La CRIIRAD : vingt années d’activités de recherches indépendantes sur la radioactivité
- 26 avril 1986 : le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose..
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- Avril - mai 1986 : la désinformation officielle
En France, les services officiels (SCPRI) affirment qu’il n’y a pas de réel danger à plus de 10 km de la centrale et absolument aucun risque en France : « Il faudrait imaginer des élévations 10 000 ou 100 000 fois plus importantes pour que commencent à se poser des problèmes significatifs d’hygiène publique » affirme un communiqué officiel régulièrement diffusé à partir du 1er mai.
Le 6 mai, le ministère de l’Agriculture est catégorique : « En raison de son éloignement, le territoire français a été totalement épargné par les retombées radioactives (...) ».
Les pouvoirs publics recommandent à la population de ne rien changer à ses habitudes alimentaires, y compris dans les régions les plus touchées, y compris pour les enfants et les femmes enceintes.
- Mai 1986 : la naissance de l’association
Dans les premiers jours de mai 1986, un groupe de drômois et d’ardéchois décidait de prélever des échantillons de sol, d’eau de pluie, de mousse, de lait et de salade afin de faire contrôler leur niveau de radioactivité. Ils s’étonnaient en effet du décalage entre les informations données par les autorités françaises et celles diffusées dans les pays riverains.
Éconduits par EDF et les services de l’État, les futurs responsables de la CRIIRAD obtenaient l’aide du Pr Robert Béraud qui disposait d’un laboratoire à l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon et qui acceptait d’effectuer les analyses. Les résultats obtenus le 9 mai révélaient la présence d’une dizaine de produits radioactifs et à des niveaux qui n’avaient rien d’anodin. Le « nuage » radioactif de Tchernobyl avait contaminé la France à des niveaux qui imposaient des mesures de protection adaptées. L’information était aussitôt transmise aux médias (une interview du Pr Béraud était diffusée le lendemain sur France Inter).
Le 10 mai 1986, le Pr Pellerin, directeur du SCPRI, intervenait au JT de 13h sur TF1. Il reconnaissait que la radioactivité de l’air avait été multipliée par 100, voire 400 (alors que l’élévation était jusqu’alors qualifiée de « légère »). Il présentait également la carte de France des dépôts radioactifs. Sur la base de cette prestation télévisée, les journalistes titraient le 12 mai sur le mensonge et les aveux. En réalité, le directeur du SCPRI continuait de pratiquer la désinformation : les chiffres qu’il publiait sous-évaluaient la réalité de la contamination d’un facteur 100 à 1 000 ! Il faudra 20 ans à la CRIIRAD pour contraindre les services officiels (en l’occurrence l’IRSN) à reconnaître l’existence et la fausseté de ces évaluations.
Le 15 mai une réunion publique réunissait au TEIL une centaine de personnes qui décidaient la création de la CRIIRAD : une association indépendante qui aurait pour mission de défendre le droit à l’information sur toutes les questions relatives aux rayonnements ionisants et qui disposerait d’un laboratoire spécialisé lui permettant de conduire ses propres investigations.
Le 22 mai, à Montélimar, la CRIIRAD tenait sa 1re Assemblée Générale, réunissant 400 personnes venues d’horizons professionnels très divers mais unies par la même révolte et le même projet. Parmi la vingtaine qui va jouer un rôle déterminant dans le développement de l’association : Yvon et Nicole Sabatier, François Mosnier, Michèle Rivasi, Gérard Dabbène, Denise Wolh, Marie-Laure Rodet, Jean-Marie Tavan, James Charret, Catherine Maneval, Pierre Coulomb, Alain Crégut, Christian Courbon.
Les statuts de l’association étaient déposés en préfecture le 28 mai et les autorités en prenaient acte par récépissé daté du 3 juin (publication au JORF du 26/06/86). L’objet de la CRIIRAD était ainsi rédigé : « Recherche d’informations sur tout ce qui concerne la radioactivité dans l’environnement ; Information du public et des groupes constitués ; Création d’un laboratoire d’analyse habilité à effectuer toutes investigations à son initiative et des prestations de service pour des tiers ».
- Septembre 1986 : l’inauguration du laboratoire d’analyse
De mai à septembre, les mesures de radioactivité ont été effectuées à Lyon, grâce à l’aide courageuse du Pr BERAUD et de son assistant, Sylvain VANZETTO qui ont assuré la formation des responsables de la CRIIRAD, et en particulier de François MOSNIER qui jouera un rôle clef au sein du laboratoire.
Grâce à l’appel lancé dans le cadre de l’émission Droit de réponse du 13 septembre, la CRIIRAD récoltait l’argent nécessaire à l’équipement du laboratoire. Il était installé près de Montélimar, à Montboucher-sur-Jabron, et inauguré fin septembre. Le premier laboratoire indépendant était né. Il pouvait répondre aux demandes des particuliers, associations et collectivités et conduire ses propres investigations. Après la contamination des plantes aromatiques en juillet 86, la CRIIRAD alertait à l’automne sur la contamination du foin (qui a provoqué au printemps celle de la viande), puis sur la capacité des champignons à concentrer les polluants radioactifs présents dans le sol.
