À corps perdus ...

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En partant du soir du premier tour des élections présidentielles 2017, dans l’impasse démocratique coincés entre l’hégémonie d’une économie réelle, toujours plus envahissante, la France en marche, et l’hystérie sécuritaire et identitaire d’une vague bleue marine. On essaye de s’interroger sur nos tentatives, les manières dont on fait corps, les façons de peser vraiment, donner chair à ces envols fugaces qui nous envoient à l’assaut du ciel...

X Rousse – 23 avril 2017 – quand rien ne se passe

On tourne dans le décor, à une centaine, avec un peu d’élan, mais un peu désorientés aussi, saisis par cette impression de vide. Y a personne dans les rues, quelques signes timides de complicité aux fenêtres. Les murs pourtant sont saturés de signatures mystérieuses, des affiches dénonçant la mascarade électorale ou appelant à prendre la ville ; des graffitis pour esquisser la possibilité d’autres gestes politiques, en échos aux slogans un peu dérisoires « Lyon, debout soulève-toi ! ».
En bas des pentes, c’est la dispersion à coups de grenades de désencerclement ; la déflagration assourdissante d’un rien ne se passe. Et puis le sentiment de solitude, encore, même à 100 ou 150. On s’attendait à plus de monde, à d’autres amas à l’affût d’un affrontement, ou d’une descente sauvage, une émotion commune… Seulement voilà : les corps manquent.

« Toutes les raisons de faire une révolution sont là. Il n’en manque aucune. Le naufrage de la politique, l’arrogance des puissants, le règne du faux, la vulgarité des riches, les cataclysmes de l’industrie, la misère galopante, l’exploitation nue, l’apocalypse écologique (…). Toutes les raisons sont réunies, mais ce ne sont pas les raisons qui font les révolutions, ce sont les corps. Et les corps sont devant les écrans. » (Maintenant)

Les corps sont devant les écrans et pas dans la rue avec nous… Pour suivre les commentaires inlassables et la relance du cirque médiatique, ou le match Barça Réal, ou une série, histoire de se vider la tête. Il ne faudrait pas refaire le couplet méprisant sur les masses apathiques, les spectateurs amorphes VS les militants lucides mais minoritaires (une théorie du bloom mal comprise). Cette capture par les écrans et l’état de conscience qu’elle induit, comme un léger engourdissement de l’âme, c’est notre condition commune, l’esprit de l’époque. Les états d’âme ne sont jamais strictement personnels (ça c’est une arnaque des grandes religions pour nous vendre l’enfer et le paradis), l’esprit est traversant : en l’occurrence ce curieux mélange d’hyper lucidité et d’apathie, d’incendies intimes, de révolte incandescente et d’inflammations de nos systèmes nerveux et digestifs. Vivants allergiques à la vie qu’on nous fait _ et pour faire quoi d’autre ?
Les corps sont devant les écrans ; et nous aussi. A faire le compte de ce qui s’est passé, ici et dans d’autres villes, suivre les commentaires, saisir ce qu’on en pense, le virtuel de ce qui, au fond, n’a pas eu lieu. Peut être que les corps manquent tout le temps _ ou presque. Il ne s’agit pas alors de s’en désoler, comme on regretterait l’existence de la gravité terrestre, mais plutôt de commencer à construire le grand cerf-volant. Comment on refait corps, comment on se refait des corps. Et qu’est ce que ça peut vouloir dire, avoir un corps ?

Quelque part dans les Antilles – début de la conquête espagnole du « nouveau monde » - à l’orée donc du grand renfermement des mondes sous domination impériale

« Dans les grandes Antilles, quelques années après la découverte des Amériques, pendant que les espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger les blancs prisonniers afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction » (Race et histoire, Lévi Strauss).

