A Lyon, le préfet distribue des titres de séjour... aux roms

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Au terme d’une campagne électorale marquée par une radicalisation de Sarkozy sur l’immigration, on apprend qu’à Lyon, le préfet régularise massivement des roms.

Il faut remonter au 13 septembre 2011 pour comprendre ce qui se passe. Ce jour là, la police intervient pour expulser une centaine de roms originaires de Roumanie qui viennent de s’installer sur un terrain dans le quartier de Gerland [1]. C’est le coup d’envoi d’une grande campagne d’expulsion qui verra plus de 650 personnes jetées à la rue et qui ne s’arrêtera qu’en novembre, avec le déclenchement du plan froid [2].

A Gerland, deux groupes principaux se forment.

Le premier, d’une vingtaine de personnes, décide de tenter sa chance du côté de la gare de Perrache. Elles s’introduisent sur un terrain et y passent la nuit avant d’être réveillées par la police qui les chasse et appelle le propriétaire, un promoteur immobilier.
Arrivé sur place le propriétaire, touché par la détresse de ces familles exténuées décide de leur proposer un autre terrain sur lequel il n’a pas de projet immédiat : une école désaffectée à Oullins. L’arrivée de roms sur sa commune déclenche la colère du Sénateur-Maire UMP M. Buffet qui promet au chef d’entreprise l’enfer s’il n’expulse pas immédiatement les familles de son terrain. Le promoteur tient bon et ne cède pas. Il signe même un accord avec les familles roms. Il ne les lâchera plus jusqu’à ce qu’une solution digne soit trouvée et en appelle aux pouvoirs publics.

Quelques semaines plus tard, le chef d’entreprise reçoit un appel de la préfecture…

Le second groupe décide de s’arrêter sur un parking voisin, à deux pas de l’église de Gerland. C’est en plein air, ils sont sous la pluie et exposés au froid. Un jour, le curé de Gerland va rencontrer une petite fille qui lui adresse un grand « bonjour ». Touché par la politesse et la spontanéité de l’enfant, le prêtre se rend vers les familles et leur propose de se mettre à l’abri, au fond de son église.
« Nous ne sommes pas dignes de dormir dans une église » lui répondent les familles roms. « Vous n’êtes pas dignes non plus de dormir dehors » leur répond le prêtre. _
Les familles acceptent finalement l’offre et se réfugient à l’abri. L’accueil s’organise, une salle plus adaptée est trouvée et ce sont environ 70 personnes qui sont mises à l’abri, sous l’église et la protection du prêtre qui est appuyé par le Cardinal Barbarin, archevêque de Lyon.

Quelques semaines plus tard, le prêtre reçoit un appel de la préfecture…

La préfecture explique au chef d’entreprise et au prêtre qu’il a été décidé de régulariser toutes les familles. Une association se rapprochera d’eux et viendra expliquer les modalités de l’opération. La plus grande discrétion est demandée.

Fin décembre, les familles qui se trouvaient sur le terrain du promoteur partent en appartement. Le Directeur de l’association choisie par la préfecture pour mener à bien cette opération explique que le préfet Jean-François Carenco est intervenu personnellement pour que toutes les personnes puissent être relogées [3].

Le mécanisme se met en place. Après le logement, les familles reçoivent des cartes de séjour d’un an. Dans le même temps, elles suivent des cours de français et les enfants sont scolarisés. Les allocations familiales commencent à tomber.

Alors, on pourrait se féliciter de cette initiative et souhaiter qu’elle soit généralisée. Elle pourrait même devenir un modèle du genre. Sauf que…

Sauf que depuis des mois, voire des années, la préfecture nous explique qu’elle n’a pas les moyens d’appliquer la loi et de loger les sans-abri, que les étrangers sans ressources doivent quitter le territoire. Et là, comme par miracle, tout est possible.

Sauf que les associations qui interviennent depuis des années auprès des populations roms : Médecins du Monde, l’Alpil, la Cimade n’ont pas été associées à ce projet. Les élus locaux non plus. Dans un rapport concernant le bilan du plan froid, Médecins du Monde évoque brièvement le sujet en regrettant la façon de procéder [4].

