Communiqué : « Quand le Crif défend la colonisation et bâillonne les voix dissidentes »

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Palestine

Le 15 avril dernier, notre conférence avec Pierre Stambul, porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), consacrée à l’histoire de la Palestine et du sionisme, a été perturbée par une bande d’agitateurs et d’agitatrices. L’action a été revendiquée depuis par plusieurs membres du CRIF. Dans un contexte où les voix critiques de la politique israélienne sont systématiquement attaquées et bâillonnées, la tenue de cette conférence relevait d’un acte nécessaire de défense de la liberté d’expression et du droit à l’information sur l’histoire et la situation du peuple palestinien. Malgré leurs vociférations et une atmosphère plus que pesante, Pierre Stambul est allé au bout de son exposé. Retour sur les méthodes du CRIF et leur idéologie raciste et colonialiste. 

Depuis octobre 2023, les massacres israéliens dans la bande de Gaza ont entraîné la mort de plus de 50 000 personnes, dont 15 000 enfants, selon le ministère de la Santé de Gaza — chiffres que tous les témoins jugent largement inférieurs à la réalité. L’aide humanitaire est systématiquement bloquée par l’Etat d’Israël. La Cour Internationale de Justice a reconnu le 26 janvier 2024 un « risque plausible de génocide ». En Cisjordanie, la colonisation continue avec toujours plus de violence : le nombre d’installations illégales de colons ultranationalistes augmente encore, tout comme le nombre de villages palestiniens détruits. À l’heure où la folie impérialiste de Trump fait la joie du gouvernement israélien en proposant de déplacer de force l’ensemble des habitant·es de la bande de Gaza, les mouvements de défense des droits du peuple palestinien dans les universités sont bâillonnés et fortement réprimés

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) joue un rôle important dans cette répression. Il envoie notamment des lettres à des librairies pour leur demander de retirer de leurs rayons des livres traitant de la Palestine, et à des universités pour tenter de censurer des conférences qui abordent le sujet. Née en 1944, cette organisation est devenue dans les années 2000 une officine apportant un soutien inconditionnel à la politique israélienne. Elle est aussi allée jusqu’à rencontrer le ministre d’extrême droite israélien Bezazel Smotrich — partisan notoire de la suprématie juive de la Mer au Jourdain et auteur de nombreux appels au meurtre des Palestinien·nes — le 6 juin 2023. Depuis le début du génocide, ce soutien sans faille s’exprime notamment en s’opposant à de nombreuses reprises aux revendications de cessez-le-feu.

Avant notre événement, Richard Zelmati, président du CRIF Auvergne-Rhône-Alpes, a envoyé une lettre au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et à la présidence de l’ENS de Lyon pour réclamer sa censure. Afin de garantir aux étudiant·es une liberté d’association et d’expression, l’ENS de Lyon a refusé d’interdire la conférence. La tentative de censure mise en échec, des membres de l’organisation ont tenté par leur tapage et leurs invectives de réduire Pierre Stambul au silence, sans succès. Les propos et insultes vociférées ce jour-là ont permis de mettre en lumière leur vision raciste et colonialiste, qui s’appuie sur de nombreuses contre-vérités historiques

1. « Il n’est pas Juif ! » : nier la judéité des personnes juives antisionistes

Parmi les nombreuses insultes proférées à l’encontre du conférencier, militant Juif et fils de résistant·es, nous notons l’insistance à nier sa judéité. Le procédé est connu et éprouvé : poser les soutiens de la politique israélienne comme seules voix juives légitimes, quitte à se livrer aux assignations identitaires les plus crasses. Stéphane Hessel, dont le CRIF avait demandé et obtenu l’interdiction d’une conférence à l’ENS de la rue d’Ulm en 2011, en avait déjà fait les frais : on trouve encore sur le site du CRIF un article intitulé « le vieil homme indigne » où sa judéité est qualifiée de « mensonge par omission ». En février dernier, le CRIF s’était livré à nouveau à de tels procédés après que Tsedek et l’UJFP, organisations juives antiracistes, ont déposé une gerbe de fleurs en hommage aux 86 personnes juives raflées dans la rue Sainte-Catherine en 1943. Il a envoyé une lettre à la mairie de Lyon pour protester, qualifiant cet hommage de « profanation symbolique »

Ces tentatives d’imposer une définition fermée de la judéité, réduite aux soutiens du projet colonial israélien, relève d’une logique raciste et met en danger les Juifs et les Juives, en les solidarisant d’un Etat qui révèle au monde sa nature meurtrière. L’assignation identitaire s’accompagne ainsi, chez nos contradicteurs, de plusieurs insinuations laissant entendre que Pierre Stambul serait « payé » par des acteurs occultes : racialisation conspiratoire qui s’inscrit dans la plus parfaite continuité avec l’antisémitisme européen. Ces procédés ne visent qu’à réduire au silence les voix juives critiques, en les excluant du débat public et en les exposant à des violences symboliques et politiques.