Ce jeu de vérification croisée (« les indiens ont ils une âme ? » / « les blancs ont-ils un corps ? »), relevé par notre grand anthropologue national, est hautement asymétrique. Les commissions d’enquête européennes interviennent vue l’imminence de l’écrasement des mondes amérindiens dans le sillage de la conquête, une extermination de masse par la guerre, le travail forcé, les contaminations bactériologiques et la destruction à la fois des milieux et des manières de vivre. Il s’agit de refréner les « abus » les plus criants des Conquistadores, dont les échos ont fini par parvenir jusqu’en Europe, et dans un souci explicitement économique de valorisation du nouveau monde (problème de la disparition de la force de travail, des savoirs et ressources exploitables, etc). Résultat de l’enquête en deux mots : les indiens ont bien une âme, à l’entreprise génocidaire pourra donc se combiner un ethnocide au moins partiellement abouti au travers de l’évangélisation forcée, et la traite négrière prendra le relais des systèmes d’exploitation initialement basés sur les « ressources indigènes »… Pour les indiens dont il est question dans « l’incident des Antilles » rapporté plus haut (des indigènes indéterminés et sans doute rapidement exterminés), l’enjeu est différent : il s’agit d’établir un peu sauvagement mais avec précaution qui sont ces êtres qui interviennent de manière surprenante dans ce monde, et à quel titre ils s’y manifestent, participant de sa composition (en tant qu’esprits ? Comme des dieux dont il faut se méfier ? Selon quelle manière de peupler le réel ?).

« Pour les espagnols de l’incident des Antilles, la dimension marquée était celle de l’âme ; pour les indiens, c’était le corps. Les européens n’ont jamais douté que les indiens aient des corps (les animaux en ont aussi) ; les indiens n’ont jamais douté que les européens aient des âmes (les animaux et les spectres des morts en ont aussi) » (Métaphysiques cannibales, Eduardo Viveiros de Castro)

L’univers est peuplé de puissances et de créatures farfelues et magiques : les dieux, les animaux, les morts, les plantes, les tempêtes, la pluie et le beau temps, des objets et des artefacts de la vie commune (grandes maisons, arcs, pirogues, masques). Toutes ces entités peuplent le monde et sont habitées par sa puissance, une sorte d’anarchie du réel _ puissance de métamorphose ou de devenir. Les jaguars comme les pirogues ont une âme, des facultés de perception, des appétits, des secrets et des savoirs, une langue, une intelligence parfois maligne, des ruses. Plus précisément ces êtres animés et foisonnant participent de cet esprit qui leur permet de se reconnaître comme un peuple, le peuple (sans que cela implique un modus vivendi forcément pacifique « l’être humain se voit lui-même comme tel ; la lune, le serpent, le jaguar et la mère de la variole le voient, cependant, comme un tapir ou un pécari qu’ils tuent »).
Appartenir au peuple, peupler le monde suppose d’être allumé par une parcelle de l’âme commune, c’est à dire exister comme un foyer d’intentions et de gestes, présentant une face visible et en même temps habité par les mystères de l’invisible…
Cette âme en tant que telle n’est pas si mystérieuse : elle signale simplement le fait que toute vie se déploie selon une forme singulière mais tournant toujours autour des mêmes délires ; le monde du peuple humain, ou du peuple jaguar, ou des dieux querelleurs et espiègles tourne autour de la chasse et de la pêche, de la cuisine, de la croissance des aliments et des êtres chers, des amours, des boissons fermentées, de la guerre, des serments et des coups de pute, des chamanes et de leurs recettes hallucinantes.
Le mystère ce n’est pas que les animaux et certains éléments de décoration aient une âme, c’est plutôt que tous ces peuples arrivent à se projeter, dans la mesure où ils sont animés, dans des mondes à la fois co extensifs et radicalement différents. « Les choses que voient les jaguars lorsqu’ils les voient comme nous les voyons, sont autres : ce qui pour nous est du sang est de la bière pour eux ; ce qui pour les âmes des morts est un cadavre pourri, est du manioc fermenté pour nous ; ce que nous voyons comme une mare de boue, est une grande maison cérémonielle pour les tapirs ».
Tapirs, pécaris, jaguars, humains, esprits des morts sont animés par les mêmes délires, le même esprit de peuplement… Mais qu’est-ce qui les différencie alors, et alimente ainsi les embrouilles sans fin de la politique de la forêt (mauvaises blagues d’un lutin des bois, enfants enlevés par Jaguar, malade à disputer aux fantômes…) 