La CRIIRAD en 2006
- Une association à but non lucratif
Des missions et des valeurs précises
La CRIIRAD a deux missions fondamentales :
1/ défendre le droit à une information fiable sur la radioactivité et le nucléaire, travail qu’elle effectue en se basant notamment sur les investigations scientifiques de son laboratoire et sur l’analyse critique des publications de l’État et des exploitants ;
2/ améliorer la protection contre les dangers des rayonnements ionisants, en faisant sanctionner les infractions et le laxisme des services de contrôle, en faisant évoluer la réglementation en matière de radioprotection. Grâce à ses fonds propres (cotisations et prestations du laboratoire), la CRIIRAD bénéficie d’une totale indépendance vis-à-vis de lobbies, en particulier du lobby nucléaire, ce qui garantit une totale liberté d’investigation à son laboratoire (dans la mesure des moyens financiers de l’association).
La CRIIRAD est indépendante de l’État, des exploitants du nucléaire, des utilisateurs de sources radio-actives dans les domaines médical et industriel et de tout parti politique. Elle a pour objectif d’élaborer et de diffuser une information de qualité, alternative à la communication officielle et susceptible de développer l’esprit critique des citoyens français sur des questions essentielles pour leur santé et leur environnement.
Des adhérents.
La CRIIRAD est une association à but non lucratif (loi 1901) qui compte entre 3 500 et 4 000 adhérents. La fidélité et la générosité de ces quelques milliers de personnes garantissent l’existence de la CRIIRAD, son indépendance et lui permettent de conduire ses propres investigations. L’assemblée générale (AG) annuelle permet aux adhérents de contrôler la qualité du travail effectué et le respect de l’éthique associative. L’AG procède également à l’élection des administrateurs.
Des administrateurs entièrement bénévoles.
La CRIIRAD est dirigée par 15 administrateurs élus et renouvelables chaque année par tiers. Les réunions du CA ont lieu au moins une fois par mois. Le CA élit en son sein un bureau de 5 membres qui se réunit tous les lundis. Les administrateurs assurent une partie importante du travail associatif et veillent à ce que la structure salariée respecte les objectifs fixés par l’AG et les valeurs défendues par l’association.
Depuis 1997, la présidence de la CRIIRAD est exercée par Roland DESBORDES, professeur de physique. Michèle RIVASI a présidé l’association de 1986 à 1997, date à laquelle elle a souhaité se battre sur le terrain politique. Depuis lors, elle n’occupe donc plus aucune fonction au sein de la CRIIRAD.
La CRIIRAD emploie à ce jour 13 salariés dont 9 en contrat à durée indéterminée, les autres en contrats aidés. Corinne CASTANIER en assure la direction. Bruno CHAREYRON, ingénieur en physique nucléaire, est responsable du laboratoire.
Les ressources financières proviennent pour l’essentiel des cotisations des membres (40 € et 19 € pour les faibles revenus) et des études réalisées par le laboratoire. Le reste est constitué par les publications, les interventions, les stages, les aides de l’État sur les contrats de travail et les subventions de collectivités.
En 1997, la CRIIRAD a été agréée comme association de protection de l’environnement par le ministère de l’Environnement.
- Un laboratoire spécialisé
Il a effectué depuis 1986 des dizaines de milliers de mesures de radioactivité et des centaines d’études radioécologiques et de contre-expertises tant pour les particuliers et les associations que pour les collectivités, les industriels ou les tribunaux. Sa réputation de compétence et d’indépendance l’amène à intervenir de plus en plus à l’étranger (Japon, Niger, Lituanie, Espagne...).
Installé à Valence, le laboratoire comporte notamment une salle de préparation des échantillons (avec étuves, balances de précision, matériel de broyage, filtration, conditionnement...), une salle de comptage pour la spectrogammamétrie et la scintillation liquide, une centrale de gestion de balises de surveillance en continu de la radioactivité de l’air et de l’eau.
Le laboratoire dispose de deux chaînes de détection par spectrométrie gamma équipées de détecteurs semi-conducteurs au germanium hyper pur couplés à des analyseurs 8 000 canaux et d’un analyseur à scintillation liquide (Packard TRI-CARB modèle 2770 TR/SL) avec chambre de comptage spéciale très bas bruit de fond. L’équipement de terrain comprend 1 spectromètre portable Target Nanospec, 3 ictomètres (DG5 et SPP2) et 1 compteur proportionnel LB 123. Les mesures de radon en dynamique s’effectuent grâce à un moniteur ALPHAGUARD et à un Radhome P.
Le laboratoire participe régulièrement aux programmes d’intercomparaison destinés à vérifier la fiabilité de la métrologie. Il est agréé par le ministère de la Santé pour les mesures de radioactivité dans l’environne-ment et détient les 2 types d’agréments (niveaux 1 et 2) pour les mesures de radon dans les bâtiments qui accueillent du public.
