Les « Créatifs culturels » : nouvelle arme de l’idéologie capitaliste.

2960 visites
1 complément

Une mouvance autoproclamée "créatifs culturels" [1] ambitionne de se constituer en groupe socio-économique pour occuper la niche du marché de l’âme investie par une clique croissante d’entrepreneurs de morale tels que Rabhi, Taleb, Besson-Girard et Alii.

L’expression « Créatifs Culturels », nouveau slogan racoleur du mouvement New-Age faisant suite au précédent slogan des « Enfants du Verseau » notoirement discrédité, est d’ailleurs déposée à l’Institut National de la Propriété Industrielle. Le mouvement est artificiellement construit par le biais d’un test de personnalité centré sur les « valeurs personnelles » qui, selon ses auteurs, tiendrait de l’enquête sociologique. L’objectif est de créer ad-hoc un groupe de pression politique. Il est intéressant de situer politiquement cette avant-garde éthique et de discerner sa fonction dans la mutation actuelle du mode de production capitaliste, caractérisée par la « révolution managériale » contemporaine de la « gestion des ressources humaines ».

1-DEVELOPPEMENT DURABLE, MANAGEMENT ET GOUVERNANCE : « L’ENTREPRENEUR DE SOI » ET L’IDEOLOGIE CAPITALISTE.

La notion de « créatifs culturels » est le produit d’une élaboration et d’une propagande journalistiques, agrémentées de « résultats d’enquêtes sociologiques » extrêmement contestables. En France, Yves Michel est le maître d’œuvre de l’enquête sociologique européenne sur les « créatifs culturels » [2], promue par les représentants de commerce du New-Age californien. Yves Michel et ses maisons d’éditions — Le Souffle d’Or et Yves Michel eds. — assurent la promotion du concept en France [3]. Les gratuits New-Age, tels que Biocontact ou Soleil-levant, ont aussi trouvé dans cette sagesse de boutiquier de quoi achalander leurs fonds de commerce. Toute une littérature invraisemblable fleurit sur ce discours ; un discours élitiste et disciplinaire typique de la nouvelle petite bourgeoisie ascendante, « libéraux-libertaires » et « bobos » en tous genres qui cherchent à transformer tout un chacun en « entrepreneur de soi » et la société en une grande entreprise.

Aussi, les textes et ouvrages du mouvement s’adressent surtout et d’abord aux entreprises, pour optimiser leurs procédures managériales de gouvernance d’entreprise [4]. L’idéologie managériale et le clientélisme les plus cyniques imprégnent ces textes [5]. Se référant donc en premier lieu au « développement durable », les fondateurs de cette mouvance inscrivent leur action dans le processus de réajustement des rapports entre le capitalisme managérial-entrepreneurial et le capitalisme financier. La notion de « créatifs culturels », créée ex-nihilo par le marketing publicitaire, s’inscrit donc dans l’utopie de la gouvernance, qui est en fait une méthode de management politique — psychotechniques politiques radicalement antidémocratiques spoliant les individus et la société de leurs pouvoirs possessifs sur eux-mêmes.

Et cette petite « élite » intellectuelle a noyauté les « mouvements alternatifs » tel que Attac, situés en principe aux antipodes idéologiques de ce New-Age politique ; mais la délimitation idéologique était manifestement moins ténue qu’on aurait pu le croire [6]. L’invocation incessante de la « société civile » par les chefs du New-Age politique — notamment Yves Michel [7]— montre combien ceux-ci, en convoquant cette notion centrale de la pensée libérale, poursuivent le même objectif de libéralisation par la contractualisation généralisée de la société. La dite « société civile » est conçue comme une chaîne de rapports contractuels auxquels les individus doivent se soumettre « volontairement » en renonçant « librement » à leur propre liberté pour s’asservir aux structures du marché, pour s’asservir à l’obligation contractuelle, à la contrainte légale. Le renversement de la liberté en servitude-volontaire est radical.