« L’âme, formellement identique chez toutes les espèces ne perçoit que la même chose partout. La différence doit être donnée par la spécificité des corps. Je ne me réfère pas ici aux différences physiologiques (quant à ça les amérindiens reconnaissent une uniformité basique des corps) mais aux affects qui singularisent chaque espèce de corps, ses puissances et ses faiblesses : ce qu’il mange, sa façon de se mouvoir, de communiquer, où il vit, s’il est grégaire ou solitaire, timide ou fier… La morphologie corporelle est un signe puissant des ces différences, bien qu’elle puisse être trompeuse, car une figure humaine, par exemple, peut cacher une affection jaguar. Ce que nous appelons ici le corps, donc, n’est pas une physiologie distinctive ou une anatomie caractéristique ; c’est un ensemble de manière et de modes d’être. Entre la subjectivité formelle des âmes et la matérialité substantielle des organismes, il y a ce plan central qui est le corps comme faisceau d’affects et de capacités. » (ibid.)

Petit résumé de notre incursion dans la cosmologie amérindienne (en tout cas telle que la raconte Viveiros de Castro) : l’âme est la puissance de peuplement du monde, puissance commune aux humains, aux tapirs et aux esprits, et qui implique de se voir comme un peuple ; le corps n’est pas une pure machine organique mais la manière de peupler effectivement le monde, manière de manger, célébrer, vouloir. Brasser du réel.

- « Ok, mais c’est quoi le rapport avec nous ? » s’interrogent les joyeux tapirs de la X Rousse...

Aux indiens métropolitains

Déjà, l’incident des Antilles nous regarde dans la mesure où l’occident est né en partie d’un processus de recolonisation de l’ancien monde depuis le nouveau : la violence systématique, la mise en pièce des manières de vivre à des fins d’exploitation économique, l’imaginaire conquistador et son mélange d’avidité, d’humiliation, de dette perpétuelle, sa morale de crevard… Toute cette sauvagerie hallucinée a fait retour pour imposer à l’ensemble du monde connu la fameuse cage de fer du capitalisme. Un hasard de l’histoire. Putain de hasard.
Et qui nous ramène aussi cette question lancinante : si on appartient de part en part à notre époque (au point que PNL a pu constituer une bande son crédible pour le fameux cortèges de tête), si les miroitements de notre âme sont irrémédiablement codés dans les jeux de miroirs de nos tablettes ou de nos i-phones (au point que les derniers mouvements se racontent principalement via des vidéo youtube) comment on arrive alors à revenir en présence, à s’inventer des densités depuis lesquelles vouloir, et se mouvoir autrement ? Des densités qui tranchent dans le tissus des infrastructures métropolitaines, « dans le grand corps social de l’empire qui a la consistance d’une méduse échouée ». Comment on arrive indissociablement à faire corps et faire mouvement ?

Corps : une sensibilité qui re brasse le monde, jusqu’à le renverser ; mouvements intimes et proliférant ; « faisceau d’affects et de capacités ».

Une chose dont on prétend être capables, ces temps-ci : prendre la rue. La peupler de masques émeutiers qui dansent et, parfois, se battent. Derrière la banderole renforcée, s’ouvre un front métaphysique. C’est pour ça que les slogans doivent claquer. Slogan, dans une langue ancienne d’aborigènes d’Europe du nord, c’est le cri de guerre et de ralliement ; on en a besoin aussi comme formule de protection et de métamorphose. Le cortège sauvage déforme le monde de la métropole, en interrompt les flux et la normalité brutale, livre passage à une contre ville dont il faut inlassablement tisser la trame par ailleurs.
Une manifestation ne peut être conséquente que si elle constitue un front dans la guerre entre plusieurs mondes, plusieurs réalités ; son tracé mystérieux doit toujours pouvoir mener à des cantines, des maisons cérémonielles occupées, des jardins ou des ateliers collectifs où s’éprouvent réellement nos sensibilités, nos capacités, nos embrouilles (et qui ne soient pas équivalentes aux modes de présence calibrés par le taf, les boîtes de nuit et le régime de la guerre de tous contre tous).

