17 février 1600, Giordano Bruno brûlé vif par l’Église - La liberté d’esprit face à la pensée unique

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Il n’est jamais inutile de faire resurgir un morceau de l’Histoire occultée ; peut être un repère pour les nouvelles générations. Giordano Bruno est né à Nola, près de Naples, en 1548. Moine dominicain à 18 ans, il doit quitter son ordre en 1575 car suspect d’hérésie.

Bruno préfère la liberté de penser

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Il fuit d’abord à Rome, à Venise, puis à Chambéry puis enfin à Genève. Dans cette ville, il entre en conflit avec les autorités protestantes et doit fuir en France, d’abord à Toulouse puis à Paris. Il y publie ses premières oeuvres (De umbris idearum, Cantus circaeus, Sigillus sigillorum, Il Candelaio). Il quitte ensuite la France pour l’Angleterre où il fait éditer ses « Dialogues italiens » (La cena de le ceneri ; De la causa, principio e uno ; De l’infinito, Universo e Mondi ; Spaccio de la bestia trionfante ; Cabala del cavallo pegaseo con l’aggiunta dell’Asino Cillenio ; De gl’Heroici furori).

De retour à Paris, il doit de nouveau fuir l’hostilité des milieux des disciples d’Aristote. Il se rend alors successivement à Wittenberg, Prague, Helmstaedt et Francfort où il publie ses « Poèmes latins » (De minimo, De monade, De immenso et innumerabiblibus, ainsi que le De imaginum compositione). Après un séjour à Zurich, il rentre à Venise à l’invitation du patricien Giovanni Mocenigo qui désire apprendre les secrets de l’art de la mémoire. Là, il est dénoncé à « l’inquisition » vénitienne par ce même patricien, qui le loge.

Inventeur et philosophe maudit

Si l’on se souvient de lui comme d’un disciple de Copernic et inspirateur de Spinoza, en parfait esprit de la renaissance, il a touché à tout : philosophe, auteur de pièces de théâtre, mathématicien... mais surtout esprit libre et curieux, questionneur de dogmes, penseur indépendant n’ayant pas peur des chemins de traverse, débatteur acharné.

Inventeur de la mnémotechnique, il était capable de réciter des centaines de poèmes. Il a aussi formulé, dix neuf ans avant Galilée, le principe d’inertie, plus grande découverte de son époque. Si l’héliocentrisme a bouleversé les esprits, il n’a guère eu d’applications pratiques, tandis que le principe d’inertie, moins spectaculaire, ouvrait la porte à toute la science moderne. La raison pour la quelle on l’attribue à Galilée, c’est que ce dernier l’appuya sur des considérations expérimentales. L’ironie, c’est que les expériences de Galilée, on le sait aujourd’hui, étaient « bidon », car leur précision excédait largement les possibilités des instruments dont il disposait.

Mais Bruno fut avant tout un philosophe d’une rare audace. Et ses thèses étaient considérées comme une abomination par l’église catholique : mise en doute de la transsubstantiation, description d’un univers non géocentrique et infini, liberté de l’homme face à la société, liberté de conscience de l’individu, droit de l’étudiant à étudier toute thèse, même contraire au dogme du moment... Ce fut un « philosophe maudit ». Le monde dans lequel il était né, créé par un Dieu, abritait la seule planète habitée, immobile bien au centre d’un ciel fini et étroit, simple succursale du paradis.

L’univers pour lequel il est mort, n’aurait pas été créé mais aurait existé de toute éternité, dans un espace infini, sans cesse en mouvement, peuplés d’une infinité de civilisations. En posant comme théorie les principes de la pluralité des mondes et de l’infinité de l’univers, cela le conduit à une violente critique de la société et de la conception figée et hiérarchisée du monde.

