À Lyon 1, les marchands d’armes invités à donner des conseils pour profiter de la mondialisation

1529 visites
2 compléments

Le 25 avril dernier, Philippe Camus, cogérant du groupe Lagardère, président de MATRA aéronautique et ancien président de EADS, est venu prêcher la bonne parole libérale à l’université de Lyon 1. Récit.

À en lire le titre de la conférence, on a presque l’impression qu’il s’agit d’une farce. Que nenni, Lyon1 est fière d’accueillir Philippe Camus, fière d’organiser une conférence qui nous éclaire sur les vrais enjeux de la mondialisation [1], fière d’avoir une occasion de plus de faire comprendre à son personnel et aux étudiants que la LRU est la seule réforme possible pour la sauvegarde de l’université.

Cet « événement » libéralisateur des esprits a été organisé par la fédération de physique, en association avec l’école doctorale de Physique, certainement parce que notre cher Philippe Camus est agrégé de physique, et qu’il semble être très copain avec le directeur de la fédération, Michel Broyer :

« On était à l’école ensemble [...] ça me fait plaisir de le revoir [..] »
Philippe Camut

Dès les premières minutes, l’organisateur en chef (Broyer) ne se prive pas pour faire l’éloge de l’intervenant et énumérer toutes ses fonctions. Après 5 minutes de léchage de bottes, Philippe Camus peut enfin commencer son discours. La conférence va durer environ 1h30. Au programme, économie mondiale, 35h, investissements privés, LRU, "les US sont plus intelligent que tout le monde", etc..

Son objectif est de nous faire comprendre que la recherche, facteur clé pour la conquête de nouveaux marchés par le grand capital (Thales, Matra, etc..), doit « s’ouvrir » et « accepter » les collaborations avec le privé.
Plus que des collaborations, il s’agit surtout d’assurer les 2/3 du financement R&D par les investissements privés (comme aux US) avec les conséquences que l’on connait :
- Contrôle des programmes de recherche par des entreprises qui n’ont d’autres intérêts que leurs profits.
- Affaiblissement des domaines désignés non productifs, comme les sciences humaines.
- Obscurantisme scientifique (par exemple les OGM).

Mais avant de nous faire l’apologie de l’organisation de la recherche universitaire américaine, il doit d’abord nous expliquer les enjeux de la mondialisation. Ou plutôt de la mondialisation des puissants, cette espèce de « jeux de domination » économique où les profits d’un pays se font sur la misère d’un autre : la colonisation prend de nouvelles formes et se légitime par la loi du marché.

La mondialisation

« La mondialisation va en s’accentuant, il faut faire avec…et on serait bête de ne pas en profiter »
« Les 35h mettent au chômage les improductifs »
« 15% des pertes d’emploi sont dû aux délocalisations, c’est très faible »
« La vraie cause des pertes d’emploi, on le sait, c’est le manque de croissance »

Ces phrases seraient-elles « sorties de leur contexte » ? Le contexte : un bourgeois dominant invité par un autre bourgeois dominant pour expliquer que les mesures sociales en générales sont des freins au développement de la société, et que la mondialisation (économique) est la seule voie possible.

En fait l’ensemble de son discours se base sur la stratégie de Lisbonne, qui est une succession de mesures définies par le conseil européen de Lisbonne le 24 mars 2000 pour programmer le « grand bond en arrière [2] » de l’Europe.
Parmi elles :
- développer l’investissement dans les réseaux et la connaissance ;
- augmenter la compétitivité de l’industrie et des services ;
- dépenses "recherche & développement" (R&D) assurées au 2/3 par le privé ;
- augmentation de la durée de la vie active (+ 5 années de travail)

Il y a comme un vent de régression sociale dans tout ça ! Pas étonnant que Philippe Camus tempête contre les « charges patronales [3] », les 35h, le nombre trop faible d’annuités, etc..

« Je sais que ce n’est pas très populaire en ce moment, mais d’une manière ou d’une autre il va falloir que l’on travaille 5 ans de plus ».

