Une aventure pirate : radio Canut

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« Des milliers et des milliers de récepteurs radio
meublent la vie des gens, objets familiers, intégrés dans les habitudes : ouvrez le robinet à parole directement au-dessus de votre poubelle, les mensonges ne nous concernent pas. De Sud-Radio à France-Inter, la parole est volée, truquée, aseptisée »
.
Collectif Radios libres populaires, 1978

Au cœur de l’univers médiatique lyonnais, radio Canut occupe une place singulière. De par son histoire tout d’abord qui recouvre aujourd’hui presque trente années d’activités (enfin presque quoi !) au service de la liberté d’expression publique. Singulière encore par sa nature (vous en connaissez beaucoup des radios associatives et indépendantes ?) et par son mode d’organisation pratiquant au quotidien l’autogestion et tout le tralala qui va avec. Enfin, et cela découle de ce qui précède, c’est son potentiel d’écoute qui fait de cette structure un outil tout à fait à part puisque hormis les zones que les ondes du 102.2 ne parviennent manifestement pas à pénétrer, c’est bien toute la communauté urbaine ainsi que ces marges (soit à peu près un rayon de trente kilomètres autour de Lyon) qui peut recevoir ses programmes (bien souvent en montant le son et en passant outre les parasites je vous l’accorde).

Media appartenant déjà au passé mais en phase avec le présent, si on la laisse exercer, radio Canut peut encore donner beaucoup à la liberté d’expression, à la diffusion et au brassage des idées et cultures, toutes les conditions nécessaires à l’évolution d’une société toujours susceptible de mûrir.

Un peu d’histoire tout d’abord : L’histoire des radios libres traduit l’influence croissante des médias de masse dans la seconde moitié du 20e siècle. Sont en jeu le respect des normes, l’inculcation des pratiques et représentations sociales, que viennent contester dès le début des années 1970, en France et ailleurs, des collectifs de radios pirates puisque c’est effectivement le médium qui possède encore le meilleur rapport coût/pénétration. Ainsi et afin de lutter contre les radios d’État (France-Culture et Radio Variété) et les « périphériques » privées (radios qui émettent à partir de sites extérieurs au territoire national comme RTL à partir du Luxembourg), des Réseaux Populaires de Communication multimédia sont mis en place en 1974.

Leur succès est néanmoins limité car le contrôle de l’État, officiellement instauré sur les fréquences hertziennes en 1959, s’accroît jusqu’en 1978 (accord européen pour la répression des émissions de radiodiffusion en 1967 et modalités de répression - emprisonnement et amendes - en 1978). Mais l’agitation autour de la radiodiffusion se maintient, toujours menée par des collectifs de radios pirates que la tactique du brouillage, pour les isoler et les marginaliser, ne réussit pas à faire taire (citons Radio libre 44 sur Nantes, Radio Barbe rouge sur Toulouse et Radio verte sur Paris).

A la fin des années 1970, on compte plusieurs centaines de ces radios sur l’ensemble du territoire, dont une grande partie émet sur Paris : « La « graine d’anarchie » dont a parlé M. Raymond Barre à propos des radios libres se porte bien, merci pour elles, et l’on peut déjà espérer miser sur 500 à 600 radios libres en France pour dans quelques mois... » peut-on lire en 1979 dans L’insurgé du crassier, l’un des organes imprimés du mouvement. Car le but des radios libres est évidemment de fournir un outil aux nombreux courants de contestation qui se développent alors, en usant de formes très diverses : des radios éphémères le temps d’une lutte ou d’un événement (comme Radio Larzac en août 1977), radios de quartier animées par un comité ou une association de locataires, des radios intervenant sur les pratiques culturelles, des radios d’une ville ou d’une région contre le monopole de la presse régionale etc.

Pour revenir à Radio Canut-Guignol (le 1er nom de radio Canut), ses premiers pas sont maintenant bien connus : « Radio Canut première formule, c’était un émetteur bricolé, un rendez vous donné à 6 ou 7 personnes dans un lieu tenu secret jusqu’à la dernière minute, une émission de 5 mn sur un toit de la Croix-Rousse, un qui tient l’antenne à la main, un autre qui tient celui qui tient l’antenne, et les autres, guetteurs frigorifiés et grelottant. Pas question de penser « radio », de s’offrir une réflexion sur l’acte et le fait radiophonique. Participer au mouvement des radios libres se résumait pour l’essentiel à des discussions de
tactique et de stratégie à adopter face au pouvoir
giscardien se rappelle un de ses fondateurs. La radio connaîtra deux saisies de matériel, trois
condamnations et plusieurs amendes jusquà l’arrivée de la Gauche au pouvoir en mai 1981 et l’adoption de la loi sur la liberté de communication audiovisuelle en 1982. Toutefois, cette « libération » se fit au détriment des radios associatives militantes en leur imposant des regroupements avec des radios privées importantes ou en facilitant leur accession au rang de radio commerciale.