Car ce New-Age aux mille visages n’illusionne pas longtemps ; nous pouvons identifier les tares de ses idéologies fondatrices dans le discours légitimateur des « créatifs culturels » : élitiste, disciplinariste et normatif, voire autoritariste en dépit de l’apparence pacifiste et non-violente. La bouillie intellectuelle « psychologisante » de cette mouvance, empreinte de jésuitisme et de bonne conscience, est caractéristique de la pensée réactionnaire qui la porte (comparer les exercices spirituels des jésuites avec le « coaching spirituel » et le développement personnel par exemple). Pensée insipide et simplificatrice du « nouvel ordre moral » qui n’en est pas non moins dangereuse en ce qu’elle véhicule l’essentiel des idéologies de la révolution-conservatrice anglo-saxonne, qu’elle promeut depuis maintenant plus de trente ans en Europe.

Cette mouvance en quête de légitimité sociale et politique est donc surtout celle des managers, des coachs et des psychothérapeutes New-Age ; des éducateurs du peuple autoproclamés, prêt à enrégimenter chacun dans les normes morales du « nouvel esprit du capitalisme » ; une nouvelle avant-garde éthique, gardienne du nouvel ordre capitaliste-compassionnel et libéral-caritatif qui se met en place, avec sa morale thérapeutique [8] du « développement personnel » transformant la société en asile — en une société disciplinaire, comme l’avait bien entrevu Michel Foucault. Cette dictature-éducatrice, école de la soumission-volontaire, vise la transformation du rapport à soi vers un contrôle de soi provoquant l’intériorisation des contraintes et des normes sociales (autonomie, responsabilité, adaptabilité et flexibilité, etc.), repoussant chacun dans l’asile de son intériorité. Par suite, cette idéologie managériale transforme les rapports sociaux et le mode de production dans un sens toujours plus favorable au capital. Elle s’inscrit en plein dans la dialectique rapport social/mode de production et renforce la suprématie de la bourgeoisie dans la hiérarchie des rapports de classes.

2-NATURALISATION DE L’ORDRE SOCIAL ET ONTOLOGIE POLITIQUE : UNE PENSEE IDENTITAIRE. LA DIALECTIQUE DE LA RAISON.

La construction ex-nihilo de la catégorie des « créatifs culturels » apparaît ainsi comme une tentative de naturalisation de l’ordre social. Ses inventeurs et promoteurs tentent de faire exister ce groupe informel, et cette construction ad-hoc a notamment pour objectif de soutenir la tentative actuelle des thérapeutes et des managers visant à renforcer leurs positions au sein de la dialectique mode de production-rapports sociaux ; ce qui leur permettrait d’obtenir des rémunérations, des positions de prestige et de pouvoir politico-économique. Ce « constructionnisme » social repose ainsi sur des idéologies et sur une ontologie qui mettent en jeux l’effet normatif de la catégorisation « créatifs culturels ».

