La nature du G8
Le G8 n’est ni une institution internationale, ni une organisation multilatérale : il n’a ni personnalité juridique, ni règlement intérieur arrêté, ni aucune structure administrative, pas même un secrétariat permanent, et ce bien qu’il fonctionne de manière continue. Ses décisions ne s’imposent donc pas aux États, et s’apparentent davantage à des impulsions d’ordre général. Il s’agit d’un groupe informel, formé des sept plus grandes puissances industrielles de la planète auxquelles s’ajoute, depuis 1997, la Russie.
L’initiative du premier G8 - il s’agissait alors du G6 - remonte à 1975, et à l’invitation du président français Valéry Giscard d’Estaing. L’ambition affichée du G6, puis du G7 - avec l’arrivée du Canada l’année suivante - était, à l’origine, de régler, sur le modèle de la diplomatie du « concert européen » du XIXe siècle reposant sur la concertation pacifiée entre grandes puissances, les principaux déséquilibres de la planète : la récession des années 1970 déclenchée par les deux chocs pétroliers, et la nouvelle donne engendrée par la fin du système de Bretton Woods et la mise en place d’un système des changes flottants.
L’organisation actuelle a conservé cette vocation essentiellement économique, ses objectifs principaux consistant essentiellement à l’élaboration d’un modèle de croissance assurant la demande et l’investissement intérieurs tout en préservant la stabilité des prix, le renforcement de l’architecture financière internationale et sa stabilité, la coopération dans la surveillance du marché des changes, et à « encourager » les pays en développement à adopter leurs recommandations économiques et financières.
En plus des sommets, les ministres des pays membres du G8 se rencontrent régulièrement. Par exemple, les ministres des Finances des pays membres du G8 et les gouverneurs de leur Banque Centrale se réunissent deux fois par an en marge des réunions de printemps et d’automne du FMI et de la Banque mondiale ; leurs ministres des Affaires étrangères se rencontrent depuis 1984 en marge de la session d’automne de l’Assemblée générale des Nations unies, et les ministres de l’Economie du G7 plus quelques autres élus (dont les représentants de groupes de pression) se retrouvent lors de « mini » ministérielles au sein de l’OMC.
Le G8 donne prise à deux types de critiques.
Une critique structurelle
L’existence même du G8 n’est pas légitime. Pour bien percevoir la nécessité d’une telle radicalité, il faut d’abord démêler cet apparent paradoxe : pourquoi se mobiliser avec tant de zèle contre le G8, puisqu’il ne dispose d’aucun pouvoir de coercition ? Ou mieux : pourquoi même organiser un G8, si l’on s’empresse immédiatement de rappeler que son pouvoir décisionnel est formellement inexistant ?
Tout d’abord, une non-existence juridique n’est pas du tout synonyme de non-existence politique. Le discours du G8 n’a aucune valeur contraignante, puisqu’il est essentiellement constitué de déclarations et de communiqués. Mais il a une double portée, à la fois référentielle et performative. Référentielle, en ce qu’il tend à produire un discours dominant qui se présentera, de fait, comme une vérité sur le monde, vérité servie par les canaux légitimes de la communication – télévision, journaux, mais aussi rapports officiels, etc.
Performative, en ce qu’il fait advenir la réalité qu’il énonce. Le G8 ne doit pas être pensé pour lui-même, mais bien en relation avec les principales institutions internationales. Il est le lieu privilégié de construction du consensus portant sur le régime économique global. En dépit de ce qu’affirme le site officiel, le G8 n’est pas qu’un « club de discussion et de concertation parmi beaucoup d’autres », pour la simple mais bonne raison que ses membres disposent respectivement de plus de 40% et de plus de 50% des droits de vote au sein de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International, dont les rôles respectifs recoupent largement les thématiques abordées dans le cadre du G8.
En outre, en raison d’un accord informel en vigueur depuis la création des institutions de Bretton Woods à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les Américains choisissent le président de la Banque Mondiale, alors que les Européens désignent celui du Fond Monétaire International. De même, la direction du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) revient traditionnellement aux Etats-Unis. Selon Devesh Kapur, qui a co-écrit l’une des principales études officielle de l’histoire de la Banque Mondiale : « Comme dans tous les clubs, les règles des institutions multilatérales reflètent les préférences de leurs fondateurs. »
On sait, au demeurant, que si le G8 hérisse volontiers des murs de 2,50 mètres de haut autour du lieu où il se joue, il est bien moins réfractaire au dialogue informel avec des organisations telles que le Club de Londres, la Commission Trilatérale, le Groupe de Bilderberg, le Council on Foreign Relations, le TransAtlantic Business Dialogue, le Club de Rome ou encore le Forum économique mondial. Ce qui conduit aussi Noam Chomsky à parler, dans le domaine strictement économique, d’un « Sénat virtuel » pour désigner les grands investisseurs financiers tels que les fonds de pension qui sont en mesure, depuis la libéralisation des flux de capitaux consécutive à l’abandon du système de Bretton Woods, de sanctionner ou de récompenser des politiques sociales et économiques au moyen de simples transferts de fonds.
