A l’heure où Cesare Battisti (activiste italien) vient d’être arrêté par les hommes de N. Sarkozy, la question est à nouveau posée. Soyons clairs, il ne s’agit pas ici de défendre le terrorisme comme moyen d’action, mais bien de résister à la diabolisation de la violence en politique, d’éviter les positions pudibondes contre les éternels casseurs.
Avant toute chose il faut commencer par rappeler, et garder à l’esprit, le fait que nous vivons dans une société de domination d’une violence inouïe, qui provoque la mort de millions de personnes, et condamne l’avenir des générations futures. La violence, nous en sommes déjà victimes en permanence. Il s’agit donc d’y résister.
A la fin du XIXe siècle en Russie, des anarchistes nihilistes ont choisi de pratiquer des attentats pour dénoncer la violence du pouvoir. En France d’autres anarchistes pratiqueront aussi la « propagande par le fait ». Le Président de la République Sadi Carnot en fera les frais en 1894 : il est poignardé à Lyon par l’anarchiste italien Caserio. Cette mort est célèbre. Elle a fait de Carnot un martyre de la violence d’extrême gauche. Mais on rappelle rarement que ce même Président venait d’envoyer à la guillotine Auguste Vaillant, en refusant de le gracier. Cet anarchiste avait tenté de faire éclater le simulacre démocratique en posant une bombe au Parlement, qui ne fit que quelques blessés légers. Il n’en perdit pas moins la tête, et on comprenait que le pouvoir ne plaisante pas avec les symboles. Il s’ensuivit une escalade dans la violence, jusqu’à l’écrasement des anarchistes par les « lois scélérates ».
Presque un siècle plus tard, au sortir de la vague de contestation radicale de la fin des années 1960, certains jeunes, légitimement désespérés par le retour au train-train quotidien, ne purent tolérer l’attentisme et firent le choix de l’action directe, violente. Ce fut la RAF en Allemagne, les Brigades Rouges en Italie, et Action Directe en France, etc. Aujourd’hui, des militants sont encore en prison, dans des conditions souvent dramatiques.
A partir du cas de la RAF, je propose quelques brèves mises au point sur la question de la violence en politique, qui gagneraient à être complétées par les analyses historiques des autres groupes terroristes révolutionnaires – l’idée étant de partir des faits concrets pour progresser dans les positions éthiques.
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Tout d’abord, une chose est sûre, dans leurs attentats, les terroristes ne se sont jamais trompés de cible.
Quelques victimes de la RAF :
1977, Hans-Martin Schleyer. Membre de l’organisation étudiante nazie avant même l’accession de Hitler au pouvoir en 1933, il avait ensuite appartenu à la SS. Après 1945, il fait tranquillement carrière dans la grande bourgeoisie allemande (patron de Daimler-Benz…) et devient le grand chef du patronat allemand.
Ainsi, les mêmes qui, en 1945, cautionnaient à Nuremberg la mise à mort des nazis, s’émeuvent quand certains poursuivent le procès en 1977, contre un personnage n’ayant fait qu’aggraver son cas, en toute impunité. Deux poids deux mesures ? Les contextes sont différents, on ne peut le nier. Mais on peut tout de même s’interroger sur l’expiation collective du mal en 1945, qui poussa la société à « faire au coupable, de sang froid et sans danger précisément la même chose dont elle le punit » (Victor Hugo dénonçant le « le meurtre légal »). En tout cas, l’épuration fut clairement démagogique : elle n’empêcha pas un Papon de continuer de massacrer légalement dans les années 1960…
1977, Siegfried Buback. Procureur fédéral ayant défendu un « renforcement du droit pénal » lors des procès des membres de la RAF, renforcement permettant par exemple aux juges d’exclure les avocats des débats.
Comme près d’un siècle plus tôt en France, « l’Etat de droit », à travers ce procureur, défend la bourgeoisie, et réprime sans complexe à grand renfort de « lois scélérates ». Les terroristes ont une fois de plus démontré de quel côté était le droit : l’Etat est prêt à faire les pires entorses quand il s’agit d’arrêter les insoumis recourant aux armes, mais il s’accommode de la présence d’anciens nazis dans les hautes sphères de l’Etat.
1977, Jünger Ponto, président du directoire de la Dresdner Bank.
1989, Alfred Herrhausen, président du directoire de la Deutsche Bank.
1991, Detlev Rohwedder, président de l’Office de privatisation de l’économie allemande (la Treuhand).
En France, Action Directe exécuta le général Audran, responsable des ventes d’armes de l’État français, en 1985 ; et Georges Besse, PDG de la Régie Renault, en 1986. Outre sa position de grand patron, cyniquement responsable de centaines de licenciements, et donc d’autant de drames humains, Georges Besse symbolisait aussi la violence du capital contre les résistants : le groupe qui l’assassina s’était nommé « Commando Pierre Overney », du nom du jeune militant maoïste, tué par un vigile de Renault en 1972. Encore une fois, cela ne légitime en rien l’assassinat, mais cela replace les faits dans leur cadre historique, violent.
