À en lire le titre de la conférence, on a presque l’impression qu’il s’agit d’une farce. Que nenni, Lyon1 est fière d’accueillir Philippe Camus, fière d’organiser une conférence qui nous éclaire sur les vrais enjeux de la mondialisation [1], fière d’avoir une occasion de plus de faire comprendre à son personnel et aux étudiants que la LRU est la seule réforme possible pour la sauvegarde de l’université.
Cet « événement » libéralisateur des esprits a été organisé par la fédération de physique, en association avec l’école doctorale de Physique, certainement parce que notre cher Philippe Camus est agrégé de physique, et qu’il semble être très copain avec le directeur de la fédération, Michel Broyer :
« On était à l’école ensemble [...] ça me fait plaisir de le revoir [..] »
Philippe Camut
Dès les premières minutes, l’organisateur en chef (Broyer) ne se prive pas pour faire l’éloge de l’intervenant et énumérer toutes ses fonctions. Après 5 minutes de léchage de bottes, Philippe Camus peut enfin commencer son discours. La conférence va durer environ 1h30. Au programme, économie mondiale, 35h, investissements privés, LRU, "les US sont plus intelligent que tout le monde", etc..
Son objectif est de nous faire comprendre que la recherche, facteur clé pour la conquête de nouveaux marchés par le grand capital (Thales, Matra, etc..), doit « s’ouvrir » et « accepter » les collaborations avec le privé.
Plus que des collaborations, il s’agit surtout d’assurer les 2/3 du financement R&D par les investissements privés (comme aux US) avec les conséquences que l’on connait :
Contrôle des programmes de recherche par des entreprises qui n’ont d’autres intérêts que leurs profits.
Affaiblissement des domaines désignés non productifs, comme les sciences humaines.
Obscurantisme scientifique (par exemple les OGM).
Mais avant de nous faire l’apologie de l’organisation de la recherche universitaire américaine, il doit d’abord nous expliquer les enjeux de la mondialisation. Ou plutôt de la mondialisation des puissants, cette espèce de « jeux de domination » économique où les profits d’un pays se font sur la misère d’un autre : la colonisation prend de nouvelles formes et se légitime par la loi du marché.
La mondialisation
« La mondialisation va en s’accentuant, il faut faire avec…et on serait bête de ne pas en profiter »
« Les 35h mettent au chômage les improductifs »
« 15% des pertes d’emploi sont dû aux délocalisations, c’est très faible »
« La vraie cause des pertes d’emploi, on le sait, c’est le manque de croissance »
Ces phrases seraient-elles « sorties de leur contexte » ? Le contexte : un bourgeois dominant invité par un autre bourgeois dominant pour expliquer que les mesures sociales en générales sont des freins au développement de la société, et que la mondialisation (économique) est la seule voie possible.
En fait l’ensemble de son discours se base sur la stratégie de Lisbonne, qui est une succession de mesures définies par le conseil européen de Lisbonne le 24 mars 2000 pour programmer le « grand bond en arrière [2] » de l’Europe.
Parmi elles :
développer l’investissement dans les réseaux et la connaissance ;
augmenter la compétitivité de l’industrie et des services ;
dépenses "recherche & développement" (R&D) assurées au 2/3 par le privé ;
augmentation de la durée de la vie active (+ 5 années de travail)
Il y a comme un vent de régression sociale dans tout ça ! Pas étonnant que Philippe Camus tempête contre les « charges patronales [3] », les 35h, le nombre trop faible d’annuités, etc..
« Je sais que ce n’est pas très populaire en ce moment, mais d’une manière ou d’une autre il va falloir que l’on travaille 5 ans de plus ».
On se demande bien ce qu’il entend par « d’une manière ou d’une autre ». J’imagine que ce sont la matraque, taser, flashball et autres ustensiles démocratiques. Mais le peuple aussi à le droit de s’exprimer dans cette démocratie du gourdin : tous à vos bâtons et allons voter dans les burnes du gouvernement !
