De l’anti-électoralisme en politique

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Que le processus électoral soit aujourd’hui un instrument entre les mains du système en place est une évidence, et qu’à ce titre il soit dénoncé, est un impératif politique catégorique. Cela ne doit cependant pas nous aveugler au point de se priver d’un outil de fonctionnement social et politique qui peut rendre de grands services...

Matière à réflexion

Ne nous méprenons pas, l’anti électoralisme est aussi stérile que l’électoralisme. Jeter à priori l’anathème sur le principe de la pratique de l’élection c’est confondre le moyen avec l’objectif.

SUR LE PRINCIPE DE L’ELECTION

Le principe de l’élection n’a rien en soi de scandaleux. Elire dans une collectivité des représentants peut être un moyen commode et efficace de fonctionner socialement dans une collectivité.

Ce qui fait problème ce n’est pas le principe de l’élection mais le contexte et l’objectif dans lequel il est utilisé et la manière dont elle est utilisée.

Le principe du suffrage universel a été incontestablement un grand progrès. Issu des Lumières il posait comme principe fondamental de toute vie en société, la primauté de l’Homme et sa liberté absolue en tant qu’être social. L’aboutissement d’une telle conception a été un long combat et le principe de l’élection a été vécu, à juste titre, comme un immense progrès social et politique. Ce n’est donc pas le principe qui est à remettre en cause.

ELECTION / SYSTEME MARCHAND : LE COUPLE INFERNAL

Le problème c’est que ce progrès a fondé, à son origine, l’instauration du système marchand. En effet, celui-ci, qui naquit dans les replis et les marges de l’Ancien Régime a promu des valeurs qui lui étaient indispensables pour s’imposer face à l’ancien ordre – en particulier celle de la liberté d’entreprise… qui est devenue la LIBERTE et celle de l’égalité politique face aux privilèges de la Noblesse… et qui est devenue l’EGALITE. Ces valeurs « absolues », et toujours présentées comme telles, n’ont en fait un véritable sens que dans leur acception sociale concrète.

Au fur et à mesure du développement du système marchand, on a vu ce que ce qu’elles sont véritablement devenues.

Le principe de l’élection n’est qu’une forme de l’instauration de l’ordre nouveau, celui qui met bas l’absolutisme et consacre l’Homme comme acteur politique et non plus sujet du Roi ou d’une divinité quelconque.

Cette idylle entre ces valeurs et l’ordre marchand ne pouvait pas durer.

Pourquoi ? Parce que le système marchand s’est essentiellement fondé sur des principes profondément inégalitaires qui ne pouvaient qu’entrer en contradiction avec les valeurs qu’il proclamait. – par exemple le salariat qui en est le fondement, instrumentalise l’individu, le rend dépendant, le prive d’une partie de la richesse qu’il a produit et est donc parfaitement contradictoire avec ces valeurs.

Ainsi, une fois installé dans la société, le système marchand a entretenu le mythe de la LIBERTE et de l’EGALITE – notons que dans l’Histoire, tous les systèmes ont procédé de la sorte.

Ainsi, l’élection, qui dans son principe, est parfaitement respectable, est devenue une machine à assurer et à conforter le pouvoir des nouveaux maîtres. Une machine qui a confisqué de fait le pouvoir au nom de ceux là même qu’elle a spolié. Cette évolution est parfaitement logique, il aurait été absurde que le système en place permette à ses adversaires de le renverser.

Bien sûr les apparences ont été respectées, mais tout a été fait pour la vider de son sens : manipulation, conditionnement, règne de l’argent,… S’est créé une caste de privilégié-e-s, que le système a pu corrompre lorsqu’ils avaient, pour certains, des visées révolutionnaires, qui se reproduit, gère et assure la pérennité du système marchand. Cette caste incompétente et parasite – la classe politique – entretien l’illusion du « fonctionnement démocratique » et de la « possibilité de changement par les élections ».

Il est aujourd’hui évident que l’élection ne peut en aucune manière permettre le changement de rapports sociaux… pourtant la croyance demeure chez nombre de citoyens.