Lorsqu’on parle de la bande à Baader, il faut là aussi rappeler le contexte :
Le 2 juin 1967, le jeune étudiant Benno Ohnesorg est assassiné. Une balle dans la tête par un policier en civil, Karl-Heinz Kurras. De quel côté est la violence ? L’Etat répond : « Le 22 novembre 1967, la chambre correctionnelle du Tribunal régional acquitta Karl-Heinz Kurras, lequel aurait utilisé son Walther PPK calibre 7,65 en « légitime défense putative », s’étant trouvé dans un « état psychogène exceptionnel »... Trois ans plus tard, la cour d’appel confirma la sentence. »
(Le Monde Libertaire, http://monde-libertaire.info/article.php3?id_article=2607)
Révoltée, la jeune Ensslin Gudrun, fille de résistants anti-nazis, s’écrie :
« Ils nous tueront tous – vous savez à quels salauds nous avons affaire – c’est la génération d’Auschwitz. Ils ont des armes et nous n’en avons pas. Nous devons nous armer. »
Compagne d’Andreas Baader, elle devient l’une des meneuses de la bande. Dix ans après ce cri, en octobre 1977, elle est retrouvée morte dans sa cellule.
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On le voit, son visage est plein de vie. Justement, Ensslin avait peut-être échappé à la socialisation mortifère du monde capitaliste, au point que toute complicité avec le crime tacite lui était devenue intolérable. C’est en tout cas ce qu’il aurait fallut penser à son procès, s’il fallait la juger.
« N’ont-ils pas raison les historiens, les sociologues, les politiques qui ont vu dans ces terroristes les « enfants d’Hitler » ? La RAF n’était-elle pas un des derniers écho, affaibli, de la violence des années 1918-1945 ? Un mouvement terroriste issu d’une frange des milieux soixante-huitards n’est-il pas apparu dans les deux pays qui avaient connu un régime fasciste : l’Allemagne et l’Italie ? »
Vous vous demandez qui a bien pu écrire de pareilles horreurs. Rassurez-vous, c’est quelqu’un de bien : Edouard Husson, maître de conférences à Paris IV, spécialiste de l’Allemagne contemporaine. Est-ce au détour d’une haineuse note de bas de page ? Non, c’est dans la célèbre revue L’Histoire (Titre de l’article : « La ‘ bande à Baader ’ ou la stratégie de la terreur », Mars 2002). A l’outrance idéologique, s’ajoute un mensonge gros comme votre salaire Monsieur Husson : vous savez comme tout le monde qu’un troisième pays a connu « un mouvement terroriste issu d’une frange des milieux soixante-huitards » : la France, avec Action Directe. Ce simple fait invalide une thèse déjà bien loufoque, et dont on aimerait connaître les références (qui sont ces « historiens, sociologues, et politiques » ?). Cette citation, et l’aura académique qui l’entoure, prouve à quel point les terroristes d’extrême gauche sont stigmatisés, diabolisés, dans la plus pure idéologie bourgeoise.
Il n’est possible de juger ces terroristes, que si l’on commence par dire que leur cause était juste, et si l’on agit soi-même contre la domination – ce qui n’est pas le cas des juges officiels. Leurs avis n’ont donc aucune légitimité : ils ne font que sanctionner un ordre social dont la violence terrible est banalisée. Sartre ne s’était pas trompé sur cette question, c’est pourquoi il rendit visite à Baader, dans sa prison. S’attirant les foudres de l’intelligentsia, il avait choisi de discuter avec cet homme qu’il considérait comme un interlocuteur politique digne. Et il s’agissait de penser ensemble la résistance contre les « salauds ». C’est à ce titre solidaire qu’il lui fit part à la fois de son opposition aux modes d’actions terroristes, et de son soutien face à la répression.
D’un point de vue politique (et non pas moralisateur) je suis radicalement opposé aux moyens choisis par ces jeunes révolutionnaires car ils induisent la mise à mort d’un être humain dans un contexte qui ne l’impose pas. Si dans des guerres de résistance la mort d’autrui peut s’avérer nécessaire, on ne peut la décider à quatre ou cinq, dans une situation qui est loin de garantir des effets positifs. Néanmoins, leur choix politique se respecte et ils l’ont assumé jusqu’au bout, dans la plus grande dignité (grèves de la faim, suicide). A tel point que l’Etat, révélant par là ses propensions totalitaires, continue aujourd’hui de violenter ces individus en les maintenant dans ses geôles. Ils ont purgé leur peine, mais refusent toujours de « s’amender » et de reconnaître la justice officielle. L’Etat, disposant du « monopole de la violence » (et de quel droit ? je n’ai rien signé !), marque symboliquement son autorité dans la chair de ces personnes.
Aujourd’hui, sous nos yeux, se joue la fin du 1984 d’Orwell, et le pouvoir de Foucault écrase le Sisyphe de Camus.
> D i s s i d e n c e .fr
Lire « La mort lente d’Andreas Baader », par Jean-Paul Sartre, le 7 décembre 1974.
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