L’image de l’âne

Figure emblématique, omniprésente dans toute son oeuvre, l’âne représente tantôt la sottise ordinaire, Bruno prenant pour cible les cuistres, les faux maîtres universitaires et les ecclésiastiques, tantôt il symbolise les qualités de l’homme, simple et courageux, qui avance sur des voies difficiles. Cette image de l’âne se retrouve dans son style qui mêle sans cesse le trivial et le sublime, à l’égal de Rabelais. Pas de genre dogmatique ou déclamatoire : la vie même coule dans son expression, véritable création littéraire avec une liberté totale. Son oeuvre, longtemps occultée et méconnue, est finalement très proche des grandes interrogations modernes.

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Pourquoi ont-ils brulé Bruno ?

Pourquoi ont ils brûlé Giordano Bruno et non Galilée ? Pourquoi l’église s’est elle excusée, avec cinq siècle de retard, d’avoir intimidé Galilée mais n’a-t-elle jamais regretté d’avoir brûlé Bruno ? Derrière une analogie superficielle, leurs cas sont complètement différents. Avant tout, Galilée, comme Copernic sont des savants, on dirait aujourd’hui des scientifiques. Ils ne se préoccupent pas de religion et si leurs découvertes peuvent contredire les convictions des représentants de l’église, ça n’est pas à dessein.

Bruno, durant son procès, prétendra être dans le même cas. Mais ce n’est qu’un adroit système de défense. Giordano Bruno n’a jamais été un homme de science. Parmi les thèses qu’on lui reproche, la réincarnation, la non-création du monde et la non virginité de Marie préoccupent certainement beaucoup plus ses accusateurs que les mouvements respectifs de la Terre et du Soleil.

C’est un prêtre défroqué, anarchiste avant l’heure, dégoutté de la religion et ennemi déclaré du christianisme, à travers lequel il perçoit hypocrisie, exploitation des masses, obscurantisme et persécution. Si ses ennemis finiront par lui donner raison, au moins sur ce dernier point, il y mettra du sien. Car, c’est la seconde différence avec Galilée et les siens. Ils sont roseaux, il est chêne. Galilée, qui s’était déjà montré plus futé pour soutenir le principe d’inertie, a bien compris que « Et pourtant, elle tourne » est une phrase qui ne se prononce qu’à voix basse.

Bruno pendant sept ans, de 1593 jusqu’à la fin que l’on sait, va jouer avec ses tortionnaires un incroyable jeu de chat et de la souris. Il se rétracte... mais pas tout à fait. Il n’a jamais voulu dire que... mais il maintient que... Il abjure tout, mais à condition que le Pape lui donne raison ! Un jour, il n’a plus pour sortir qu’à signer une déclaration dont il a négocié chaque virgule et, tout à coup, un doute lui vient sur tel point de détail. Pendant tout ce temps, il est affamé, torturé et on a l’impression que c’est lui qui mène la danse. Il use ses bourreaux, il excède « l’inquisiteur suprême », le Cardinal de Santaseverina, il tue à la tâche ses tortionnaires.

Néanmoins, tout n’est pas clair pour l’Église dans l’affaire Bruno

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Au départ, c’est un banal litige entre le philosophe et son logeur, une simple affaire de loyer impayé, en somme. Mais Mocenigo, le propriétaire, qui sait que Bruno a déjà eu affaire aux tribunaux de l’inquisition et qui semble en avoir entendu des vertes et des pas mûres sur le Pape, la Vierge et tutti quanti, dans la bouche de son locataire, plutôt que de tenter de s’arranger avec lui, ou de porter cette broutille devant la justice, le dénonce à "l’inquisition vénitienne". Le procès de Venise s’ouvre le 26 Mai 1592. Bruno, avec plus d’adresse que de sincérité, plaide la recherche purement scientifique indépendante des questions de foi. Il y ajoute le plus profond repentir, qu’il réussit à jouer sans renier un mot de ce qu’il avait dit. Et il fait un triomphe. C’est tout juste si les juges ne l’embrassent pas.

