Seulement, l’AKP n’avait pas prévu le potentiel que portait en lui ce petit mouvement de contestation sociale. Notamment en envoyant la police dégager les contestataires – pacifiques et écologistes (qui en étaient encore à dormir dans des tentes sous les arbres) afin de pouvoir lancer les premières opérations de travaux publics. On le sait, les pratiques policières en Turquie sont violentes, mais le fait qu’elle s’en prenne aux protecteurs du Gezi park avec autant de violence semble avoir été la goutte de trop. Dimanche dernier encore, Erdogan, premier ministre islamo-conservateur de l’AKP, continuait de nier en bloc la contestation sociale et maintenait le projet d’aménagement urbain à Gezi park. Fort des 58% qui l’on à nouveau porté au pouvoir en 2011, il déclarait : « S’il s’agit d’organiser des rassemblements, si c’est un mouvement social, alors, quand ils rassemblent 20 personnes, j’en rassemblerai 200 000. Là où ils réunissent 100 000 personnes, je mobiliserai un million de membres de mon parti. ».
Très vite un mouvement de soutien et de contestation se met en place et s’intensifie rapidement via les réseaux sociaux. Les revendications du mouvement commence a évoluer, on dénonce désormais les pratiques policières violentes, et surtout les pratiques autoritaires d’Erdogan et de l’AKP : exploitation sociale, pauvreté d’une large partie de la population, absence de liberté d’expression, répression contre les minorités ethniques et religieuses, islamisation de la société. De ce fait la mobilisation s’intensifie d’heure en heure, rejoint par des dizaines de milliers de personnes se reconnaissant dans les mots d’ordre : « Occupy Gezi ! Occupy Taskim ! Erdogan degage ! ».
Évidemment, on peut pointer le silence total des médias nationaux, alors que toutes les chaînes du monde en font leur actualité minute par minute, fantasmant sur un éventuel « printemps turcs » dans la continuité des « printemps arabes ».
En Turquie, les programmes télé continuent de tourner normalement, sans montrer signe de dysfonctionnement, tentant toujours de minimiser les événements, preuve du contrôle total de l’AKP sur les médias. Logiquement, internet devient le seul relais d’information et d’échanges, domaine dans lequel les Anonymous viennent apporter leur soutient.
Loin de diviser la population, ce qu’il se passe aujourd’hui à Taksim développe une vraie solidarité. Le mouvement de Taksim ne s’inscrit pas dans les schémas politiques traditionnels car il rassemble des courants très différents ; activistes d’extrême-gauche , écologistes, syndicalistes, communauté LGBT, minorités ethniques, militants associatifs, supporters du club de football de Beşiktaş et habitants des différents quartiers d’Istanbul.
Cependant, la construction du mouvement n’est pas simple à analyser. Si les mots d’ordre de la contestation rassemblent tous les opposants à l’AKP, sont également présents les organisations nationalistes se définissant comme laïques et républicaines, tel les ataturkiste du CHP (2d parti en Turquie) ou comme les Loups Gris et le MHP (parti fasciste). Massivement présents dans les rues et ayant une visibilité de plus en plus forte (drapeaux et portraits d’Atatürk), il semblerait que la situation impose, de fait, une sorte « d’unité nationale » due à une incapacité générale à projeter l’avenir du mouvement.
Du coup, les retours qui arrivent d’Istanbul témoignent de situations étranges, où, sur les mêmes places se retrouvent révolutionnaires, libertaires, républicains, nationalistes, kurdes, arméniens... Fait inimaginable il y’a encore quelques semaines. Cependant la place de plus en plus importante occupée par les nationalistes et la vacance du pouvoir laissent craindre une résolution politique brutale (l’histoire de la Turquie connaît de nombreux coups d’État).
Bilan de la répression
Après plus de 4 jours de révolte à Istanbul : plus de 1700 arrestations dans le pays où la mobilisation a largement dépassé la ville d’Istanbul et s’est propagée à Ankara, Izmir, Antalya, Eskişehir, Gaziantep, Bursa et même Konya (pourtant connu pour être un lieu fort de l’AKP). Déjà trois morts et plus de 1000 blessés. La majeure partie des arrêté.e.s ont été libéré.e.s, même s’il semble régner actuellement un flou général. Au total, plus de 235 manifestations ont été recensées dans 67 villes différentes du pays depuis mardi dernier. Les méthodes utilisées par la police sont extrêmement violentes et largement dénoncées. De nombreux blessés ont été rapatriés dans les mosquées avoisinantes et dans des lieux protégés (car les hôpitaux sont sous encore sous surveillance policière). Dans le cadre « de la gestion démocratique des foules », la police du régime a déployé sur le pays une répression politique violente, n’hésitant pas à utiliser les milices de l’AKP comme auxiliaires de police.
La colère, pourquoi ?
La politique que mène Erdogan provoque depuis plusieurs mois un très fort mécontentement avec des réformes très contestés ces derniers mois : réformes s’attaquant aux Universités, à l’avortement, au droit à la consommation d’alcool, remplacement des fonctionnaires par des membres de l’AKP. Au pouvoir depuis 2002 , le gouvernement islamo-conservateur n’a, par ailleurs, pas hésité à mener une politique ouvertement néolibérale sur le plan économique. Au delà du problème du Parc Gezi, c’est donc une accumulation de colères contre les privations des libertés de presses, d’expression, syndicales et politiques, sexuelles et des droits de minorités ethniques et religieuses qui a fait éclater la révolte. Rajoutons là-dessus, la répression massive des minorités dans le pays, les milliers de prisonniers politique, le projet d’interdiction de consommation d’alcool et la montée en puissance des lois religieuses dans un pays attaché à la république laïque d’Atatürk (responsable des massacres kurdes, alévis et arméniens).
Erdogan, très soucieux de conserver sa place dans les 20 plus grandes puissances économiques mondiales, ne lésine par sur les moyens afin de transformer sa ville en grande métropole moderne. Il y a quelques jours, il a d’ailleurs lancé le projet de construction d’un troisième point au nord du Bosphore (qui portera le nom de Sultan Selim Yavuz, le massacreur des alévis), mais aussi de nouvelles voies de transport et d’une mosquée place Taksim. Concernant les plans de réhabilitation urbaine à Istanbul, il faut savoir que depuis des années d’importants mouvements de quartier, de population, associative et civile se mobilisent contre ces opérations de réaménagement qui ont très vite soutenu les manifestants du Gezi Park.
Lundi matin, rien ne s’arrête encore. Si la police et l’armée se retirent doucement, des roulements semblent se mettre en place parmi les contestataires pour ne rien lâcher. Dans la nuit de dimanche, les bureaux de l’AKP ont été incendiés à Istanbul et Izmir. Actuellement, il semble régner une atmosphère festive et comme « suspendu »… Ou est l’armée ? Où est la police ? Quand vont-ils revenir ? Rendez-vous est donné mercredi 5 juin par le DISK (confédération des syndicats révolutionnaire), soutenue par au moins 5 autres syndicats, pour une importante manifestation de contestation et le lancement de LA grève générale.
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