De fait, le slogan du « savoir-être », qui est au centre de l’idéologie managériale comme de l’utopie New-Age des « créatifs culturels », montre combien l’imaginaire politique de cette mouvance s’inscrit pleinement dans les catégories mentales de la pensée identitaire. Un identitarisme pétri d’hygiénisme psychologique qui exclue ou assimile par dictature-éducatrice interposée (management, développement personnel, coaching, « sensibilisation », « éducation populaire ») le non-identique au nom des nouvelles normes psychologiques du capitalisme cognitif. La métaphore de la « tâche d’huile », métaphore centrale de l’imaginaire politique du New-Age convoquée par les « créatifs culturels », illustre bien cette technique politique d’assimilation et d’arasement des différences, d’élimination du non-identique, typique des dynamiques totalitaires. Mais une logique totalitaire que l’on pourrait peut-être qualifier de « totaliste » car, au lieu d’éliminer purement et simplement le non-identique, elle procède plutôt par dissolution des différences, englobement, assimilation identitaire, inclusion et, enfin, absorption des personnes dans le mouvement totalisant/totalitaire par contamination. Et, de fait, l’éducation New-Age a pour fonction de rendre identique : identité de soi à soi, identité avec les caractères du « créatif culturel » préalablement définis, tels que le questionnaire des « créatifs culturels » les caractérise. Le but étant d’atteindre une « masse critique » — une autre formule stratégique du New-Age politique. C’est ici « la violence du rendre semblable » (Adorno) par l’éducation, c’est-à-dire par le développement personnel, le management, le coaching et la psychothérapie, sous les oripeaux de l’émancipation et de l’accomplissement de soi. Le « créatif culturel » est un sauveur du monde, les individus qui ne se rangent pas dans cette catégorie classificatoire, arbitrairement construite selon une méthodologie et des caractères extrêmement douteux, apparaissent comme étant nuisibles à la survie de l’humanité. Un parasite qu’il faut rééduquer par « développement personnel » interposé — l’usage massif de la psychothérapie étant l’apanage de systèmes totalitaires tels que le national-socialisme et le lénino-stalinisme. Et, de fait, ce psychologisme et cet ontologisme, assortis de la discipline ontologique et de la dictature éducatrice qui en résultent, préfigurent peut-être la formation d’une ontologie politique, prélude au totalitarisme [9] .

Cette rationalité instrumentale et managériale, qui transforme chacun en entrepreneur de soi, répond aux réquisits de performance et d’adaptabilité du nouveau mode de production capitaliste par lequel les classes sociales deviennent « société civile » ou encore « multitude » [10] ; toute conscience de classe qui surgirait des relation sociales de production est niée. Le nouveau mode de production capitaliste individualise et massifie simultanément, par management interposé, transformant les producteurs en individus « libres » [11]. Avec cette idéologie managériale, la production n’a plus pour objet la production des valeurs d’usage, mais la production de relations sociales en tant que production de valeur. Peut-être pourra-t-on dès-lors parler en termes d’ « économie quaternaire » ou encore d’ « économie solidaire » ? Cette utopie peut ainsi apparaître comme une véritable ontologie politique — peut-être comparable à l’ontologie politique des années 30, lors de la révolution conservatrice qui devait engendrer le totalitarisme national-socialiste [12]. Le holisme et le naturalisme typiquement New-Age qui caractérisent cette ontologie politique et qui imprègnent jusqu’à saturation l’air du temps contemporain tend à montrer d’ailleurs leur parenté avec l’ « humeur völkisch » dans l’Allemagne fasciste des années trente.

Un texte de Bourdieu extrait de « La distinction » — publié en 1979, tandis que le New-Age californien débutait sa croisade en France — nous permet de mieux caractériser ce mouvement en quête de légitimité sociale et politique [13]. Ce texte offre un instantané sur la conjoncture de la fin des années 70, tandis que le New-Age importait en France les idéologies de la révolution-conservatrice anglo-saxonne. Il décrit bien, par anticipation, les caractéristiques de la mouvance des « créatifs culturels », nouveau slogan racoleur de la nouvelle-droite New-Age de l’ « Ere du Verseau » : « ... la nouvelle éthique qui trouve son terrain privilégié dans l’avant-garde de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie s’accorde parfaitement avec une forme de conservatisme éclairé. » [14]. Un spiritualiste comme Sarkozy, thuriféraire de l’ « économie du bonheur » comme de l’idéologie managériale, et qui naquit « sous le signe du Verseau », est probablement lui aussi un « créatif culturel » [15] .

Luc Mazenc, mars 2008

Notes

[1http://www.creatifsculturels.fr/ Voir le gratuit New-Age Soleil Levant, N° 149, février 2008, dossier « Les créatifs culturels », pp. 4 -8.