Ces lieux, ces seuils de mise en présence existent déjà, ou sont en train de naître. Il faut peut être simplement prendre soin de leur caractère miraculeux ou décisif. Toutes les tentatives pour construire des autonomies de base sont autant de moyens de répondre à nos besoins vivants. Se faire des corps.
Manger, habiter, se soigner, désirer/délirer. Ces nécessités articulent notre soumission aux impératifs économiques tant qu’on reste piégés dans nos vies de galériens ou nos misères individuelles (quelles thunes pour finir le mois, quel programme TV, quels médocs ou quels cachetons ?). Mais ces déterminations peuvent constituer aussi bien les coordonnées d’une aventure commune irrémédiable. Simplement on ne se fait pas les mêmes corps : chair à patron ou indiens métropolitains ; foules contrôlées ou peuple en lutte, et déjà pour les moyens réels d’une existence qui en vaudrait la peine.

« fin de l’économie / vie magique »

Sous le règne du capital la nourriture, les espaces de vie, les loisirs ne sont que marchandises : facteurs de reproduction de la force de travail (même pour les chômeurs), c’est à dire de relance de la machine. Dans la médecine occidentale d’ailleurs les corps sont essentiellement machiniques : supports de métabolisme, petites boîtes noires à brûler les calories comme le pétrole, dont il faut assurer la maintenance (footing, pour les plus branchés piloté par i-phone), pour retarder l’obsolescence programmée et maintenir la productivité. Petites machines dans la grande machine.
Se donner les moyens, répondre à nos besoins d’un point de vue révolutionnaire (c’est à dire en s’arrachant des impératifs à la fois économiques et sécuritaires), ça n’est jamais purement technique, ou alors en un sens bien particulier :

« chaque monde humain est une certaine configuration de techniques, techniques culinaires, architecturales, musicales, spirituelles, informatiques agricoles, érotiques, guerrières, etc. Et c’est bien pourquoi il n’y a pas d’essence humaine générique : parce qu’il n’y a que des techniques particulières, et que chaque technique configure un monde, matérialisant ainsi un certain rapport à celui-ci, une certaine forme de vie. On ne construit pas une forme de vie, on ne fait que s’incorporer des techniques, par l’exemple, l’exercice ou l’apprentissage.C’est pourquoi aussi notre monde familier nous apparaît rarement comme « technique » : parce que l’ensemble des artifices qui l’articulent font déjà partie de nous.
Chaque outil incarne un rapport déterminé au monde et affecte celui qui l’emploie. Les mondes ainsi forgés ne sont pas équivalents, pas plus que les humains qui les peuplent. Et pas plus que ces mondes ne sont équivalents, ils ne sont hiérarchisables. Il n’y a rien qui permettent d’établir certains comme plus avancés que d’autres, ils sont simplement distincts, ayant chacun son devenir propre et sa propre histoire. Pour hiérarchiser les mondes il faut introduire un critère, un critère implicite qui permette de classer les différentes techniques. Ce critère, dans le cas du progrès c’est simplement la productivité quantifiable des techniques, pris indépendamment de tout ce que porte éthiquement chaque technique, indépendamment de ce qu’elle engendre comme monde sensible. C’est pourquoi il n’y a de progrès que capitaliste, et c’est pourquoi le capitalisme est le ravage continué des mondes
 ». A nos amis