Certaines phrases, notamment celles évoquant des revendications sociales (sur les 35h et l’âge de la retraite par exemple) sont données sur le ton de la plaisanterie. Effet garanti, petits sourires dans la salle... Non content de critiquer, sans aucun argument, certains acquis sociaux, il tourne en dérision celles et ceux qui chaque jour luttent contre la gangrène libérale...
La recherche
Pour parler du financement de la R&D, il part tout d’abord du constat que la recherche va mal en France. Pour cela il s’appuie sur le fameux « classement de Shanghai » qui ne juge nullement de la qualité de la recherche, mais de la compétitivité mondiale entre les super structures universitaires. D’ailleurs il l’avoue lui-même en disant que le classement se base sur des critères favorisant les systèmes anglo-saxons, mais qu’il faut quand même en tenir compte car les autres (comprenez US, Royaumes Unis) l’utilisent.
De plus, ce critère ne concerne que les sciences comme la chimie, les mathématiques, la physique, etc.
Indirectement il écarte toutes les sciences humaines (histoire, sociologie, anthropologie, littérature, etc.) qui intéressent beaucoup moins les entreprises. Cette réduction du problème montre une fois de plus qui sont les laissés-pour-compte dans ces réformes universitaires.
Une fois le « problème » posé, sa démonstration est simple : les US sont très bien classés avec les critères de Shanghai, et plus des 2/3 des financements de la recherche sont assurés par des entreprises : donc ça marche, ils ont tout compris, et il faut faire pareil si on ne veut pas être largués.
Toute l’argumentation de Philippe Camus se retrouve dans le document « Financer la R&D ». Rien d’étonnant lorsque l’on sait qu’il a été rédigé par Jean-Paul Betbèze, directeur général du Crédit Agricole, membre du cercle des économistes, du conseil d’analyse économique, et de l’International Conférence of Commercial Bank Economist (ICCBE). Il préside également l’Union des Industries de la Communauté Européenne (UNICE, actuelle BusinessEurope) et la société d’économie politique.
Ce document fait partie des rapports rendus par le Conseil d’analyse économique dont le rôle est d’éclairer (ordonner ?) les choix du gouvernement en matière économique.
Quoi qu’il en soit, selon lui, les relations universités-entreprises marchent moins bien en France, et sont un frein au développement d’une meilleure recherche. Le souci viendrait d’une « incompréhension d’ordre culturelle » de l’entreprise par l’université. Il nous rassure tout de suite en nous clamant :
« L’entreprise ne veut pas faire que du profit, elle est prête à investir à l’université ».
Qu’elle soit prête à investir, ça on en doute pas une seule seconde, mais qu’elle ne veuille pas faire de profit sur ses investissements, il ne faut pas nous prendre pour des cons. À l’entendre, les entreprises seraient devenues altruistes !
De plus, réduire le problème à « une incompréhension » liée à la culture de l’université, c’est dire que l’université n’a aucunes raisons politiquement ou économiquement fondées, pour s’opposer aux nouvelles réformes libérales.
Il termine en se félicitant de certaines dispositions qui vont dans le « bon sens », avec notamment le développement des thèses CIFRE (financées par les entreprises), et certaines conséquences de la mise en place de la LRU :
« Avec la LRU, les chefs d’entreprises sont présents au conseil d’administration de l’université, et c’est une bonne chose »
Il aurait pu ajouter « pour les entreprises ».
Applaudissements à la fin de sa prestation : automatismes respectueux ou adhésion à l’idéologie véhiculée ?
En résumé, voilà ce dont traitait cette conférence. A mon grand regret je n’ai pas pu assisté à toute la messe. J’ai dû partir juste à la fin du speech, sans avoir pu participer à la petite séance de questions.
Lyon1 s’affiche donc de plus en plus comme un relais de l’idéologie capitaliste, et ne se gène même plus pour inviter à coup de gros chèques des personnes comme Philippe Camus (Lagardère et MATRA réunis) pour qu’ils puissent faire leur grand show libéral.
Je doute que l’université fasse la même démarche pour une conférence intitulée (par exemple) « Comment contrecarrer la Mondialisation : importance de la recherche ».
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