Une bande est assise sur les marches, près de la mairie, comme tant d’autres.
Quand vient le bouffon bien connu pour sa drague lourde, son sourire forcé
et d’autres faits plus graves. On le connait tous et toutes.
Il s’apprête à prendre des photos de cette "magnifique journée", et de nous au passage. Beaucoup de gens prennent des photos, mais du paysage ambiant : lui, décide de faire ’du portrait’ sans demander notre avis : sans demander le consentement, de se branler sur nos gueules. Après plusieurs remarques puis leurs réponses classiques ("je fais ce que je veux, c’est mon appareil", "je
suis du quartier"), l’appareil vole. Puis le mec poussé, avec un ordre
clair : "tu bouges sale macho. On veut pas de toi ici." C’’est ça être du quartier, ta réputation te suit. Surtout quand elle craint.
Faut le pousser plusieurs fois, il envoie une baffe. Voilà que ça commence, la "baston" durera de longues minutes : parce que bien protégé par des citoyens généreux galopant à son secours sur leurs tennis, et par
ce que dégagé à maintes reprise, il revient de nouveau.
En premier lieu, se sont ses "amis" qui le défendent : les mecs disaient
« ho, mais arrêtez les filles », et les filles « mais, c’est injuste !vous
êtes à deux contre lui ! » et « non, mais ça va pas d’être si violente ? »
Vlà les arguments.
On précise de nouveau qu’on le veut hors de notre champs de vision. C’est tout. Rien d’autre. C’est pas compliqué à comprendre. Il fait semblant de rien entendre.
On se cale, on fume une clope. Comme on fera à chaque fois qu’on pensera
le problème résolu. Parce que ne plus le voir nous suffit. On ne va pas non plus lui courir après.
Ses amis ayant disparus, il se met plus loin, sur la place, et nous prend de nouveau en photos, un sourire en coin. Là où le "public", n’ayant pas suivi le "spectacle", prendra son partie plus facilement quand il se prendra des coups. Pas grave, on
traverse en zone inconnue, et une droite dans sa gueule quand même.
Séparés, le message retenti de nouveau, bien fort cette fois :
"tenez le, la prochaine fois qu’il revient (la cinquième ?!), on le défonce
sans pitié". Il n’a pas fallu attendre 2mn. Défoncé.
Et merde, y en a marre de répéter. Il veut nous tester, c’est lui qui sera examiné.
Oui, mais voilà : tous les ’gaillards’ de la guinguette, jusqu’ici assis
sur les marches, descendent- non pas pour le prendre à part et l’emmener
plus loin (c’est efficace... mais ca nous donnerait raison), mais pour créer une barrière
infranchissable entre nous, ou nous agrippant. Ca nous aurait arrangé que des gens s’en mêlent, qu’ils lui disent d’arrêter ses conneries. Mais voilà, c’est à nous d’arrêter. Évidement, c’est nous les fautives, puisque nous réagissons –
leurs visages de juges sont tournés de notre côté, jouant les matons :
_"Vous cherchez la merde"
_"Maintenant ca suffit"
_"Pourquoi vous tapez, il faut parler !"
_"Mais, on est là pour passer une bonne journée, vous gâchez tout !"
_"On est en démocratie, c’est chez lui ici, il peut aller où il veut !"
_De nouveau assises, les spectateurs scandent : « apprenez à profiter du
soleil ! »
_Une fille se démarque pendant un silence : « toi, ton énergie
négative gâche la journée »... Décidément. Nous sommes cernées. Il n’y a
plus que la fierté qui nous protège.
Il a fallu que des camarades ’du quartier’ arrivent, pour qu’il dégage – et
que les gentils citoyens ferment enfin leurs gueules ! Parce que les camardes sont arrivés nombreux et se sont posés tranquillement près de nous. Parce qu’ils montraient qu’ils étaient solidaires. Parce qu’ils ont confirmé que c’est un relou. Parce qu’un pelo est allé, seul, convaincre le mec de se casser. Efficace, sans remous, solidaire ... et pas contre nous !
Faut-il parler... au lieu de taper ?
_Où étaient tous ces gaillards pour lui parler, pour nous aider à lui parler ?
_Où étaient ils pour désamorcer le conflit ? Pour l’emmener loin ?
Non, ça serait prendre partie.
Ils préfèrent rester neutres... Mais leur neutralité nous est nocive.
La situation se retourne contre nous.
Tout médiateur est contre nous.
Désolées – désolées d’avoir réagi au lieu de fermer nos gueules.
Désolées d’imaginer un 1er Mai de luttes, de solidarité.
Désolées d’avoir gâché la merveilleuse journée illuminée de ces rigolos venus
goûter à l’exotisme d’une journée rouge et noire. Le rouge et noir est offensif ; c’est une journée de luttes, en mémoire des gens qui se sont battus. Ce n’est pas parce qu’on fait bronzette qu’on ne doit pas être réactives ! Le bonheur du soleil ne nous fait pas oublier les souffrances ; les miettes ne nous ont jamais satisfaites.