UN SYSTEME COHERENT

De même que sous l’Ancien Régime on croyait « dur comme fer » que le « Roi représentait Dieu sur la Terre » et que « les misères du monde ouvraient grandes les portes du Paradis », la plupart des citoyen-nes sont convaincu-e-s aujourd’hui que la pratique de l’élection est la quintessence de la démarche citoyenne et qu’elle ouvre les portes de l’avenir. Il faut dire que le système, comme tous les autres systèmes avant lui, se donne tous les moyens pour entretenir l’illusion…. et il réussi pas mal jusqu’à présent ! L’instruction civique est en effet plus axée sur ce point que sur un entraînement à l’analyse critique du système.

L’élection a d’ailleurs parfaitement réussi à mystifier, aux yeux de la plupart des citoyens, la réalité économique et sociale au point qu’elle constitue exclusivement la seule expression du désaccord, du mécontentement, mais aussi de la colère. Le processus électoral a stérilisé toute pensée politique.

On a ainsi assisté depuis le 19e siècle au passage progressif de la plupart des mouvements « contestataires », parfois radicaux, de la contestation radicale… à l’acceptation du jeu électoral. Ainsi, le politique est devenu la politique qui n’a plus comme seul objectif que la gestion du système en place.

Le système politique boucle ainsi sur lui-même. Il en est à la fois le moyen et la finalité. Pris dans cette logique, le citoyen, tout en étant formellement libre, est tout à fait impuissant.

GRANDEUR ET SERVITUDE DU BOYCOTT

Pour celle ou celui qui a pris conscience de cette réalité, la tentation est grande tout en dénonçant l’électoralisme, de ne pas participer à l’élection. La démarche est, au premier abord, logique… et si elle apporte la satisfaction de « ne pas se faire avoir », elle n’en demeure pas moins stérile car elle « s’imprime en creux » dans un système qu’elle ne permet pas de dépasser.

L’impuissance du boycotteur n’est que la réplique dérisoire de l’impuissance de l’électeur. Dans les deux cas, le système est gagnant, car aucune des deux attitudes n’est capable de remettre en question le système ; la première parce qu’elle le cautionne, la seconde parce qu’elle dénonce de manière incompréhensible pour celles et ceux qui « y croient », et n’offre aucune alternative concrète.

C’est la question généralement posée à l’abstentionniste : « OK, mais qu’est ce que tu proposes ?  »

Une « campagne de boycott ou d’abstention » a donc à mes yeux un intérêt des plus limités.

Et imaginons par exemple un boycott massif, une abstention massive !… Pensez vous qu’au lendemain des élections les choses changeraient ? Mais dans quel sens ? et pour faire quoi ? Même si l’immense majorité des citoyens-nes était convaincue du caractère pernicieux du système électoral actuel, est ce que ça voudrait dire qu’une alternative est possible ? J’en doute fort. C’est une condition probablement nécessaire pour le changement mais certainement insuffisante.

Les choses seraient bien entendu différentes si, parallèlement à un boycott massif, des luttes et une organisation alternative de relations sociales existaient… Alors là oui, l’abstention serait un des aspects, et certainement pas le plus important, d’une dynamique sociale de changement.

Aujourd’hui on est bien loin d’une telle hypothèse.

Dénoncer la logique électorale ! Soit, mais ne rêvons pas. N’en attendons pas plus qu’elle ne peut apporter. Moduler une action de boycott ou d’abstention sur le même modèle que la campagne électorale serait totalement dérisoire.

Un mouvement d’ abstention, même si il se dit « révolutionnaire » n’a pas de sens en soi. Ce qui est révolutionnaire, ou pas, c’est une situation sociale, c’est-à-dire un état de la société. dans laquelle les rapports sociaux dominants ne peuvent plus assurer la cohésion sociale et où de nouveau rapports sociaux sont prêts, économiquement et politiquement à prendre le relais.

De fait l’abstention n’est qu’une réaction « contre institutionnelle » à l’encontre de l’institutionnalisation d’un mécanisme totalement détourné, l’élection, dans le but inavoué de la pérennisation du système économique et politique en place. C’est une forme de « grève civique ». c’est une révolte froide, certes respectable dans ce qu’elle a de conscience et de détermination, mais limitée tout de même à un aspect purement formel de la contestation.

L’anti électoralisme ne peut prendre son sens que s’il y a parallèlement une pratique concrète qui œuvre dans le sens du changement social. Et même, peut-être que dans ce cas, et dans ce cas seulement, l’électoralisme peut se retourner contre le système lui-même… mais nous n’en sommes pas là.

Patrick Mignard

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