accès au dossier professionnel d’un surveillant pour voir s’il porte plainte régulièrement, ou s’il a été impliqué dans des faits de violence ou d’injure ?
C. R. : Un ami récemment incarcéré nous a dit que la parole du détenu est bafouée, et ce dès le passage devant le juge. Pour la seule raison qu’une infraction lui est reprochée. C’est encore plus vrai en cas de jugements de faits commis en détention. C’est un élément qu’il faut avoir à l’esprit pour organiser sa défense, car c’est là le principal obstacle qu’il devra affronter. En général, le dossier pénal est très mince et parfois constitué des seules pièces produites par l’administration pénitentiaire. Le détenu aura donc beaucoup de mal à se défendre. D’autant plus que la plupart du temps il sera présent devant le tribunal correctionnel après une simple enquête du parquet lors de laquelle il ne peut intervenir pour demander les actes d’investigations. Et devant les juges, il est bien souvent trop tard ...
Que conseiller à des proches de prisonniers passant au tribunal pour des faits similaires à ceux de Samir Tafer ?
C. R. : Outre ce qui précède, toujours refuser la comparution immédiate. Et trouver un avocat qui accepte de travailler le dossier aussi sérieusement que possible.
Que pensez-vous plus généralement de la situation de Samir ?
C. R. : Dès qu’il est aménageable, il faudrait qu’il puisse bénéficier d’un aménagement de peine. Malheureusement, les JAP accordent souvent une grande importance aux profils des condamnés alors que le comportement en détention et les perspectives de réinsertion sont deux choses bien différentes. Le soutien des proches pour préparer un projet et créer le lien avec l’extérieur reste essentiel, et ceux qui ne l’ont pas se trouvent bien souvent dans l’impasse.
Compléments d'info à l'article
Proposer un complément d'info