Après chaque procès, l’inquisiteur de Venise envoie à son collègue de Rome un compte rendu. Pure formalité, la justice vénitienne est indépendante. Rome est avisée, pour ainsi dire, par politesse. Le 12 Septembre, la dernière farce de Giordano Bruno prend une tournure macabre. Pour la première et seule fois dans l’Histoire, Rome remet en cause un verdict vénitien, en réclamant l’extradition de l’accusé. Pourquoi ?

Qu’est ce qui justifie un tel souci de Rome pour une affaire issue d’une querelle d’épiciers ? A l’époque Bruno n’a pas le prestige d’un Galilée, c’est l’église qui va faire sa renommée. Il est accusé d’avoir publié des livres que la censure a laissé passer et tenu en privé des propos dont il se repent bien volontiers. Il n’y a pas de quoi justifier un incident diplomatique. Pourtant, c’est bien devenu une affaire d’état. C’est le Cardinal de Santaseverina qui réclame l’extradition de l’impertinent. Et quand il est débouté, loin de faire machine arrière, Rome oppose à Venise un personnage plus haut placé. Plus haut que l’Inquisiteur Suprême ? C’est le Pape Clément VII qui réclame à présent Bruno. Et il envoie à Venise rien de moins que le nonce apostolique, Ludovico Taverna, en personne. Le 22 décembre, Taverna soutient la requête papale devant le Collège vénitien. L’extradition n’étant pas juridiquement fondée, il ment sur le passé judiciaire de Bruno. Il remporte le bras de fer et le 9 Janvier, une galère emporte Giordano Bruno vers son destin.

Du haut du bûcher

A Rome, les bizarreries continuent. Après le zèle dont il a été fait preuve pour récupérer l’ennemi public, on s’attendrait à une fin expéditive. Le bûcher dans les quinze jours, c’était dans l’ordre du temps. Et bien non. Il y aura d’abord deux ans de procès. Et puis voilà que, quand il ne manque plus que le verdict, on oublie complètement le prévenu, pendant encore trois ans. Puis on l’exhorte à abjurer. Il aura été incarcéré au total pendant huit ans dans les geôles de l’Inquisition.

Et commence cette longue comédie, où Bruno brûle les planches, dans tous les sens du terme, et dont le dernier acte est donné en public, le 16 Février de l’an de grâce 1600, par la mort de Giordano BRUNO, torturé et brûlé vif, par l’inquisition catholique, à Rome, sur le Campo dei Fiori, pour avoir refusé d’abjurer ses idées. On lui refusera l’étranglement avant le bûcher, il brûlera vivant... mais on ne l’entendra pas crier étant donné qu’on lui avait préalablement arraché sa langue blasphématoire pour l’empêcher de proférer des « paroles affreuses ».

Vous avez plus peur que moi !

La légendaire réplique de Giordano Bruno à ses juges : « Vous avez plus peur que moi ! » n’a pas été lancée du haut du bûcher mais au tribunal. Sur le bûcher, il n’a rien dit du tout, pour la bonne raison qu’on lui avait coupé la langue. Selon certaines sources on l’aurait simplement bâillonné. Quoi qu’il en soit, on était bien pressé de le réduire au silence. On justifie cela par les injures qu’il aurait lancé à ses juges. Voila qui est tout de même étrange, alors que l’église, comme plus tard les procureurs staliniens, s’efforçait toujours d’assurer son triomphe par la contrition publique des condamnés bien plus que par leur exécution. Quand on pense aux efforts déployés par l’église durant huit ans pour obtenir cette contrition de Bruno !

Aujourd’hui l’Église persiste encore à condamner Bruno

Un point de vue récent du Vatican : le 3 février 2000, le cardinal Poupard responsable au Vatican du "pontificam consilium cultura", qui réhabilita Jan Hus et Galilée) confirme que Bruno ne sera pas réhabilité : « La condamnation pour hérésie de Giordano Bruno, indépendamment du jugement qu’on veuille porter sur la peine capitale qui lui fut imposée, se présente comme pleinement motivée. »

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