- [nouvelle intervention des tapirs, de plus en plus impatients :] « se faire des corps c’est s’incorporer des techniques, super, mais lesquelles ? Et où ça se passe ? Elles sont où nos maisons cérémonielles que ces abrutis de macronistes persistent à voir comme des mares de boue ? (c’est à dire comme nous voyons-nous mêmes l’élysée) ? »

Bribes de peuplement

Retour à la X Rousse, le soir du rien ne se passe. En partant on a croisé une livreuse de chez deliveroo, traînant sa misère le long des pentes, poussant son vélo à bout de souffle, tirée vers le fleuve par sa caisse de transport. Chaire à Macron _ ubérisée.
Quelques mois au par avant, une clique de coursiers avait organisé une grande course d’orientation dans la ville, pour bordéliser un peu la métropole, se mobiliser contre la précarisation de leur métier et inaugurer leur local dans le deuxième arrondissement. On y trouvait un atelier de réparation (pour peaufiner leurs agencements human-bike), des espaces de réunion pour brasser, se faire passer des infos juridiques, faire la fête, partager une éthique de warriors du bitume sans commune mesure avec le statut d’auto-exploités que les gestionnaires 2.0 voudrait leur coller. Cet étrange syndicat de de centaures à roulettes, au travers d’un assemblage de bidouilles techniques et de délires partagés, se donne ainsi les moyens de faire corps face à l’individualisation croissante de la « profession » : faire corps, c’est à dire avoir dans les jambes et dans le souffle une autre pulsation urbaine, la rage de ne pas se faire mettre à l’amende, l’élan qui transforme l’agglo en terrain de jeu...

Depuis quelles réalités peut-on peupler la métropole ? Il y a cette mini bourse du travail des coursiers en vélo, mais ça pourrait être un réseau de soin autonome, des dizaines d’arrière salles, de lieux complices où se refiler la grande santé... des ateliers pour hacker la normalité capitaliste, distiller des élixirs de vie intense, des bières à arrière goût de sang (pour le peuple jaguar) ou d’essence (pour les masques vengeurs)... des grandes maisons où les corps en trop, migrants, dérivants, trouvent de la place et rouvrent le monde, par effraction... des jardins collectifs pour faire pousser de quoi manger et toute une vie commune... cantines, salles d’entraînement, friches hallucinées, radio pirate, sites internets sulfureux...
Entre arts culinaires et arts de la guerre, en réinventant les mots de la tribu, en lâchant sur la ville, sur les ondes ou sur le web un nouveau bestiaire de la révolution : venir à la présence.

Post-scriptum sur la massification

A la Zad ou dans le quartier des Lentillères on est confronté à cet étrange phénomène : chaque parcelle de réalité antagoniste fait le passage pour approfondir un peu plus nos mondes. Tenir une barricade fait pousser des cabanes dans les arbres ; une culture collective crée dans ses abords un espace accueillant pour des migrants, ou des habitudes de défense face aux intrusions policières, ou des musiques sauvages. Densification.

« densifier, densifier mais à combien ? Et dans quelques ghettos radicaux ? »
Au dernier tapir incrédule il conviendrait de rétorquer que la question du nombre est inséparable de celle, précisément, des qualités de la présence. Ce à quoi on donne corps, ce qu’on met en mouvement en nous et autour de nous. (Les manifestations pour la défense de la ZAD mobilisaient quand même quelques dizaines de milliers de personnes).
Massifier le mouvement implique déjà de le peupler, de se peupler. Les corps denses, les sensibilités armées appellent ce qu’il y a d’incandescent ou d’irréductible aux alentours. Peser, envoyer du lourd pour trouver l’écho de nos guerres tordues et joyeuses dans les luttes de travailleuses du sexe comme sur le piquet d’une grève dure, dans la manifestation sauvage et dans les complicités de quartier. Parce que, techniquement, magiquement, affectivement on aura appris à tenir la distance et quelques promesses, et pris l’habitude de se jeter, depuis ce seuil, à corps perdus.

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