« Avec vos pétitions, manifestations et banderoles vous avez bonne mine,... nous autres avec quelques nuits d’émeutes on a tout de suite obtenu quelque chose !... ».
C’est à peu près le seul message « politique » qu’ont voulu faire passer en clair les quelques jeunes des banlieues qui se sont exprimés sur les dernières « violences urbaines ». Quelle/s leçon/s devons nous en tirer ?
LA VIOLENCE PAIE-T-ELLE ?
On peut légitimement se poser la question et ce indépendamment de toute considération morale que l’on peut émettre à propos de cette violence.
Il est exact que les demandes réitérées des jeunes, des éducateurs, des associations, de toutes celles et tous ceux qui avaient/ont conscience de ce qui se passe dans les cités... sont restées sans réponse et il est non moins exact que pour mettre fin aux violences, en plus des mesures répressives, un effort « social » quoique dérisoire, pour ne pas dire simplement financier, a été fait en direction des banlieues. Cet effort aurait-il été fait en l’absence de violence ? On peut en douter. Alors ?
Alors il est exact que de brûler, casser, « passer à la télé » ça fait bouger les gouvernants. La question qui demeure c’est tout de même « qu’obtient -on ? »
Quelle est la rançon de la violence ?
Si les mesures prises en faveur des banlieues, l’on été sous la contrainte, ce qui est le cas, il est bien évident qu’elles sont purement circonstancielles, autrement dit, ne faisant pas partie d’un plan politique, elles seront remises en question à la première occasion, sinon sur le long terme. Elles n’ont qu’un seul objectif : rétablir le calme.
On peut raisonner en disant « C’est toujours ça de pris ! ». C’est vrai, mais c’est aussi faire preuve d’une relative courte vue.
On peut aussi raisonner en disant « Plus on fait de dégâts, plus on obtient ». Là on fait un raisonnement faux. Il n’y a pas proportionnalité entre l’intensité de l’action et ses résultats, et ce pour deux raisons :
l’Etat est obligé (politiquement) d’imposer des limites à l’ « insurrection » en particulier lorsqu’elle, volontairement ou non, déstabilise ou risque de déstabiliser le système, ou touche des intérêts vitaux et /ou politiques,
le désaveu dans la population l’emporte sur la compréhension.... L’effet entraînement, en l’absence de projet politique, ne jouant pas /plus.
Dans les deux cas la répression s’abat sans que l’on n’obtienne rien, pas même le soutien de la majorité de la population.
Tout compte fait, au sens propre comme au sens figuré, la violence paie peu. C’est cher payer pour les contestataires, pour des mesures conjoncturelles, probablement éphémères qui sur le fond ne changeront rien à la situation.
UNE VIOLENCE CONTENUE
Ne nous faisons pas d’illusions, tous les États se sont prémunis contre le danger insurrectionnel. Ils ont mis au point toute une panoplie de moyens de plus en plus sophistiqués et efficaces :
sur le plan militaire : les forces de répression sont nombreuses et bien équipées, quadrillent le pays, écoutent, fichent... Même l’armée est aujourd’hui uniquement formée de mercenaires... Finie la possibilité de noyauter, retourner une armée de citoyens.
sur le plan juridique : un arsenal dissuasif pouvant aller jusqu’au couvre feu partiel ou total
sur le plan politique : le système électoral qui donne l’illusion du fonctionnement démocratique en jouant habilement de l’alternance et en faisant jouer l’épouvantail au FN... En cas de troubles graves, recours aux élections avec « remise des pendules à l’heure »,... on nous a déjà fait le coup...
sur le plan idéologique : servie par des médias bien contrôlés par l’État et les puissances financières, la pensée unique structure les cerveaux, oriente les réflexions, suggère les réactions, manipule les sondages, crée les craintes « salutaires », indique les « bons choix », ...
Une telle organisation n’est pas nouvelle, elle a été éprouvée à toutes les époques de l’Histoire avec des variantes et bien sûr des moyens différents.
Il nous faut partir du principe que dans un affrontement direct, force restera au système. D’ailleurs un mouvement insurrectionnel, même parfaitement organisé, même avec des objectifs clairs, n’est pas forcément gage de succès, du moins sur le plan historique... l’exemple de la Révolution russe est là pour nous le rappeler.
AU DELA DE LA FASCINATION DE LA VIOLENCE
Le spectacle de la violence fascine, c’est bien connu et fait dire, et faire, souvent n’importe quoi, fait prendre la réalité pour ses désirs. La violence d’une révolte peut n’avoir rien à voir avec une stratégie de changement social... la preuve. Cela dit la violence de la révolte a un sens qu’il est nécessaire de décrypter. Exercice difficile car on est toujours tenté de faire dire à l’évènement observé, ce que l’on souhaiterait qu’il dise, souvent plus que ce qu’il signifie réellement. Il peut y avoir un total décalage entre la violence de la révolte et les conditions nécessaires au changement. Croire que, parce qu’une révolte commence, révolte qui peut prendre différentes formes (« violences urbaines », grève générale,...), le processus de changement est engagé s’est s’exposer à de graves déboires et à une grande déception.
Il est regrettable, et somme toute symptomatique, que certains de celles et ceux qui dénoncent, à juste titre, le spectacle de la société marchande, tombent dans le piège du spectacle de la violence... le processus est identique même si l’objet est différent.... Attitude à méditer...
Ce qui fait le succès d’un processus de changement, ce n’est pas l’acte final, qui peut être ou non violent, pas même la répétition systématique de révoltes violentes, c’est tout ce qui précède, la mise en place de nouveaux rapports sociaux, et qui fonde le nouveau système. Or, nous n’avons comme vision de l’Histoire, à l’image de l’actualité dans les médias, que ce qui marque, ce qui est clinquant et spectaculaire. Cette vision nous donne une fausse impression de ce qu’est réellement la dynamique de l’Histoire. N’en rester qu’à cette vision superficielle nous condamne à reproduire le spectacle de ce qu’est véritablement notre impuissance, et la violence peut être alors le surdéterminant qui nous permet de nous maintenir dans l’illusion de l’efficacité.
La stratégie du changement s’élabore à partir d’un autre champ, celui de la praxis, celui qui substitue une alternative concrète, viable et donc crédible aux rapports sociaux qui ont fait leur temps.(voir l’article « TRANSITION »)
L’expérience de la révolte est à double tranchant. L’impossibilité, de dépasser le cadre trompeur de son image empêche d’en saisir sa véritable signification. C’est cette incapacité qui donne à la violence un sens qu’elle n’a pas. C’est cette incapacité qui fait la différence entre révolte et véritable changement social.
Patrick MIGNARD
Compléments d'info à l'article