Entre 1981 et 1985, c’est donc une lutte administrative qu’il s’agit de mener face à l’État qui reconnaît certes les radios libres comme interlocuteur mais entend les soumettre aux lois du marché économique. Finalement, c’est en 1985 que radio Canut est autorisée à émettre dans le respect de ses principes fondamentaux, bénéficiant du retrait de l’armée de la bande FM.

Depuis cette date, radio Canut émet 24 h/24 sur le 102.2 mhz, en conservant ses spécificités de radio militante.

L’autogestion met en place des Assemblées générales, mensuelles dans un premier temps puis annuelles (apparaissent dès lors divers réunions et conseils d’émissions prolongeant l’AG annuelle), dans lesquelles toutE animateur/trice se prononce et légifère sans prééminence quelconque. Le bureau qui gère l’association au quotidien est élu chaque année, ses réunions sont ouvertes à tous les associéEs.

L’indépendance financière est assurée par le Fonds de soutien à l’expression radiophonique et l’autonomie vis à vis du monde commercial s’exprime par un refus radical au recours à la publicité, aux partenariats commerciaux et au salariat.

Penser local et agir global : La raison d’être de radio Canut semble bien s’inscrire dans la communication publique, populaire et surtout locale. L’antenne, nous l’avons vu, recouvre au mieux la région et les émissions s’adressent à la population lyonnaise. C’est dans cette optique que depuis toujours la radio à voulu faciliter l’expression des
différentes communautés présentes sur Lyon (sud-américaine, portugaise, comorienne, haïtienne, turque, kabyle et j’en oublie) ainsi que des groupes, organisés ou non, intéressés par tel problème social, culturel ou politique.

De la même manière s’y expriment les différentes tendances musicales underground qui trouvent sur place des supporters.
Cette intervention locale de la radio s’est accrue ces dernières années en débordant le strict domaine radiophonique. Ainsi, le hall d’entrée des studios se trouve bigarré des multiples affiches posées à la sauvette et ses tables sont transformées en comptoirs d’information sauvage, culturelle ou politique, conférant aux locaux un véritable rôle de lieu-ressource en matière d’information locale.

L’investissement des réseaux lyonnais s’est encore renforcé par la présence de radio Canut lors de différentes manifestations, à l’initiative de la fête de la musique et du repas de quartier du 1er mai sur la place Sathonay, ou encore en participant à divers mouvements (contre l’occupation de la Palestine ou contre les venues des dirigeants chinois, pour l’affichage libre, contre la dérive sécuritaire et la vidéo-surveillance etc. pour n’en citer que quelques-uns uns). Autant d’éléments illustrant l’extension de son champ d’intervention et soulignant le sentiment que certainEs de ses membres purent ressentir des limites de la seule animation radiophonique.

Or, si son identité lyonnaise semble s’être renforcée cette dernière décennie, le paradoxe de la modernité pousse la radio vers une autre voie, une ouverture vers l’extérieur. Effectivement, en rejoignant la communauté du net, c’est à l’univers entier (n’ayant pas peur des mots et des réalités) que l’on peut s’adresser aujourd’hui par les ondes du 102.2 mhz.

De fait, usant d’un studio virtuel à partir de son site (c’est le streaming comme on dit dans notre jargon radiophonico-internetophile), Canut est aujourd’hui accessible à toute personne connectée sur terre (c’est pas beau ça ?).

Bref, il semble qu’aujourd’hui et après plus de vingt-cinq années d’existence, radio Canut se découvre une nouvelle envergure sans contredire sa raison d’être (un media local), une situation propre à créer de nouvelles motivations afin de garantir l’essence de l’initiative : l’autogestion et le bénévolat au service d’une information socio-politique et d’une animation culturelle libérées des pressions mercantiles, assurant ainsi l’accession aisée de toutes et de tous à une réelle liberté d’expression.

Ricardo Morales

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