Il faut l’avouer, notre cher Président Nicolas Sarkozy sait bien les recevoir ses potes du « GI EIGHT ». Sécurité ultra-renforcée, hôtels luxueux, plage de sable, traiteurs et bons vins : tout pour travailler sa réputation d’un homme généreux qui connaît bien ses convives et leurs besoins. A quelques minutes en navette officielle des salles de réunions et de conférence de presse, le centre international de presse s’installe. L’hippodrome deauvillais est transformé en vraie forteresse, même si à l’intérieur le bazar et le manque de communication se fait sentir. Tout bon publicitaire vous le dira, la com’, ça se paie ! Et au prix fort quand il s’agit de faire passer des pilules aussi grosses que la succession de Christine Lagarde à la tête du FMI qui permettra d’investir dans un nucléaire propre, au Maghreb, quand Kadafhi aura été tué par les services Russes. Gros raccourcis vous me direz mais c’est en substance ce que l’on aura appris ces deux jours.
A leur disposition
Tout le monde attend ce moment. L’arrivée en jet privé des chefs d’Etat. Voyons, comment louper un tel événement ? Si certains comme le Président américain Barack Obama et le premier ministre britannique David Cameron ne souhaitent pas que les photographes les immortalisent les cheveux dans le vent, d’autres comme le français Nicolas Sarkozy et son confrère russe Dimitri Medvedev se font une joie de se prêter au jeu des flashs et des caméras. Les photographes attendent, sont à leur disposition, mettent en place des stratégies pour attirer leur attention. Ce sera à qui aura la meilleure expression, à qui aura été le plus rapide à envoyer le cliché unique à sa rédaction. Nous cherchions à confirmer nos impressions et nous n’avons pas eu de surprise : au G8, la rapidité et l’efficacité sont les maîtres mots du métier.
Tu m’valides, j’te valide
La réactivité des images, les articles publiés en plein milieu de conférences de presse. Tout se joue en quelques minutes et pour cela, les moyens déployés sont conséquents. On peut s’attendre à une lecture médiatique et critique passionnante des décisions prises lors de ce sommet. Seulement ces décisions sont connues des journalistes et sentent le réchauffé. Comme s’il était juste question de simple validation. " Je te pose une question mais je sais déjà ce que tu vas me répondre mais je te la pose quand même". Tu valides ma question, je valide ta réponse. Les engagements sur la sûreté nucléaire proposée par tous les G8tards pour montrer que Fukushima et des milliers de vies n’ont pas été détruites pour rien, les pressions sur Kadhafi pour réaffirmer la suprématie du modèle démocratique occidental sur les dictatures obsolètes d’Afrique du Nord et enfin l’annonce officioso-officielle de l’accès à la présidence du FMI par Christine Lagarde. Un jeu complice de questions-réponses s’installe entre les journalistes et les présidents. Une discussion à laquelle les représentants des ONG n’ont pas le droit de participer. La tension se relâche d’un coup lorsque « tout a été dit », lorsqu’il n’y a plus de temps pour une dernière question à moins qu’il s’agisse de connaitre le sexe du futur enfant de papa Sarkozy, sujet capital qui fait vibrer la planète entière. Et si c’est une journaliste italienne qui la pose in extremis, ça passe encore mieux. « C’est un garçon ou une petite fille ? », lâche-t-elle sans pudeur lors de la dernière conférence de presse. Sarkozy détourne habilement l’attention pour ne pas répondre. Rire général dans la salle. Eh oui, au G8 on ne fait pas seulement semblant de parler de la misère du monde, on a même le temps de lancer quelques vannes à Sarko. Si ce n’est pas classe tout ça !
C’est ici que se pose la question du regard critique et de la prise de recul parmi journalistes et rédactions. La quantité d’informations ingurgitées auxquelles s’ajoute l’urgence du direct ne sont pas des conditions idéales à la réflexion. Au final, le métier se résume à une banale retranscription des dépêches et communiqués de presse fournis par les institutions.
« Des raccourcis pour faire fermer la gueule au peuple »
Jeudi 26, ouverture officielle du sommet. A quelques kilomètres du luxe et des petits fours de Deauville, les conforts et les moyens à disposition ne sont pas exactement les mêmes. Outre Seine, sur le port du Havre, un groupe d’environ 200 altermondialistes manifestent mais ont du mal à se faire entendre. " Le rassemblement va être pacifiste, les Black Blocs ont préféré rester chez eux. Il faut arrêter de stigmatiser les manifestations comme étant violentes et répressives", tient à souligner une femme aux revendications fermes. "On en a ras-le-bol de cette hypocrisie de masse. Des mensonges, des apparences, des raccourcis habiles pour faire fermer la gueule au peuple. Basta, on en a rien à faire des belles tronches des chefs d’Etat !", continue un père de famille, venu manifester avec son fils de cinq ans. Ici, on préfère tourner en dérision la moindre posture politique, entre une merguez et un verre de bière. Sarkozy, Berlusconi, Obama, Medvedev : tous sont représentés sur des petits cartons entourés de faux billets de banque. Le vent les emporte, une journaliste japonaise en retient un pour illustrer son émission.
