Dans la nuit du 21 au 22 novembre 1831, vers minuit, une bonne centaine d’ouvriers de la Guillotière et des Brotteaux décident d’aller renforcer ceux de la Croix-Rousse. Ils se glissent sur une digue située en aval du pont de la Guillotière, évitant ainsi le poste de garde nationale placé à la tête du pont. Ils vont jusqu’au confluent et traversent la Saône au pont de la Mulatière, contournent la presqu’île et gravissent la montée de Choulans. Arrivés à Saint-Just, prévenus, des ouvriers de Saint-Just, de Saint-Georges, du Gourguillon, viennent grossir le groupe et poursuivent par Trion et Champvert pour descendre à Vaise, où d’autres encore les rejoignent quand ils sont arrêtés par la garde nationale.
Les canuts rebroussent chemin et traversent les terres au bas du chateau de la Duchère pour arriver au pont de Rochecardon. Une compagnie de la garde nationale de Saint-Didier-au-mont-d’Or bivouaque là. « Qui vivent ? » s’écrient les gardes nationaux. « Ouvriers » répondent d’une voix forte les premiers de la bande aux gardes qui livrent le passage. Cette troupe gagne Saint-Rambert, où des ouvriers de la manufacture de la Sauvagère la rejoignent. Elle repasse ensuite la Saône sur le pont de l’Ile Barbe et par la montée de Cuire, grimpe à la Croix-Rousse. Ils sont maintenant 350 quand ils débouchent sur la place de la Croix-Rousse.
La venue de ces hommes dont beaucoup avaient dû faire un détour d’une bonne vingtaine de kilomètres, relève le moral des courageux habitants de la Croix-Rousse qui les appellaient de tous leurs voeux. D’autres ouvriers arrivent de Collonges, de St Cyr et on en attend de Tarare, de Thizy, de Vienne et Saint-Étienne...
Pour les émeutiers qui ont veillé fièvreusement dans la nuit et le froid, voilà une rasade de fraternité qui brûle les veines, chasse l’angoisse et balaie le découragement. Ce renfort spontané marque le sommet de la révolte des canuts, et la grande solidarité des travailleurs lyonnais constitue la première et éblouissante illustration d’un combat pour la justice.
Après qu’il ait promis d’agir en vue d’un cessez-le-feu, les insurgés relâchent le préfet puis le général Ordonneau plus tard dans la nuit.
Vers 5 heures du matin en ce mardi 22 novembre, les hostilités reprennent. Les ouvriers ont fortifié leurs positions et ils résistent victorieusement aux assauts des troupes de lignards. Solidement installés derrière leurs barricades, embusqués aux fenêtres de hautes maisons des pentes, ils infligent des pertes terribles à leurs adversaires dont le moral fléchit d’heure en heure.
Dans la matinée, de nouveaux foyers d’insurrection se créent en différents points de Lyon. Les ouvriers de Saint-Just désarment le poste de la barrière, et contrôlent le télégraphe, privant ainsi le gouvernement d’informations précises en provenance de Lyon. D’autres ouvriers de la rive gauche du Rhône et de la rive droite de la Saône se sont engagés dans la révolte et un feu nourri accable les militaires installés sur les quais de la presqu’île.
Des ouvriers de toutes professions, de tous les quartiers de la ville se soulèvent à leur tour. L’insurrection devient générale. Le tocsin sonne à St Paul, mais aussi à St Pothin. Les masses s’ébranlent. Les rues, les places, les quais se hérissent de barricades. On attaque les corps de garde occupés par la garde nationale ou par l’armée, ainsi que les pavillons de l’octroi. Plusieurs deviennent la proie des flammes. Ce n’est plus une émeute, c’est une révolution.
Vers onze heures et demi, sur la place des Célestins, se forme un rassemblement de quinze à vingt jeunes gens, en partie des enfants, sans souliers et armés seulement d’une ou deux haches et d’un ou deux fusils. Ce sont pour la plupart des décrotteurs qui se tiennent d’ordinaire à la porte du théâtre. L’un d’eux tient une épée sans poignée provenant du pillage d’une armurerie passage de l’Argue. Ils vont d’armurerie en armurerie et se constituent ainsi une quincaillerie.
L’hôtel de la monnaie, rue de la Charité, est pris, avec l’aide des modères, crocheteurs et autres mariniers, mais aucun sou n’est dérobé alors que le directeur leur dit qu’il s’y trouve quinze cent mille francs en or.
A partir de midi et demi, les ponts du Rhône et de la Saône tombent sous la pression des insurgés. Des barricades jalonnent toute la ville, des magasins d’armurerie sont pillés, des armes enlevées aux gardes nationaux et aux soldats désemparés. L’arsenal est investi, la poudrière de Serin capitule, l’étau se resserre autour de l’hôtel de ville.
À suivre :
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