Situation dangereuse- la violence de la pacification
Sans médiateurs, le conflit serait réglé en 2mn. Coup de tête balayette,
et basta (c’est pas très grave, on pourrait faire pire).
Avec médiateurs qui nous demandent pas notre avis, le conflit dure, la pression monte. De nouvelles
personnes se greffent au conflit et l’alimentent. Ces pseudo médiateurs
deviennent nos ennemis aussi : il faut se battre contre tout ce
monde... c’est dépitant.
Si être violente c’est régler le conflit directement, sans mari ni garde
du corps- on est violentes. Pas plus violentes que ce bouffon. Juste assez pour lui tenir tête. Pour une fois.
Ce connard est souriant – et ’peace’ : on est pas sensées l’attaquer.
Son faux sourire nous dépossède de toute réponse charnelle, directe, instinctive.
C’est un peu comme "Puisque l’amour, c’est bon, pourquoi refuser de coucher" ? Une belle excuse pour te culpabiliser de gueuler- l’agression peut aussi passer par la manipulation. Vas-y qu’il te retourne la tête. Faut être à la hauteur de son ’verbe’ pour répondre. Faut dire, que pour parler, il est fort.
Ce sont les personnes pacifiantes qui nous font violence : nous dépossèdent
de notre défense, puisque parlent à notre place, et sont très nombreux, ce qui renforce les rang de
l’autre bouffon. Des citoyens indifférents c’est même mieux : au moins ils ne traînent pas dans nos basket, et nous permettent de régler l’affaire rapidement.
Alors... on fait quoi ?
Un conseil pour les cœurs sensibles qui voient un conflit où des meufs
attaquent :
Amenez le bouffon loin après avoir demandé de quoi il s’agit.
Ne vous mêlez pas de l’embrouille jusqu’à ce qu’elles aient besoin d’aide.
N’intervenez pas à 10 personnes.
Le soutien est important. Les mécanismes de groupes sont durs à gérer. Ca bouge dans tous les sens, ca crie, ca attaque... Il ne faut pas "intervenir", mais s’allier. Avec différentes stratégies, certes, mais le but reste le même (à définir ensemble, il doit être clair). La "médiation" est efficace seulement en accord avec les personnes à soutenir. Sinon, la pacification joue contre nous.
Quand on décide de prendre les devants sur une situation, une image nous est renvoyée : celle de notre genre. Encore celle-là. On est des "filles". Tellement banal, qu’on arrête d’y penser, qu’on se dit qu’il y a autre chose. Mais non, c’est aussi simple que ça. Nous sommes les "hystériques", puisque hors-norme. Puisque nous n’incarnons pas ce qu’on attend de nous. Une fille rebelle n’est pas une fille, c’est une folle. C’est vrai, nous ne sommes pas des filles... nous sommes des rebelles. Tout court. Nous sommes filles qu’à travers vos yeux, par vécu social.
Comme toute personne qui sort du rang, comme tout résistant qui assume sa rage, nous sommes marginalisées : casseurs, parasites, marché-noir... l’autonomie de nos désirs et de nos besoins. "Mais non, ne cassez rien, ça pourrait tellement bien se passer sans vous". "Bien se passer ?" Bien, c’est à dire qu’il ne se passe rien. Ceux ou celles qui gueulent sont encore ceux contre lesquels on tape. Elles sont décrétées coupables avant même de pouvoir répondre à leur accusation. Parce qu’elles résistent, que leur réponse est négative, et pas un ’oui’ docile. Dans ce cas, c’est donner raison aux keufs de casser du manifestant. Oui, parce qu’il fout la merde. Alors que tout pourrait si bien se passer sans eux...
Pacification... le calme plat, surtout ne rien changer, ne pas surprendre : appliquer une réponse prévisible, c’est plus rassurant.
Parce qu’elles ne savent pas "parler", "écrire", expliquer leur actes. N’empêchent qu’elles agissent. Elles. Au verbe faux, à la manipulation du langage on répond par nos corps. On vous l’expliquera pas deux fois.
Quand la parole est utilisée contre nous, vide de sens ; quand les mots sont placés, alignés, rabâchés, par peur du silence- on déserte le dialogue. La langue des signes devient alors limpide. Ne fais pas semblant de ne pas comprendre ma grimace de rage, et garde ton sourire insolent. Le tien est omniprésent, oppressant. Le mien est dédié, est choisi, sincère- ce n’est pas parce que je ne te souris pas à toi que je ne souris pas à d’autres. Je souriais avant que tu arrives.
C’est peut-être un repas de quartier, mais c’est avant tout le 1er Mai !
On profite mieux du soleil sans l’ombre d’un macho
Révolte ! Résistance !
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