[2Exemple de mise au point méthodologique du sociologiste en herbe : « Bien que très intéressée par votre démarche, je reste cependant dubitative sur ce que vous entendez par “valeurs féminines”. En quoi est-ce un concept scientifique ? En quoi peut-on prétendre que les femmes sont plus empathiques, moins dominantes, moins violentes que les hommes ? Cette dualité (H/F) me gêne particulièrement et il m’est pénible d’imaginer que je sois la seule à en avoir fait la remarque. ». Réponse de Yves Michel : « Madame, nous sommes dans les sciences dites “molles”, pas en physique… D’une part nous avons des questions très précises concernant la place des femmes dans notre société (au travail, à la maison, etc.) ; ensuite il est usuel d’associer certaines valeurs comme l’empathie, la coopération, la préoccupation face à la violence, au côté féminin de l’être (en sachant que les hommes ont aussi un côté féminin). Donc, nous ne prétendons nulle part que les femmes sont plus ceci ou cela, il s’agit de valeurs. Vous ai-je répondu ? », 30 octobre 2007, http://www.yvesmichel.org/yves-michel/espace-societe/abc-et-les-creatifs-culturels#comments.

[4« Les créatifs culturels sont très performants dans le management de l’intelligence collective. Ils peuvent donc apporter une grande valeur ajoutée dans la R&D, le marketing, la stratégie, le management d’équipes fonctionnelles ou projets et dans toute la conduite du changement en général. », http://www.ujjef.com/index.php ?idRubrique=9&idCategorie=23&idSousCatag.

[5Voir l’interview de Béatrice Quasnik,
chef de projet de l’enquête sur les "créatifs culturels" en France,
membre de l’association « Interactions Transformation personnelle/transformation sociale »
Transversales Sciences et Culture : « Cela (l’enquête européenne sur les « créatifs culturels ») intéressera les politiques, découvrant qu’une part importante de leur électorat potentiel et de ses attentes leur avait jusque là pratiquement échappé. Cela intéressera les entreprises, dont les enquêtes marketing, aussi sophistiquées soient-elles, étaient probablement passée à côté des motivations profondes d’une partie de leur clients. Une population avec des revenus et un niveau d’éducation plutôt au-dessus de la moyenne, dont le nombre va croissant, pour laquelle une palette d’offres de services est à concevoir dans sa totalité. », http://pagesperso-orange.fr/co-evolution/quotidien_quasnik01.htm .

[6La stratégie d’entrisme dans les mouvements sociaux et anti-mondialistes fut définie dès 1997 : « A long terme, je ne crois pas efficace de fonder un parti politique ... . [...] Il me semble plus judicieux de constituer un groupe de pression, source d’idées et de projets concrets, doté d’une forte éthique. [...] Insérons-nous dans des réseaux d’initiatives existantes : par exemple la Fondation pour le Progrès de l’Homme ... . », In. « Le Projet Rhubarbe. », éd. Le Souffle d’Or, 1997, Document en notre possession. La Fondation pour le Progrès de l’Homme, une ONG suisse, jouait un rôle de tout premier plan, en 1997, dans la coordination internationale des mouvements de lutte contre l’OMC.

Voir également, dans le N° 54 de la revue des psychothérapeutes New-Age « Réel », l’entretien avec Bernard Ginisty, co-fondateur d’Attac : « La transformation de soi va de pair avec la transformation de la société. C’est, pour moi, le sens profond du travail « d’éducation populaire » ... . », Article : « Il n’y a d’économie que politique. » (sic), Op. Cit., janvier 2003, p. 4.