- Les priorités de la CRIIRAD pour 2006 - 2007
(Adoptées par l’assemblée générale des adhérents qui s’est déroulée le 30 avril 2006, à Valence)
1. Empêcher l’adoption du projet de loi sur la gestion des matières et déchets radioactifs
Ce projet a été adopté par l’Assemblée nationale en 1re lecture le 12 avril dernier puis modifié par le Sénat le 31 mai. Il sera examiné en seconde lecture par l’Assemblée nationale après le 15 juin. Si un vote conforme est requis, l’adoption est quasiment programmée pour juin 2006.
Or, ce texte préconise l’enfouissement des déchets de haute activité... en violation des prescriptions de la loi de 1991, en violation des conclusions du débat national, en violation des rapports scientifiques qui demandaient de terminer les travaux de recherche avant de prendre des décisions. Compte tenu de la gravité des enjeux, c’était quand même la moindre des choses !
La CRIIRAD mettra tout en œuvre pour empêcher le vote de ce projet de loi. Si jamais ce texte est adopté, elle se mobilisera pour demander aux candidats aux élections de 2007 de s’engager à l’abroger.
2. Obtenir l’abrogation de la nouvelle loi sur la transparence et la sécurité nucléaire
La loi relative à la transparence et à la sécurité dans le domaine nucléaire a été adoptée le 1er juin dernier. Sous réserve de la saisine du Conseil constitutionnel, elle devrait être promulguée prochainement par le président de la République.
La CRIIRAD dénonce l’adoption d’un texte particulière- ment dangereux car il donne des pouvoirs exorbitants aux 5 personnes qui constitueront la nouvelle Autorité de Sûreté Nucléaire sans exiger aucune réelle garantie en contrepartie. Le remède sera pire que le mal. S’agissant du contrôle d’une industrie aussi sensible que l’industrie nucléaire, on ne peut que s’inquiéter de la démission de l’État.
Ce texte est également un monument d’hypocrisie pour tout ce qui concerne le droit à l’information. Les dispositifs mis en place vont en effet renforcer l’élaboration de l’information officielle - qui correspond le plus souvent à de la désinformation - en se gardant bien d’apporter des réponses aux vrais problèmes posés par la sécurité nucléaire et la radioprotection.
3. Tchernobyl - France : obtenir la sanction des responsables et de leurs complices
La CRIIRAD a obtenu cette année que l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire - qui est l’expert de l’État - reconnaisse l’existence et le caractère erroné des cartes établies en mai 1986 par le Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (qui était alors l’expert officiel). Ces cartes étaient censurées depuis 20 ans. Il a fallu pour cela des communiqués de presse, des lettres ouvertes aux ministres de tutelle de l’IRSN et des débats publics... mais la CRIIRAD y est parvenue.
Par contre, les responsables de la Direction Générale de la Sûreté Nucléaire (qui s’est autoproclamée Autorité de Sûreté Nucléaire) continuent d’affirmer que la crise de 1986 a été très bien gérée. Or, ce sont ces responsables qui décideront de notre protection en cas de nouvel accident ! La CRIIRAD va donc demander aux ministres de tutelle de la DGSNR (Industrie, Environnement et Santé) de démettre M. André-Claude LACOSTE, directeur de la DGSNR, et son adjoint, M. BOURGUIGNON, de toute fonction leur conférant un pouvoir décisionnel en matière de radioprotection.
La magistrate en charge de la plainte contre X a mis en examen le professeur Pellerin, qui dirigeait le SCPRI en 1986. La CRIIRAD fera tout son possible pour que ce haut fonctionnaire soit sanctionné pour les fautes qu’il a commises. Elle veillera aussi à ce qu’il ne serve pas de bouc émissaire. En effet, il n’aurait pas pu causer autant de dysfonctionnements, ni sévir aussi longtemps si tout un système n’était en cause. Par ailleurs, de nombreux scientifiques et organismes réputés participent, aujourd’hui encore, à la désinformation et tentent d’abuser la Justice afin que prévale l’impunité. La CRIIRAD publiera un ouvrage de référence rappelant le rôle et les interventions de chacun afin que l’ensemble des responsabilités soient posées.
4. Tchernobyl et les enjeux internationaux
Afin de témoigner sa reconnaissance aux centaines de milliers de liquidateurs qui ont sacrifié leur santé pour limiter les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, en solidarité avec les victimes et en réaction contre les bilans falsifiés de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique, la CRIIRAD va lancer une action internationale demandant au secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, M. Kofi ANNAN, la constitution d’une commission d’enquête indépendante chargée d’expertiser les bilans officiels qui ne reconnaissent que 60 décès provoqués par la catastrophe.
- Également au programme :
la poursuite du projet de laboratoire de Minsk en partenariat avec le Pr Youri Bandazhevsky,
le travail sur les dossiers ITER, EPR, Mélox, usine d’enrichissement et mines d’uranium,
la lutte contre les projets de légalisation de la contamination des aliments.
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