Compte-rendu partiel de la marche pour la décroissance

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Impressions à chaud le 17 juin 2005 de Michaël, qui a marché 10 jours de Lyon jusqu’à Pradines.

Bonjour,

Je reviens tout juste de la Marche pour la décroissance que je viens de quitter à Pradines.
Le retour à la civilisation est difficile. On me demande déjà de confier mes impressions à un ordinateur !!
Cette marche est grandiose. Les mots me manquent pour décrire tout ce qu’elle m’a apporté. Il est même impossible de rendre compte dans un quelconque langage de l’immensité et du génie de cette aventure.

Tout a commencé à Lyon, lorsque qu’une grosse centaine de personnes sont parties ensemble. Nous savons tous pourquoi nous sommes là. Et c’est ce que nous partageons tous. Les contacts se nouent facilement. Les discussions sont agréables, ouvertes. Au repas, le partage va de soi. Des groupes conviviaux se forment entre gens qui se connaissent depuis à peine 2 heures. L’arrivée se fait dans 3 kilomètres de montée. Mais la récompense est au rendez-vous : D’où nous sommes, nous pouvons voir Lyon et appréhender tout le chemin que nous avons parcouru. C’est impressionnant de voir de quoi on est capable sans le savoir. Le soir, une réunion est organisée pour permettre l’autogestion du groupe. à me fait très plaisir car je ne m’y attendais pas. Nous sommes 101 décroissants à participer à cette réunion et tout se passe bien. La qualité d’écoute est surprenante. Un tour de présentation est effectué. L’heure de départ du lendemain est négociée. Les débats et ateliers seront organisés plus tard. En attendant les discussions ont lieu en journée durant la marche. Les paysages sont magnifiques. Tout le monde a le sourire. Les connaissances se font plus intimes. Les échanges pullulent. Chacun a quelque chose à apporter aux autres et tout le monde est demandeur. Un seul jour passé parmi les marcheurs transforme une personne tant les rencontres sont riches et diversifiées.
Les premières étapes se font dans des fermes, des copropriétés ou des gîtes disposant d’une certaine autonomi sur le plan soit du recyclage des déchets et des eaux usées, soit sur la production d’énergie (ex. pour chauffer l’eau avec l’énergie solaire)

Au bout de 3 jours se fait sentir le besoin de définir ce qu’est la décroissance pour le groupe. Une réunion générale est organisée. On commence par lire un texte de François, synthèse théorique de ses réflexions sur ce thème. Ce texte est tellement juste et complet qu’aucune réaction ni aucun désaccord ne peuvent plus être exprimés (J’espère que ce texte paraîtra sur le site www.decroissance.org). On propose donc que chacun écrive ses réflexions sur des bouts de papier afin de les lire anonymement devant le groupe. Et là c’est l’explosion. Certaines idées reviennent souvent, mais sont exprimées avec des mots différents. De nombreux thèmes sont abordés : absurdité de la croissance, écologie, consommation, industrie, santé, économie, éducation, spiritualité. Des projets d’écovillages sans voiture sont proposés. On perçoit déjà aussi le point qui divise : la question de la représentation politique. Plus tard une autre réunion recensera les pratiques décroissantes que chacun a déjà mis en oeuvre ou souhaite expérimenter. Les comptes-rendus des différents ateliers de réflexions seront bientôt disponibles sur les sites qui parlent de la Marche : www.decroissance.org et www.decroissance.info.

La marche continue à un rythme soutenu jusqu’au premier jour de repos au Lac des Sapins. Pour moi, l’apogée de cette marche se situe à la ferme de Bonnefond, l’étape qui a précédé le jour de repos. Autour d’un verre de vin bio et d’un fromage de chèvre bio, les inhibitions à l’expression de l’amour qui a germé dans cette marche s’amenuisent. Il faut reconnaître qu’il se passe quelque chose : la diversité des personnalités, la qualité d’écoute, la communauté de vie, le rapprochement de la nature, la beauté des paysages, l’effort de marche, l’ardeur du soleil, tout cela a contribué à nous faire découvrir un autre rapport aux autres, un autre rapport au monde, un autre rapport à la vie. L’expérience est d’ores et déjà un succès.