[8Voir Supra., note 6, la citation de Ginisty. Sur la morale thérapeutique et les thérapeutes New-Age, petite bourgeoisie nouvelle : « Avec ces marchands de besoins, vendeurs de biens et de services symboliques qui se vendent toujours eux-mêmes en tant que modèles et en tant que garants de la valeur de leurs produits ... . [...] ... la petite bourgeoisie nouvelle est prédisposée à collaborer avec la dernière conviction à l’imposition du style de vie que propose la bourgeoisie nouvelle, aboutissement probable de sa trajectoire et objectif réel de ses aspirations. [...] ... elle se sent légitimée à leur enseigner le style de vie légitime par une action symbolique qui n’a pas seulement pour effet de produire le besoin de son propre produit, donc, à terme, de se légitimer et de légitimer ceux qui l’exercent, mais aussi de légitimer l’art de vivre proposé en modèle, c’est-à-dire celui de la classe dominante ou, plus exactement, des fractions qui en constituent l’avant-garde éthique. [...] Attendant son salut professionnel et personnel de l’imposition des nouvelles doctrines de salut éthique, la petite bourgeoisie nouvelle est prédisposée à jouer le rôle d’avant-garde dans les luttes qui ont pour enjeu tout ce qui touche à l’art de vivre ... . [...] ... un culte de la santé personnelle et une thérapeutique psychologique. Antithèse parfaite de la « politisation » qui dépersonnalise les expériences personnelles en les faisant apparaître comme des cas particuliers d’expériences génériques, communes à une classe, la « moralisation » et la « psychologisation » personnalisent les expériences, s’accordant ainsi parfaitement avec les formes plus ou moins sécularisées de la recherche du salut religieux. Comme le montre l’usage qu’elle fait du jargon psychanalytique, la morale moderniste est une vulgate psychologique qui moralise sous couleur d’analyse ... . [...] ... elle transmue, selon le vieux rêve positiviste, une définition faussement positive du normal en impératif de la normalité ... . [...] Plus proche en cela de la prophétie religieuse que de la science, qui est vouée aux vérités partielles et provisoires, cette morale qui se réclame de la science fournit une réponse systématique aux problèmes de l’existence quotidienne ... . [...] Et le glissement de l’éthique à la thérapeutique produit le besoin du thérapeute dont il est le produit : il ne fait pas de doute en effet que la recherche de la santé psychologique par le recours à des professionnels de la cure rationnelle des âmes (psychanalyste, psychothérapeute, conseiller conjugal, etc.) entretient une relation dialectique avec le développement d’un corps de professionnels capables de produire le besoin de leur propre produit, c’est-à-dire un marché pour les biens et les services qu’ils sont préparés à offrir. [...] Si le prosélytisme éthique de ces prophètes éthiques des sociétés bureaucratiques prend naturellement le contrepied de la morale ascétique de la petite bourgeoisie établie, c’est que, comme le choix, qui les définit, de faire leur profession plutôt que d’épouser des professions déjà faites, leur style de vie et leurs prises de positions éthiques et politiques ont pour principe le rejet de tout ce qu’il y a en eux-mêmes de fini, de défini, de définitif, en un mot, de petit-bourgeois, c’est-à-dire le refus d’être rangés en un lieu déterminé de l’espace social ... . [...] ... et cela, bien que toutes leurs pratiques, culturelles, sportives, éducatives, sexuelles, parlent de classement, mais sur le mode de la dénégation ... . », BOURDIEU Pierre : « La distinction. Critique sociale du jugement. », Paris : Les Editions de Minuit 1979, pp. 422 à 431.