2. « Des Egyptiens, des Libanais, des Syriens ! » : nier l’existence du peuple Palestinien

Un grand thème des vociférations de nos contradicteurs était la négation de l’existence du peuple palestinien, affirmant que la Palestine se réduisait à « des marais » avant la réalisation du projet sioniste, et que les Palestinien·nes seraient en réalité « des Egyptiens, des Libanais, des Syriens »

L’une des exigences du sionisme est de trouver une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Pour légitimer la colonisation, ses partisan·es doivent recourir au mythe historique d’une Palestine vierge d’habitant·es, ou de l’inexistence du peuple Palestinien comme entité politique. La rhétorique d’effacement colonialiste du peuple autochtone a son pendant civilisateur : lorsqu’une des membres du groupe perturbateur hurle que la Palestine, avant la colonisation sioniste, se réduisait à « des marais », elle véhicule une vision raciste, occidentale et impérialiste du monde — la façon d’habiter des Israélien·nes serait plus légitime que celle des Palestinien·nes. 

L’autre pendant de la rhétorique d’effacement du peuple palestinien vise à affirmer que, selon la célèbre phrase de Golda Meir, alors première ministre israélienne, « le peuple palestinien n’existe pas ». Ce mythe historique a comme conséquence pratique de rendre envisageable le « transfert » de la population Palestinienne vers d’autres pays arabes : processus théorisé depuis les années 1930, et mis en oeuvre à partir de 1947 lors de la Nakba. L’affirmation selon laquelle les Palestiniens seraient en réalité « des Égyptiens, des Libanais, des Syriens » ne doit pas être banalisée, en ce qu’elle a été mise au service de politiques d’effacement du peuple palestinien, hier comme aujourd’hui.

Dans la continuité de leur négation de l’existence du peuple palestinien, ils et elles nient que la fondation d’Israël s’est faite en orchestrant le déplacement forcé d’une grande partie de la population arabe palestinienne. En hurlant « Sources ?! » lorsque Pierre Stambul évoque la Nakba — l’exil forcé de plus de 750 000 Palestinien·nes lors de la fondation de l’État d’Israël en 1948 — les sionistes du CRIF nient sans vergogne des faits historiques pourtant établis, tant par des historiens palestiniens que par par les nouveaux historiens israéliens après la déclassification d’archives dans les années 1970. 

La Nakba ne constitue pas un épisode parmi d’autres : c’est un traumatisme majeur pour le peuple palestinien, une plaie toujours vive qui façonne encore aujourd’hui l’identité, la mémoire collective et la colère légitime des Palestinien·nes. Ce déracinement brutal, effaçant villages et vies entières, est au cœur de l’histoire contemporaine de la Palestine. Il demeure l’une des principales sources de la colère face à l’injustice persistante, et le demeurera tant que les réfugié·es de cette catastrophe continueront à être privé·es de leur droit fondamental au retour. Ignorer ou nier cet événement revient à nier non seulement une réalité historique, mais aussi la souffrance profonde et durable d’un peuple privé de ses terres et de ses droits.

3. « Quel traitement le Hamas vous aurait réservé ? » : homonationalisme et instrumentalisation du terrorisme

Lors de la conférence, certaines interventions de nos détracteurs ont assimilé le soutien au peuple palestinien, voire le peuple palestinien lui-même, au Hamas ou au terrorisme. Assimiler toute critique de la politique israélienne ou tout soutien aux droits des Palestinien·nes à une apologie du terrorisme constitue une stratégie d’instrumentalisation dangereuse qui vise à étouffer le débat légitime et à détourner l’attention des réalités de l’occupation et de la colonisation. Lorsque Pierre Stambul a évoqué l’expulsion des Juifs et des Juives d’Espagne en 1492, l’un d’entre eux est même allé jusqu’à crier « on en a rien a foutre de ça, parlez nous du Hamas », phrase répétée à plusieurs reprises en réaction à des développements sur l’histoire de l’antisémitisme. Cette phrase ahurissante montre combien nos adversaires prennent en réalité peu au sérieux la lutte contre l’antisémitisme, et combien l’invocation du Hamas leur sert à étouffer toute discussion critique afin d’épouser le récit israélien.

En invectivant les « hommes en jupe » pour leur demander « quel traitement le Hamas leur aurait réservé », iels instrumentalisent en outre les luttes féministes et queer pour en faire un outil entretenant le fantasme raciste d’une opposition entre cultures supposées irréconciliables. Cette stratégie, connue sous le nom d’homonationalisme est à la fois LGBTQI-phobe et raciste : elle consiste à attaquer les personnes queer lorsqu’elles s’opposent aux impérialismes occidentaux, tout en prétendant que la véritable homophobie serait du côté d’un ennemi musulman fantasmé. Les homonationalistes font ainsi d’une pierre deux coups : s’en prendre aux personnes queer qu’iels détestent, et défendre « l’Occident » dans une guerre présentée comme civilisationnelle. Le drapeau arc-en-ciel brandi par un soldat israélien devant des immeubles en ruines ne nous trompe pas : leur pseudo-défense des droits des femmes et de la communauté LGBTQI+ n’est qu’un prétexte malhonnête, il s’agit bien d’une guerre coloniale et génocidaire que mène Israël à Gaza et en Cisjordanie.