Le jour de repos se déroule sous la pluie, ce qui n’empêche pas l’organisation de quelques ateliers (par exemple pour la création d’un écovillage sans voiture) Certains qui étaient présents depuis le début partent, d’autres nous rejoignent. Les jours de repos se font plus nombreux et le soleil revient, ce qui nous permet d’aborder différents thèmes comme « l’après-Marche », la décroissance au delà de l’écologie, les relations humaines, la création de groupes de débats sur la décroissance à l’université, etc. Il reste encore de nombreux thèmes à discuter comme la vision des systèmes de santé dans le cadre de la décroissance, une organisation politique décroissante, l’éducation, la décroissance en ville, etc. Tous ces thèmes seront sans doute débattus et redébattus dans les prochains jours et jusqu’à Magny-Cours.

Je quitte cette marche un peu à regret, et un peu aidé par une grosse ampoule pleine de pus (, c’est du vécu ! rdm [1]) Mais d’autres activités m’attendent et je les ai choisies librement. Je suis maintenant transformé par cette expérience unique et conforté dans mes choix de réorganisation de ma vie vers une consommation décroissante et un bonheur croissant. Savoir que d’autres aspirent au même bonheur et que je peux dialoguer, échanger et nouer des liens avec eux est rassurant.

Abordons maintenant quelques pratiques alternatives et quelques principes théoriques qui sont nés de la Marche :

- La câlino-révolution :
Il s’agit de changer le monde directement par une action hautement militante à répéter le plus possible : le câlin. Le câlin aussi appelé "embrassade" consiste simplement à prendre quelqu’un dans ses bras et à le serrer fort comme on le fait pour un ami ou un parent proche. Les avantages du câlin en terme de décroissance sont nombreux (partage de la chaleur, partage de l’espace, convivialité, évacuation du stress, gratuité, absence de pollution, etc) mais François en parlera mieux que moi. Le câlin peut se pratiquer avantageusement en groupe. Il existe deux techniques de groupe. Pour la première, il suffit de se mettre en cercle, puis de faire un câlin à ses deux voisins alternativement, ; ensuite on peut continuer sur sa lancée avec qui se trouve à notre portée. La deuxième pratique du câlin de groupe se nomme "chat-câlin". C’est comme un chat-perché sauf qu’il faut faire un câlin à un autre joueur pour que le chat ne puisse pas nous toucher.

- Les plantes sauvages :
De nombreuses plantes sauvages ramassées sur les bords des chemins ont été consommées durant ces quelques jours. Je retiendrai essentiellement le plantain, herbe ronde ou longue avec des stries derrière la feuille. Il suffit de le mâcher et de poser la mixture obtenue sur une ampoule pour la soigner. L’ortie, très riche en protéines (autant qu’un steack à poids égal), a la propriété de drainer le foie. La menthe sauvage que l’on utilise comme de la menthe pas sauvage. Les plantes sauvages se consomment en salade, en agrément dans l’eau de cuisson des pâtes, ou en infusion (pour remplacer le thé importé de pays lointains).

- Le Chiapatti :
Il s’agit d’un pain cuit à la poêle en 5-10 minutes. La recette est ultra-simple : 1 kg de farine, 1 poing de levain (ou de la levure de boulanger), du sel et de l’eau. Malaxer la pâte jusqu’à ce qu’elle soit homogène. Ajouter des herbes sauvages coupées en petits morceaux. Pour cuire le chiapatti, prendre une poignée de pâte, en faire une galette que l’on dispose dans une poêle sur un feu de bois. Cuire la galette des deux côtés. Lorsque les deux faces sont bien dorées, disposer les agréments (confiture, salade, etc) sur ou dans le chiapatti. On peut aussi placer certains agréments (oignons, fromage ou chocolat) directement dans la pâte avant de la faire cuire.

- Ma chanson : Révolution :
Parce que changer le monde passe aussi par la culture, voici la chanson que j’ai composée il y a un an ou deux.

Accords (4 fois chacun) :
Si7m La7 Sol7M Fa#6b

Rythme Reggae, Solo Flamenco

C’est parce qu’on veut un monde moins con

Qu’il faut virer l’pouvoir en place

Mais comme on est pas prétentieux

On n’se mettra pas à la place

Oui je sais bien qu’c’est audacieux

Et qu’ils seront un peu coriaces

Mais comme on veut un monde moins con

On n’a pas l’choix : Révolution Révolution Révolution wowowowowowo ... (Vélorution)


Quand tout le monde roulera à vélo

C’est dans nos rues qu’ce sera plus beau

Ca fera du bien à nos oreilles

On pourra écouter les abeilles

Au lieu de s’comporter en ruche

Dans notre monde un peu nunuche

Nous on croit en un monde moins con

On n’a plus l’choix : Révolution (*3) wowowowowowo ...