[9La pensée New-Age radicalise l’épistémé occidentale, tandis qu’elle se présente elle-même, au contraire, comme un « nouveau paradigme ». L’ontologisme fondateur de la Théorie de l’Identité est l’opérateur de la « dialectique de la raison » (Adorno, Horkeimer), dont les formes extrêmes identifient le rationnel et le réel, construisant le réel à l’image du rationnel. La rationalité formelle instrumentale — rationalité cognitive instrumentale s’agissant de la psychologie — réifie le sujet et le monde. Le paralogisme de l’identité a mené aux totalitarismes du XXe siècle. Les psychotechniques socratiques du management et du développement personnel procèdent par assimilation identitaire : identité du sujet à « lui-même », identité du soi et du monde et au final « culture d’entreprise » où le sujet s’identifie à son organisation (voir MASLOW A. : « Vers une psychologie de l’Être. », 1968, p. 169, 251-252). Ce processus est profondément hétéronome, il renforce le système d’aliénation et de domination ; il fabrique un type d’individu caractérisé par « la personnalité autoritaire ». La psychologisation et la régression subjectiviste signent l’absorption du sujet par l’objet, l’autoréification. Cette dynamique ensembliste-identitaire procède par assimilation et absorption des individus dans un vaste mouvement d’ensemble, un mouvement identitaire — les « créatifs culturels » actuellement, après « les enfants du Verseau ». Ce « constructionnisme social » est doublé d’un historicisme, c’est-à-dire d’un évolutionnisme prédictif présentant les « créatifs culturels » comme un produit logique et déterminé de l’ « évolution historique » qui nous mène vers l’ « Ere du Verseau ». En bref, l’utopie politique des « créatifs culturels » pourrait apparaître comme une ontologie politique qui résulte d’un esprit de système, d’un systémisme. Cette pensée holiste est hantée par le fantôme de la philosophie hégélienne, qui pose l’identité comme système unitaire du monde et qui fonde ainsi l’exigence de systématicité dans le système achevé de la connaissance de soi : « toute connaissance est connaissance de soi, du sujet identique à lui-même » (voir ASSOUN P-L. : « L’Ecole de Francfort », PUF, pp. 23, 27). Cette métaphysique du sujet et de la conscience, cette ontologie de la déterminité, aboutissent à la clôture cognitive et au « tautisme » : tautologie, autisme, totalitarisme (SFEZ L. : « Critique de la communication », Le Seuil, 1992, pp. 17, 99 Sq.).

[10Voir l’ouvrage publié aux éditions Yves Michel : « La société civile : le 3e pouvoir. »,
Nicanor Perlas, 2006,
Préface de Bernard Ginisty. http://www.yvesmichel.org/admin/tous-les-livres/la-societe-civile-le-3e-pouvoir. Perlas est l’un des inventeur de la notion de « développement durable » et de l’idée de gouvernance, notions auxquelles il donne un fondement spiritualiste et transcendant inspiré de la philosophie réactionnaire de R. Steiner (« tri-articulation de l’organisme social »).

[11Ce mixe de gouvernance (ou « art de la direction ») — par management directorial interposé —, d’historicisme et de prédictivisme (l’advenu prochaine de l’ « Ere du Verseau » ou encore des « créatifs culturels ») fait penser à l’analyse de Hannah Arendt à propos de la formation des mouvements totalitaires, si on resitue ses écrits dans l’actuelle dérégulation libérale qui organise une régulation sociale au moyen de la gouvernance : « L’atomisation sociale et l’individualisation extrême précédèrent les mouvements de masse qui attirèrent les gens complètement inorganisés ... . [...] Les mouvements totalitaires sont des organisations de masse d’individus atomisés et isolés. [...] Une fois au pouvoir, les leaders totalitaires n’ont qu’un souci, qui passe outre à toutes les considérations utilitaires : réaliser leurs prédictions. [...] Le langage de la scientificité prophétique répondait au besoin des masses qui, ayant perdu leur point d’attache dans le monde, étaient prêtes, dès lors, à être réintégrées au sein de forces éternelles et universellement contraignantes ... . [...] Cela procura aux masses d’individus atomisés, indéfinissables, instables et futiles, un moyen d’autodéfinition et d’identification qui restaurait en partie le respect de soi. », ARENDT Hannah : « Le système totalitaire. », Le Seuil, 2002, pp. 55, 65, 103, 105, 115. Voir : http://www.yvesmichel.org/yves-michel/etes-vous-creatif-culturel/abc-et-les-creatifs-culturels, http://www.onnouscachetout.com/themes/societe/creatifs-culturels.php : « Le mouvement féministe impose à chacun de s’interroger sur sa manière de vivre son couple, parce que « le privé est politique ». [...] ... tout est dans tout. ».

Sur cet aspect, voir MAZENQ L-M. : « Les nouveaux mouvements religieux et les nouveaux mouvements sociaux dans le procès de mondialisation. », Presse Universitaires du Septentrion, Thèses à la carte, 2002.