On se demande bien ce qu’il entend par « d’une manière ou d’une autre ». J’imagine que ce sont la matraque, taser, flashball et autres ustensiles démocratiques. Mais le peuple aussi à le droit de s’exprimer dans cette démocratie du gourdin : tous à vos bâtons et allons voter dans les burnes du gouvernement !

Certaines phrases, notamment celles évoquant des revendications sociales (sur les 35h et l’âge de la retraite par exemple) sont données sur le ton de la plaisanterie. Effet garanti, petits sourires dans la salle... Non content de critiquer, sans aucun argument, certains acquis sociaux, il tourne en dérision celles et ceux qui chaque jour luttent contre la gangrène libérale...

La recherche

Pour parler du financement de la R&D, il part tout d’abord du constat que la recherche va mal en France. Pour cela il s’appuie sur le fameux « classement de Shanghai » qui ne juge nullement de la qualité de la recherche, mais de la compétitivité mondiale entre les super structures universitaires. D’ailleurs il l’avoue lui-même en disant que le classement se base sur des critères favorisant les systèmes anglo-saxons, mais qu’il faut quand même en tenir compte car les autres (comprenez US, Royaumes Unis) l’utilisent.
De plus, ce critère ne concerne que les sciences comme la chimie, les mathématiques, la physique, etc.
Indirectement il écarte toutes les sciences humaines (histoire, sociologie, anthropologie, littérature, etc.) qui intéressent beaucoup moins les entreprises. Cette réduction du problème montre une fois de plus qui sont les laissés-pour-compte dans ces réformes universitaires.

Une fois le « problème » posé, sa démonstration est simple : les US sont très bien classés avec les critères de Shanghai, et plus des 2/3 des financements de la recherche sont assurés par des entreprises : donc ça marche, ils ont tout compris, et il faut faire pareil si on ne veut pas être largués.

Toute l’argumentation de Philippe Camus se retrouve dans le document « Financer la R&D ». Rien d’étonnant lorsque l’on sait qu’il a été rédigé par Jean-Paul Betbèze, directeur général du Crédit Agricole, membre du cercle des économistes, du conseil d’analyse économique, et de l’International Conférence of Commercial Bank Economist (ICCBE). Il préside également l’Union des Industries de la Communauté Européenne (UNICE, actuelle BusinessEurope) et la société d’économie politique.
Ce document fait partie des rapports rendus par le Conseil d’analyse économique dont le rôle est d’éclairer (ordonner ?) les choix du gouvernement en matière économique.

Quoi qu’il en soit, selon lui, les relations universités-entreprises marchent moins bien en France, et sont un frein au développement d’une meilleure recherche. Le souci viendrait d’une « incompréhension d’ordre culturelle » de l’entreprise par l’université. Il nous rassure tout de suite en nous clamant :

« L’entreprise ne veut pas faire que du profit, elle est prête à investir à l’université ».

Qu’elle soit prête à investir, ça on en doute pas une seule seconde, mais qu’elle ne veuille pas faire de profit sur ses investissements, il ne faut pas nous prendre pour des cons. À l’entendre, les entreprises seraient devenues altruistes !
De plus, réduire le problème à « une incompréhension » liée à la culture de l’université, c’est dire que l’université n’a aucunes raisons politiquement ou économiquement fondées, pour s’opposer aux nouvelles réformes libérales.
Il termine en se félicitant de certaines dispositions qui vont dans le « bon sens », avec notamment le développement des thèses CIFRE (financées par les entreprises), et certaines conséquences de la mise en place de la LRU :
« Avec la LRU, les chefs d’entreprises sont présents au conseil d’administration de l’université, et c’est une bonne chose »
Il aurait pu ajouter « pour les entreprises ».

Applaudissements à la fin de sa prestation : automatismes respectueux ou adhésion à l’idéologie véhiculée ?