En Israël après le 7 octobre 2023 comme aux Etats-Unis après le 11 septembre 2001, le discours de la guerre contre le terrorisme permet de justifier toutes les violations des droits humains, au nom de l’exceptionnalité de la menace. Au moment même où ils se présentaient comme démocratie en lutte contre « l’axe du mal », les Etats-Unis se dotaient du « Patriot Act », arsenal législatif qui a légalisé la torture pratiquée à Guantanamo et Abu Grahib. Au moment même où elle se présentait comme « la seule démocratie du Moyen-Orient » en lutte contre le terrorisme, Israël faisait passer en décembre 2023 la loi dite « sur les combattants illégaux », qui étend considérablement le droit pour l’armée de détenir des individus sans avoir à alléguer un motif, avertir ses proches ou lui permettre de rencontrer un avocat. La torture, déjà pratiquée massivement par Israël avant le 7 octobre, a fait l’objet d’un usage plus massif encore, notamment dans le centre de torture de Sde Teiman, devenu tristement célèbre pour les témoignages d’horreur qui en ont été rapportés. Aucune « lutte contre le terrorisme » ne justifie la violation des droits fondamentaux, la torture, le bombardement en masse : voilà la parole que les invectives sur le Hamas tentaient de faire taire, et voilà ce que nous continuerons à défendre, que nous portions une jupe ou un pantalon.

4. « Tu les as comptés ? » : nier les massacres à Gaza

Chaque fois que Pierre Stambul parlait du nombre de personnes assassinées à Gaza par l’armée israélienne, les invectives ont fusé : « Tu les as comptés ? » lorsqu’il a rappelé que les bilans chiffré dont nous disposons sont très en-dessous de la réalité ; « Menteur ! » lorsqu’il a rappelé l’horreur à Gaza. Ces invectives abjectes sont dans la droite ligne de la position du CRIF, dont la vice-présidente Nathalie Beizermann tweetait le 14 octobre 2024 : « Quand on aura mis bout à bout toutes les vidéos avec truquages, maquillages, mise en scène, on découvrira Pallywood. Comme si le Hamas faisant souffrir l’enfer aux Palestiniens ne suffisait pas, il faut qu’ils aient LFI pour relayer… » .

Si nous pouvons concevoir qu’il existe un débat sur la qualification juridique et politique des massacres commis par Israël à Gaza, les nier purement et simplement, prétendre que les cadavres ou les personnes brûlées vives sont des images fabriquées, est un procédé qui doit être appelé par son nom : du négationnisme. Chiffres exagérés, images fabriquées, victimisation... Les arguments employés ici sont de vieilles ficelles éprouvées par les négationnistes. Puisque le CRIF se vautre dans une telle fange, nous faisons nôtre la mission qu’il a failli à assumer : « nous devons combattre le négationnisme et faire entendre notre voix contre la haine, les préjugés et les mensonges » (Extrait de l’éditorial de la revue Etudes du CRIF, n°34, 2015).

Défendons la liberté d’expression et la justice pour le peuple palestinien

Face à la gravité des faits évoqués et aux méthodes d’intimidation employées, il est essentiel de rappeler que la liberté d’expression, la liberté académique et la liberté d’association doivent être des principes inaliénables, y compris – et surtout – lorsqu’elles concernent des sujets sensibles comme la situation en Palestine. Dénoncer la politique coloniale, raciste et génocidaire de l’État d’Israël, ou questionner le rôle d’organisations comme le CRIF dans la répression de ces voix critiques, n’a rien d’antisémite. Bien au contraire : cela constitue un engagement en faveur des droits humains et de la justice. Assimiler toute critique d’Israël à de l’antisémitisme revient à diluer cette forme spécifique de racisme qu’est la haine des personnes juives, à en brouiller les contours et, ce faisant, à affaiblir la lutte contre l’antisémitisme réel. Face à cette instrumentalisation, nous refusons de nous taire. Nous continuerons, avec détermination et sans concessions, à dénoncer les crimes coloniaux, à briser les tentatives de censure et à défendre haut et fort le droit légitime des peuples à la liberté, à la dignité et à la justice — en Palestine comme partout ailleurs.

Le collectif des associations engagées de l’ENS de Lyon
25/04/2025

P.-S.

Malgré cette tentative de silenciation, nous continuerons à organiser des événements pour dénoncer les crimes de l’Etat d’Israël et défendre l’égalité des droits de la Mer au Jourdain, dans notre école et en dehors.
Pour nous contacter : assos.engagees-ens.lyon@proton.me

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