[12Voir BOURDIEU Pierre : « L’ontologie politique de Martin Heidegger », Paris : Les Editions de Minuit, 1988 (téléchargement gratuit sur http://www.persee.fr/showPage.do ?urn=arss_0335-5322_1975_num_1_5_2485)

[13BOURDIEU Pierre : « La distinction », Op. Cit., pp. 422 à 431. Voir extraits de ces pages note 8, Supra.

[14BOURDIEU Pierre, Op. Cit., p. 431.

[15« ... l’exténuation des valeurs libérales accouche de leur négation active : le passage de l’Etat libéral à l’Etat autoritaire total s’effectue dans le cadre du même système social (le libéralisme). [...] ... une abstractisation de la notion libérale traditionnelle d’intériorité au sein de laquelle la réduction de la raison à l’exercice privé de la conscience ainsi que la définition négative de la liberté vont engendrer une vision universaliste assujettissant les individus par l’hypostase du tout ... [...] ... en faisant de l’ascétisme, de l’abnégation, de l’obéissance et du don de soi les impératifs catégoriques de l’éthique héroïco-populaire. [...] La célébration mythique de la nature est un élément décisif de la transcroissance dans un régime diurne des valeurs portées par le versant nocturne du libéralisme en cela que l’existence de « lois naturelles » a toujours été un postulat de la théorie économique libérale ... . [...] ... l’ordre totalitaire n’est rien d’autre que le système précédent (le libéralisme) qui a perdu ses freins. », TACUSSEL Patrick : « Mythocritique du totalitarisme contemporain. », 1988, pp. 99 à 103.

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Le 24 mars 2008 à 10:48, par mazenc

    Salut,
    en fait, j’ai pas eu le temps de faire ces deux ajouts avant la publication. Alors je les postes ici :

    1) Dans le prolongement de la note 5 — où paraît un extrait de B. Quasnik qui dirige l’enquête européenne sur les créatifs culturels — j’ajoute un autre extrait de la même Quasnik ainsi que mon commentaire préalable sur cet extrait : "Quasnik franchit le pas de la gouvernance d’entreprise à la gouvernance politique et au management des âmes, véritable dictature éthico-cognitive par développement personnel interposé. Extrait de son texte utopique de promotion de la gouvernance managériale, intitulé « Vers la société rêvée. Un projet de recherche/action pour soigner notre société et notre économie malades. » : « Pour trouver son équilibre et entretenir sa santé et sa vitalité, la société moderne doit trouver les moyens de faciliter la tâche des entrepreneurs civiques et d’installer une gouvernance participative qui soit plus thérapeutique que technocratique ou partisane. Une gouvernance qui, notamment, soit capable de détecter précocement les processus destructeurs du bonheur des gens et leur fasse la chasse. Nos observations peuvent aider à préciser les contours et le contenu de telles actions. », http://pagesperso-orange.fr/coevolution/Soir%E9e_Soci%E9t%E9_R%EAv%E9e_190106.pdf"

    2) J’aurais volontier fait une note supplémentaire, juste avant la note 8 de mon texte, pour montrer l’élitisme du New Age ("éducateurs du peuple") avec un extrait du gratuit New Age Biocontact qui suit mon commentaire : " Le New Age politique, caractérisé par son élitisme stupide et sa pensée identitaire, n’a d’autre praxis que le coaching politique et le management social, avec toute l’hétéronomie qui en résulte : « Quand les gens prennent conscience et font les premiers pas d’une mise en pratique, il est utile de les guider pour éviter les déconvenues et le renoncement. [...] Enfin, ils (les créatifs culturels n.d.a) sont dans le peloton de tête des innovations sociales ... . [...] En matière d’éducation et d’hygiène de vie, ils sont également typés ... . », « Les créatifs culyurels : un changement de paradigme », extrait d’une conférence de Yves Michel, Biocontact N° 177, février 2008, pp. 12 à 16.) "

Publiez !

Comment publier sur Rebellyon.info?

Rebellyon.info n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail contact [at] rebellyon.info