Je dois avouer : il m’a fallu d’abord courir après le cortège - qui s’était engagé dans une direction somme toute inattendue. Le parcours était relativement inédit, et on peut très honnêtement le qualifier de pire (ou de plus ridicule) parcours de manifestation imaginable. La préfecture et les organisateurs avaient imposé un « Bellecour-Jean Macé, via Perrache, par les quais du Rhône rive droite ». Traduction : une artère normalement réservée aux voitures, un éloignement progressif du centre (commercial), nulle âme qui vive. Aussi, les lycéens et étudiants qui avaient pris la tête du cortège s’agitaient à chaque (et rare) apparition humaine : derrière une vitre ou sur un balcon. « Quelqu’un nous a vu ! »
J’ai rejoint la tête de cortège au moment où celle-ci décidait de marcher (littéralement) sur les gros bras de la CGT. Les « jeunes » n’ayant pas de service d’ordre, c’est le syndicat qui avait décidé de gentiment se charger d’eux. Ils portaient de belles chasubles rouges, parfois un peu trop petites, et des brassards « Accueil - Sécurité - CGT ». Alors « l’accueil », ici, c’est à prendre ou à laisser : « t’es pas content ? t’avais qu’à pas venir » dira ainsi un chargé d’accueil à un manifestant un peu trop critique. Pour la sécurité, on verra que cette tâche les dépassait amplement.
Ainsi nos lycéens marchent sur les gros bras (et un de leurs amis commissaire), pour une sombre histoire de confusion gauche-droite - nous n’avons pas saisi l’intégralité des enjeux. Après avoir donné quelques coups, les chasubles rouges, essoufflées ou assoiffées, renoncent et décident de bouder : on ne les reverra plus. Leur chef s’en justifie au talkie-walkie : « heu, là, on est débordés par la jeunesse ». Reste donc le courageux commissaire.
Traversant le Rhône, le cortège n’a plus de tête. Ou alors, très floue. A Jean Macé, le point de dispersion officielle, la manifestation continue. Courageux-commissaire n’est pas tellement d’accord. Il signifie à la banderole lycéenne que ce n’est pas vraiment possible, et tente de la bloquer à l’aide de ses deux petits bras. Il finira par renoncer. Son collègue appelle à la rescousse, tel un sémaphore, des CRS plantés dans un coin de la place. Sans succès non plus.
Le non-cortège de tête annonce son intention de rejoindre le local du PS. Il chante « on est nombreux, on fait ce qu’on veut », ou encore « La jeunesse emmerde le Parti Socialiste. ». Vous en aurez déduit qu’il est donc composé majoritairement de lycéens et d’étudiants… Plus tôt dans la manifestation, nous entendions des syndicalistes metallo affirmer « qu’à l’époque, on laissait pas un pavé dans les rues de Lyon. C’était tout sur les CRS. Et pas un par personne, hein, mais dix. » Ha.. l’époque. On ne les reverra (étrangement) plus par la suite.
Ne tombons pas dans le piège de parler de la jeunesse comme une catégorie uniforme. Il y a plusieurs jeunesses, certainement. Par exemple, un « jeune » du Front de Gauche tenta à de nombreuses reprises de raisonner ses camarades (de classe), leur faire comprendre qu’il vaudrait mieux aller tous ensemble à la Bourse du Travail. « Tous ensemble, tous ensemble, ouais », affirmait-il. Il ne fut pas écouté, et la banderole lycéenne provoqua un nouvel ensauvagement de la manifestation, en la faisant tourner sur le cours Gambetta, direction donc, le local du Parti Socialiste.
Pour écourter le récit, je dois vous révéler la fin : le cortège n’atteindra pas son objectif. De peu. Quelques dizaines de mètres. Ou quelques minutes. En arrivant près de leur objectif les manifestants découvrirent une scène insolite. Les policiers avaient décidé de bloquer le passage au moyen de leur jeep. Mais la manoeuvre s’avéra plus compliquée que prévu : et ils durent péniblement la pousser, à la main, en marche-arrière. Le manifestant n’est décidément pas très fairplay, et on vit quelques canettes être lancées sur les forces de l’ordre, qui étaient pourtant dans une situation déjà bien inconfortable.
La banderole lycéenne (ou même « tenue par des lycéennes » devrais-je dire) essaya à plusieurs reprise de forcer le barrage policier. Ces derniers reculèrent une première fois, mais ne se laissèrent pas déstabiliser plus longtemps, usant chaque fois qu’ils le pouvaient de leurs grenades lacrymogènes.
Enfin, et malgré la déconvenue, un millier de personnes poursuivit (encore) son chemin. Vers Bellecour. Une quarantaine d’agents de la BAC entreprit alors de faire la course avec des lycéens. Une manière de se prouver qu’ils ne sont pas rouillés, peut-être. Et en effet ils les dépassèrent assez facilement, pour aller se positionner avant eux, sur la grande place. Des mauvais joueurs en profitèrent pour leur jeter divers objets dans le dos, ce qui eut le don d’énerver les agents de police.
Par la suite, ils chargèrent matraque en main tout groupe de manifestants encore constitué, afin d’assurer une dispersion « vite fait bien fait », comme on dit dans le jargon. Ils usèrent plusieurs fois de flashball et de grenades assourdissantes, et arrêtèrent 4 manifestants, pendant que tout le monde se disait « à jeudi prochain ! ». Pour un rendez-vous que beaucoup de manifestants espéraient déjà « encore plus joyeux et déterminé ».
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