Et pour changer tout ce bordel

Nous on n’veut pas qu’ce soit sanglant

Ca s’est déjà fait j’me rappelle

Et on voit c’que ça donne maintenant

On f’ra ça dans la non-violence

Car elle a notre préférence

La guerre nous on trouve ça trop con

On préfère la Révolution (*3) wowowowowowo ...


On passera par l’économique

Solidaire et écologique

Des travailleurs coopératifs

Et qui ne s’arracheront plus les tifs

Quand on aura viré les chefs

On pourra s’taper une bonne leffe

Et reconstruire tout mais en mieux

Ce sera bien plus doux pour nos yeux, Révolution (*2) wowowowowo ...


C’est parce qu’on veut un monde moins con

Qu’il faut virer l’pouvoir en place

Mais comme on est pas prétentieux

On n’se mettra pas à la place

Oui je sais bien qu’c’est audacieux

Et qu’ils seront un peu coriaces

Mais comme on veut un monde moins con

On n’a pas l’choix : Révolution Révolution Révolution wowowowowowo ...

(Fin)

- Dérisoirité de la conférence du lundi soir :
J’ai recueilli peu d’avis à ce propos, mais ils convergent tous vers une déception par rapport à la conférence de lundi. La plupart d’entre nous n’y ont rien appris, étant déjà sur la voie de la décroissance depuis quelques années. Certains propos invitent à la prudence (représentativité politique et présentation d’un programme et d’une tête aux élections présidentielles, « il faut bien qu’un état soit gouverné », etc). La « base » est déçue par la faible qualité des propos tenus et s’inquiète de la récupération du mouvement de la décroissance par une certaine élite « intellectuelle » dont seul un membre a participé à la marche durant 2 jours.

- Discussion de l’aspect politique :
Certains ont parlé de créer un parti politique, notamment lors de l’organisation des "Etats Généraux" de la décroissance. L’argument principal est que c’est le meilleur moyen de faire connaître la décroissance à ceux qui l’ignorent encore. Personnellement, la décroissance m’intéresse parce que c’est simplement une proposition économique. Et ce champ est suffisamment vaste pour qu’on ne s’intéresse à rien d’autre lors de nos réflexions sur ce thème. A moins bien sur qu’on ne me prouve qu’un système d’organisation politique consomme moins d’énergie qu’un autre. Aussi, les expériences passées ont prouvé l’inefficacité de ce genre de démarches qui ne font que nous intégrer dans la logique du spectacle et du marketing politique organisé par les médias de masse. Enfin, la pratique autogestionnaire a très bien fonctionné durant cette marche et a un côté convivial qui va dans le sens de la décroissance. Une organisation autogérée n’a pas besoin d’un parti politique institutionnel selon moi. Si une idée est bonne, elle fonctionnera et se diffusera. Il n’y a pas besoin de prosélytisme.

- Ce qui divise : les ordinateurs et Internet, les portables, la politisation du mouvement.

- Ce qui fait à peu près consensus : la diminution des besoins et de la consommation, la suppression de la télé, de l’avion et de la voiture, la diminution ou suppression du travail, l’inéquitabilité du commerce et la nécessité de consommer local, la promotion des énergies renouvelables, de la convivialité (le "moins de biens, plus de liens" a fait fureur), le retour à des modes d’organisation à échelle humaine.

Comme je le disais au début de cet article, la marche pour la décroissance occasionne un foisonnement des idées et des réflexions et je n’ai pu en retransmettre qu’une faible partie dans cet article. Le partage a été plus que fructueux, mais nécessite encore des mises au point. Les pratiques alternatives s’échangent dans la convivialité, ce qui est l’essentiel. En effet notre but n’est pas de tergiverser mais d’adapter dès maintenant notre vie quotidienne à nos idées de partage des richesses et d’amélioration des conditions de vie de chaque personne sur Terre.

Michaël,
le 17 juin 2005

Notes

[1rdm : réflexion du modérateur

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