"On ne retient que l’anecdote stigmatisante"
Si la manifestation s’organise tant bien que mal et de manière non violente face à la Manche, plus loin dans les terres, la forêt de Montgeon est investie par le camp alter-mondialiste et autogéré « no-G8 ». Sur une colline qui domine la ville il prend forme dans l’ancien camping municipal abandonné, rejeté par la ville du Havre pour cause de non rentabilité mais mis à disposition par la mairie pour l’occasion. En réalité, il y a encore sept ans, plusieurs familles et ouvriers Havrais y vivaient, sous les toiles de tente. Mais cette réalité n’est pas bonne à montrer quand on cherche à donner à sa ville une nouvelle image touristique. A l’entrée, pas de portiques détecteurs de métaux. Les quelques punks présents devant le portail auraient bipé toute la journée, à quoi bon. La mauvaise surprise c’est de voir un lieu au fort potentiel mobilisateur quasi vide. Seulement une quarantaine de personnes étaient présentes ce jeudi 26 au soir. On nous explique que le week-end précédent, après la manifestation principale du mouvement altermondialiste du Havre (environ 7000 manifestants) plusieurs centaines de personnes avaient dormi sur place. Les médias s’y intéressent mais les militants n’ont pas une confiance totale dans leurs invités ponctuels. Ils se méfient de la retransmission rarement fidèle de leur message. " Nous essayons de faire passer un message et à chaque fois c’est la formule accrocheuse, la petite anecdote stigmatisante que l’on va retenir. Nous voulons être entendu par une presse intelligente, non pas intéressée à faire uniquement du fric", regrette Marine, rédactrice du blog lehavrenog8village2011.noblogs.org. La voix du peuple n’est pas représentée. C’est ici l’opinion de tous. Elle est peut-être entendue mais complètement ignorée, étouffée et réprimée par des services de police toujours plus nombreux et intrusifs. Ecoutes à distance et fichage entrainent des convocations régulières au commissariat pour les activistes les plus investis.
Un défilé carnavalesque
Côté G8 c’est toujours la même mise en scène artificielle, une pièce de théâtre contrôlée, maîtrisée dans le moindre détail. Une opérette où les protagonistes se sentent chez eux, dans leur demeure confortable ils bénéficient d’une aisance embarrassante. C’est un spectacle où la réalité est tellement distante qu’on se croirait dans un monde parallèle. Les rôles sont bien définis, politiciens, conseillés, agents de sécurité, journalistes, hôtesses, chacun sur son petit nuage, dans son petit confort quotidien cherche l’acquiescement de l’autre pour ne pas se sentir écarté de ce défilé carnavalesque. Le vent Normand qui soulève un à un les drapeaux nationaux exposés tout au long du centre international de la presse nous amène à renifler une odeur subtile de propagande bien ficelée. Opération marketing réussie.
Retournement de cerveaux
Il aura fallu 72 heures pour se rendre compte que nos ressentis vis-à-vis de ce Sommet du G8 n’étaient pas infondés. Des gens beaux et souriants, des renseignements moindres, des policiers qui se demandent la raison de leur présence. Dans le rush de nos journées bien chargées on en oublierait presque que nos moindre faits et gestes sont observés par des agents de toute sorte. Des caméras sont disséminées à tous les coins de la rue et des policiers à chaque rond point. Des plus sympathiques qui n’ont pas encore saisi ce qui se déroule sous leurs yeux et qui comprennent mal la présence des photographes, aux plus viriles qui arborent gilets pare-balles, costards ultra-classes sous lesquels se cachent armes de poing et techniques de combats infaillibles. D’autres encore passent leurs journées à la piscine de l’hôtel car, "ils n’auraient servi à rien, il y en avait trop" nous confie un chauffeur de la délégation russe qui dès nos premières échanges fait un petit lapsus : « Alors le festival s’est bien passé ? Euh sommet... (rires). Désolé, j’étais à Cannes la semaine dernière ». On s’y tromperait presque. Il nous décrit avec ironie la course à l’armement entre ceux qui auront la plus grosse (voiture), USA vs Russie. Les Etats-Unis gagnent avec 200 demandes d’autorisation de port d’arme à feu pour les 36 heures de présence. Eh bien, vous l’aurez compris... Ce G8 nous en a mis plein les yeux ! Morale de l’histoire : une belle mascarade d’acteurs-politiciens ! Retournement de cerveaux, charisme artificiel, prise de parole sur jouée. Rien de mieux pour avoir envie de rentrer chez soi et remettre en question notre jeune conscience professionnelle, si le journalisme en a une…
A.P. et F.A.
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