En résumé, voilà ce dont traitait cette conférence. A mon grand regret je n’ai pas pu assisté à toute la messe. J’ai dû partir juste à la fin du speech, sans avoir pu participer à la petite séance de questions.

Lyon1 s’affiche donc de plus en plus comme un relais de l’idéologie capitaliste, et ne se gène même plus pour inviter à coup de gros chèques des personnes comme Philippe Camus (Lagardère et MATRA réunis) pour qu’ils puissent faire leur grand show libéral.
Je doute que l’université fasse la même démarche pour une conférence intitulée (par exemple) « Comment contrecarrer la Mondialisation : importance de la recherche ».

Notes

[1Le terme « mondialisation » désigne ici la mondialisation économique, c’est-à-dire la dynamique des échanges mondiaux de capitaux et de tout ce qui a une valeur marchande (tels que les biens, le travail, le savoir, etc..).

[2En référence au livre de Serge Halimi « le grand bond en arrière – comment l’ordre libéral s’est imposé au monde ». Le titre lui-même faisant allusion au « grand bond en avant » de Mao Tse-Toung.

[3Le terme « charges patronales » désigne en fait la plus-value sur le salaire que le patron s’approprie dans le langage et dans les faits.

Proposer un complément d'info

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

  • Le 23 mai 2008 à 15:49, par bubu

    Je ne suis pas sûr que l’info ait été diffusée sur l’ensemble de l’université. Il me semble que seulement 3 labos ont été informés de la conf (mais je ne suis vraiment pas sûr). Moi j’y suis allé un peu sur le fil. J’ai reçu un mail le jour même, rappelant l’horaire de la conf. J’ai vu aussi qu’il y avait eu quelques affiches (en principe elles sont posées une semaine avant...maintenant je fais beaucoup plus attention !). En fait il y a beaucoup de confs, séminaires, etc. qui se déroulent à l’université mais dont la pub n’est faite que sur 1 ou 2 labos. Généralement il s’agit de confs scientifiques qui n’intéressent que très peu de gens, donc les annonces sont très ciblées. Au final il y avait essentiellement des enseignants et des chercheurs. Quelques étudiants, très certainement en thèse ou en stage.

    Personnellement c’est la première fois que je vois une conf comme celle là à Lyon1. Vu le contenu et comment elle s’est déroulée, il faut vraiment être plus vigilant sur les confs données à l’université, et faire passer l’info le plus tôt possible.
    D’ailleurs il en a peut-être donné plusieurs, dans d’autres labos ou je ne sais où, histoire de rentabiliser son petit séjour à Lyon.

  • Le 23 mai 2008 à 12:02, par EcowaR

    ok. c’est bien de constater. mais à part ça, où était la contestation ? y a il eu un rassemblement de protestation ? la séance a elle été interrompue par une bande d’infâmes gauchistes gueulards ? un petit entartrage peut être ? non ? bah merde... pas d’etudiants anti-LRU ? pas d’antimilitaristes ? pas d’alter-truc et d’anti-machins ? c’est dingue, le titre de ton article m’a fait bondir sur mon siège, je ne dois pas seul-e dans ce cas... depuis quand cette info etait elle connue ? pourquoi je vois ce titre, qui, accompagné d’un joli petit texte explicatif aurai pu rassembler un grand nombre d’opposants, sur un compte rendu plutot que sur un tract ?
    plus personne ne se sent concerné-e ? plus l’envie de foutre un joyeux bordel au milieu de ces porcs encravatés ?

    désolé, je sais que c’est pas constructif, je sais que je risque de passer pour un vieux donneur de leçons blasé, mais là j’hallucine un peu quand même...

Publiez !

Comment publier sur Rebellyon.info?

Rebellyon.info n’est pas un collectif de rédaction, c’est un outil qui permet la publication d’articles que vous proposez. La proposition d’article se fait à travers l’interface privée du site. Quelques infos rapides pour comprendre comment être publié !
Si vous rencontrez le moindre problème, n’hésitez pas à nous le faire savoir
via le mail contact [at] rebellyon.info