La philosophie du G8 exclut a priori l’éventualité d’un élargissement substantiel. Elle reprend en effet un certain nombre de présupposés issus des cercles libéraux américains, au rang desquels figurent : la coopération vue comme tributaire d’intérêts partagés ; la coopération vue comme dépendant du nombre de participants, dans un sens inversement proportionnel ; la multiplication du nombre de participants comme source d’accroîssement des coûts de transaction, de réduction de la pertinence de l’information et de sa lisibilité ; etc. On ambitionne ainsi de résoudre les problèmes du Sud, mais sans le Sud.
L’ONU se caractérise indiscutablement par un déficit démocratique, de transparence et d’efficacité, mais elle dispose d’une légitimité qui fait structurellement défaut au G8, par exemple au travers de son Assemblée Générale et du principe du « un pays une voix » qui la régit. Le G8 ne rend de compte à personne. Le G8 est un club de puissants excluant les moins puissants, mais aussi ses propres électeurs, puisque ses décisions s’élaborent sans que les citoyens des pays concernés ne disposent d’un quelconque droit de regard sur la façon dont agissent leurs représentants. Jamais Nicolas Sarkozy n’a évoqué, au cours de sa campagne, les exigences qu’il porterait à Rostock.
Une critique conjoncturelle
Au-delà de sa nature éminemment contestable, le G8 s’est fait, à l’instar des institutions internationales, le porte-voix du tournant monétariste opéré à l’aube de la décennie 1980’. On retrouve derière la plupart des déclarations les présupposés qui ont accouché du dit « consensus de Washington », c’est-à-dire, en substance, la foi dans les mécanismes de marché. Cette année, on estime par exemple que les déséquilibres planétaires touveront une solution dans la poursuite de l’ouverture du commerce mondial, les perspectives écologiques seront éclaircies sur la base des vertus du marché...
Ceci n’empêche cependant pas les pieuses déclarations. En 1970, les pays riches s’engageaient à porter le montant de leur Aide Publique au Développement (ADP) à 0,7% de leur Revenu National Brut (RNB). En 2005, elle représentait en moyenne 0,3%, alors qu’elle équivalait en 1960 à 0,5% de leur RNB. En 2006, et pour la première fois depuis dix ans, l’APD a baissé en valeur nette.
Et pourtant, chaque année, on nous ressert le même discours larmoyant sur la nécessité d’aider le continent africain, de réduire drastiquement le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, de pourvoir aux nécessités éducatives et sanitaires, on fixe même des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), sans se donner jamais les moyens de s’en rapprocher substantiellement.
De la même façon, la solution délibérative que se targue de porter le G8 entend remédier aux tensions militaires qui structurent et crispent le monde. Pourtant, en 2000, les pays du G7 – c’est-à-dire sans compter la Russie – représentaient 12% de la population, 45% de la production, et 60% des dépenses militaires mondiales.
Sourires d’apparats, sourires d’appareils
Derrière les sourires de circonstances, les chaudes poignées de main et les grandes envolées pétries d’humanisme, le G8 se présente comme un ovni institutionnel, non transparent, non démocratique, élitiste, de droite, et consumé par un mode de gestion libéral de la mondialisation qui constitue un approffondissement historique de la logique capitaliste. Il n’est évidemment jamais véritablement question de l’annulation de la dette du Tiers-Monde, encore moins des conséquences réelles, à court comme à long terme, de notre mode d’existence fondé sur le principe de survie augmentée, et de tous ses corollaires en matière d’exploitation humaine et de dégradation environnementale. Mais, et c’est encore plus préoccupant, on n’ose même pas envisager les mesures élémentaires de salubrité publique, telles que la suppression des paradis fiscaux, judiciaires et bancaires, ou l’instauration de taxes globales de type Tobin ou Spahn. De tout cela, on ne parle pas. Et de la sorte, on est bien sûr que jamais ne sera remis en cause, du moins de façon frontale, la hiérarchie des nations. Alors pourquoi perdre le sourire ?
Le G8 n’est pas légitime, détruisons le G8.
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