Dans le cadre du café libertaire [1] les militants lyonnais de la CGA vous invitent à une projection du film
Ressources Humaines (Laurent CANTET, 1999, 100’)
Vendredi 28 Mars à 20h30
A la Plume Noire [2]
Entrée à Prix Libre
Produit par ARTE et initialement diffusé sur cette chaîne dans le cadre d’une série de cinq films carrément intitulée « Au travail ! », Ressources humaines est un film-événement. L’unanimité de la critique et du public semble d’ailleurs devoir se faire, une fois n’est pas coutume, autour de cette fiction sobre et rigoureuse qui se situe aux antipodes des fadaises psycho-sociologiques de la télévision et du cinéma français actuel.
Laurent Cantet a construit sa fiction comme une véritable épure de la réalité du travail et des conflits dans l’entreprise et la famille. Cette histoire met en effet crûment à jour la trame la plus intime du « monde du travail » - ce monde dont les traits essentiels (cadence répétitive et absence de tout dialogue égalitaire) marquent profondément l’ensemble de l’existence ouvrière, y compris la vie familiale, ce monde aussi que de (supposées) bonnes âmes entendent « aménager » à l’heure de sa fin annoncée.
Mettre ainsi à nu l’entrelacement du social et du privé exige bien entendu de rejeter la représentation traditionnelle, largement mythique, de la « Classe ouvrière » au cinéma. Ressources humaines ne nous raconte donc pas une histoire d’Amour et de Révolution, de vertus privées et de vices publics. Non, c’est beaucoup plus simple et plus radical. Il ne s’agit dans ce film que de retours le retour au pays du jeune Franck, stagiaire DRH dans l’usine où son père est OS affecté à l’emboutissage à la presse, son retour aussi face aux non-dits familiaux, bref, son retour au réel dans toute sa complexité. Laurent Cantet situe ainsi le personnage de Franck au carrefour impossible entre la logique du patronat - celle qui promeut l’innovation, l’adaptation au marché et la flexibilité - et la logique des ouvriers - qui tente, quant à elle, d’aménager l’inhumain, de préserver les acquis et de tenir bon malgré tout. La première logique exige des changements en vue de l’avenir, la seconde réclame, par crainte du pire, la répétition du présent. Il s’ensuit que deux temporalités vont s’opposer violemment en Franck, DRH et fils d’ouvrier.
Ce cadre étant posé avec une grande assurance dans les premières scènes, la puissance du film provient de l’irruption d’un troisième temps, le passé, qui surgit brutalement sous la forme des comptes que Franck, acculé à l’impasse dans son combat à l’usine contre les licenciements, demande... à son père. C’est dire que la clef de l’avenir du travail est dans
l’héritage d’une certaine fierté ouvrière, celle qu’ici le père ne sait, justement, ni incarner ni transmettre, puisqu’au contraire ses silences et son immobilisme têtu ne disent que sa haine farouche envers la grève et envers sa propre classe. Tout ceci est magnifiquement condensé, sans un mot de trop et sans populisme, dans la scène où sa mère rétorque àFranck, qui vient de divulguer aux ouvriers le plan secret de licenciement, « Qu’est-ce que tu as fait à ton père ? ».
Finalement, Laurent Cantet nous montre très concrètement que non seulement l’entreprise (puisque, décidément, on ne dit plus guère l’usine) a un « patron » (ce qui est beaucoup plus charnellement compréhensible que PDG ou Directeur), mais surtout qu’elle est un patron (au sens du modèle le long duquel, en couture, on découpe un tissu) pour l’existence tout entière, et que la famille est elle aussi taillée sur ce patron-là, ce qui pourrait bien être la vraie « aliénation ».
Quelle ressource reste-t-il alors pour l’affirmation de l’humain ? Une seule peut-être : déchirer ce patron, par une sorte de révolte symbolique dont Laurent Cantet donne à penser qu’elle seule peut encore faire exemple, et affronter en toute lucidité la question qui clôt le film : « Et toi, où est ta place ? »
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