Ces dernières semaines, on a pu lire beaucoup d’histoires sur comment Lukashenko combat l’UE avec l’aide de réfugiés en provenance du Moyen-Orient. D’après certains médias, les flux de migration sont organisés par Loukashenko lui-même. D’autres affirment que le dictateur a tout simplement ouvert les frontières, permettant de passer en Europe de manière relativement simple (la situation a beaucoup changé ces dernières semaines à cause du froid). Beaucoup considèrent les réfugiés comme des criminels, et la Pologne, au mépris des traités internationaux, a officiellement commencé à les expulser de son territoire sans prendre en considération le droit d’asile.
Il y a plusieurs angles de vue sur cette affaire, et nous souhaitons mettre en lumière qui profite de la situation.
Loukashenko et ses amis
Le dictateur a une très bonne compréhension des politiques européennes sur les migrations : ce n’est pas pour rien qu’il a longtemps été subventionné pour que les frontières soient renforcées juste du côté bélarus. Les flux de fonds européens montre bien quels sont les points de pression sensibles. Le calcul est simple : en exerçant une pression suffisante sur l’Europe via les réfugiés et la question migratoire, on ouvre la possibilité d’un retour à la table des négociations entre l’U.E. et le Bélarus. Si les politiciens de Bruxelles se mettent réellement à table, les désaccords concernant le règne de Loukashenko pourraient être mis en sourdine malgré ses violations des droits humains, que l’Ouest a déjà feint d’ignorer par le passé.
Clairement, le régime bélarus fait de l’argent sur le dos des réfugiés, comme d’autres acteurs privés. Citons les taxes diverses et variées, l’usage de rouage bureaucratiques et d’infrastructures gouvernementales qui serait autrement vides par les temps qui courent. Mais il est beaucoup plus important pour le régime de montrer une opposition politique aux sanctions occidentales : ces dernières causent des pertes financières autrement plus massives.
Le gouvernement polonais
Tout le monde a entendu parler du conflit entre le gouvernement polonais, de droite dure, et l’Union Européenne. Ce conflit a pour objet les nombreuses violations des droits de « son » peuple par le gouvernement polonais. Ça en est au point que l’U.E. envoie des amendes à la Pologne, qui les ignore tout en demandant un soutien économique.
La situation actuelle aux frontières de la Pologne change légèrement la donne : maintenant, cette droite dure joue le rôle de gardienne de l’Europe. Dans cette position, Varsovie a gagné un levier efficace contre les politiciens de l’Ouest. Voilà pourquoi les violations des conventions sur les réfugiés mettent l’ONU en colère mais n’inquiètent pas particulièrement les politiciens libéraux allemands ou français.
Évidemment, pour maintenir ce levier, le conflit doit poursuivre l’escalade et les infos doivent se faire de plus en plus scandaleuses, ce à quoi s’affaire le gouvernement polonais. Aujourd’hui, les soit-disant étapes pour la résolution de la crise sont plutôt orientées vers une montée en tension du conflit avec Minsk, principalement pour préserver l’influence politique de Varsovie au sein de l’Union Européenne. C’est en jouant au garde-frontière de l’Europe entre 2014 et 2017 qu’Orban, leader autoritaire de la Hongrie, a pu maintenir une position relativement confortable pendant un temps non négligeable auprès des politiciens occidentaux.
L’opposition bélarus
Tristement, l’opposition bénéficie elle aussi de cette situation migratoire. Le conflit à la frontière semble être la seule chose sérieuse qui attire à tous les coups l’attention des journalistes et politiciens occidentaux sur le Bélarus. Les arrestations massives, les tortures et les meurtres des opposants en 2020 n’ont pas entraîné de réaction sérieuse de leur part. C’est uniquement quand Loukashenko a commis des erreurs en politique étrangère – en forçant un avion Ryanair à atterrir pour arrêter un opposant (si Protasievich avait été sur un vol Belavia ou Aeroflot, cela aurait posé beaucoup moins de soucis à l’Occident), puis en ouvrant les frontières aux réfugiés – que l’Europe a immédiatement engagé des sanctions sérieuses.
Les opposants, blogueurs comme politiciens, ont bien compris cela, et usent de n’importe quel moyen de pression sur le dictateur. A chacun-e de nous de juger si cela est éthique ou pas, au vu de la situation au Bélarus.
Qui gagne ?
Il est difficile de prédire un gagnant à cette situation. Il est clair que les forces autoritaires engagées dans le conflit instrumentalisent les réfugiés pour donner corp à leur vision cinglée de la réalité : d’un côté Loukashenkoland, ou la moindre critique envers le régime est réprimée et où le Grand Leader veut bâtir un équivalent centre-européen à la Corée du Nord ; de l’autre, des états aux frontières barbelées et grillagées pour protéger le « premier monde » de la réalité. Cette réalité dont souffrent les peuples : le réchauffement climatique, le capitalisme, les guerres et les dictatures. Ces peuples qui viennent aux portes de la forteresse Europe en espérant mieux, et qui crèvent dans les marais des régimes bélarus et polonais.
Nous savons qui perd à tout les coups dans cette situation – celles et ceux qui ont besoin d’aide et d’un endroit sûr où vivre. Et cela ne concerne pas uniquement les habitant-es d’Afghanistan, de Syrie ou d’Irak : Les voies utilisées l’année dernière par les bélarus pour atteindre l’Union Européenne sont maintenant fermées suite aux efforts de Loukashenko et de quelques opposants.
Que Loukashenko et son régime aillent se faire foutre ! Que Duda et ses potes corrompus aillent se faire foutre ! Que Motolko et les autres blogueurs faisant la chasse aux sans-papiers à Minsk aillent se faire foutre !
Notre solidarité va vers celles et ceux qui combattent les politiques autoritaires à Minsk, Varsovie, Bagdad et partout ailleurs sur la planète.
Article original :
https://pramen.io/en/2021/10/who-is-using-refugees-for-their-own-purposes/
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