Sauf que la politique féroce de répression qui s’abat sur les roms depuis le discours stigmatisant de Grenoble reprend de plus belle à Lyon. Après la pause du plan froid, le préfet Carenco recommence à appliquer la politique d’expulsions massives voulue par Sarkozy.
Les enfants retournent en prison avec leurs parents, juste avant d’être expulsés vers la Roumanie [5].
En une semaine, une centaine de personnes à été expulsée de différents lieux de vie. Des OQTF (Obligations de Quitter le Territoire Français) sont distribuées à la volée dont une quarantaine sur le même camp il y a quelques jours. Ces OQTF précisent que les personnes notifiées « n’ont pas de ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale »… Et que par conséquent, elles n’ont plus de droit au séjour en France [6].

L’hypocrisie est à son comble.

D’un côté on offre tout à une centaine de personnes et on les transforme en une charge pour l’Etat, de l’autre, on reproche à leurs voisins, leurs cousins, parfois même leurs frères de n’avoir aucune ressource et on les oblige à repartir en Roumanie.

La nouvelle se répand comme une traînée de poudre au sein de la communauté rom. « A Lyon, Sarkozy régularise des roms, Sarkozy donne des titres de séjour, Sarkozy donne des appartements, Sarkozy donne les allocations familiales … ».
Pourtant, les déclarations de Klarsfeld à propos des roms résonnent encore : « Vous voulez les loger alors que la France est en crise, alors que les étrangers en situation régulière ne trouvent pas de logement ? Ce serait mal accepté par l’opinion publique, difficile budgétairement et cela susciterait un appel d’air. » [7]

Il est trop tôt pour mesurer ce fameux effet « d’appel d’air ». En revanche, on peut déjà mesurer l’immense sentiment d’injustice comme l’explique un militant associatif : « Cette opération de régularisation est une catastrophe. L’autre jour, j’ai rencontré un enfant de 12 ans qui venait d’être remis à la rue avec sa famille en raison de l’arrêt du plan froid. J’ai dû passer 30 minutes pour tenter de lui expliquer pourquoi lui et sa famille n’avaient aucune chance de disposer des papiers, de l’appartement et des allocations familiales alors que ses cousins viennent d’en bénéficier. Il m’a répondu qu’il vivait avec sa famille en France depuis 7 ans, alors que son cousin, lui, était arrivé en France il y a 7 mois… ».

En fin de compte, c’est surtout cela qui met mal à l’aise. On a vraiment le sentiment que nous ne vivons plus dans un état démocratique où les citoyens sont égaux devant la loi, mais dans une ploutocratie où quelques puissants ont le droit de vie et de mort sur leurs sujets.

Nous savons maintenant depuis 5 ans qu’en sarkozie, selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Maintenant, si vous êtes rom, selon que vous toucherez le cœur d’un chef d’entreprise ou d’un prêtre vous serez logé, régularisé et on vous versera des prestations familiales. Si vous n’avez pas cette chance, alors vous serez traqué, fiché, enfermé et expulsé.

Certains observateurs pensent que c’est la puissante Eglise de Lyon et son Cardinal qui sont à l’origine de cette invraisemblable opération de la préfecture. Ce qui est certain c’est qu’en signant les cartes de séjour d’une main et les expulsions de l’autre le préfet applique à la lettre l’évangile selon Saint Matthieu.
« … quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite ». Matthieu (6:3)

Philippe Alain

Notes

[3Jean-François Ploquin Directeur de Forum Réfugiés, Le progrès, 31 décembre 2011 : « Après plusieurs semaines de travail conjoint entre l’association Forum Réfugiés et l’entreprise d’insertion par le logement Adoma, six ménages, dont 5 avec enfants, ont quitté hier l’ancienne école Jean Jaurès d’Oullins. Les familles ont en effet intégré deux grands appartements, l’un dans le 8e arrondissement de Lyon, le second à Vaulx-en-Velin…Sur ce dossier, le préfet du Rhône, Jean-François Carenco, était intervenu pour que ces familles, originaires de Roumanie, en accueil précaire à Oullins puissent bénéficier d’une solution d’hébergement. »

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