Avant même d’être parti.e.s, c’est la première provocation : contrôles d’identité, fouilles et chantage au départ. Au bout d’une bonne heure, ils s’en vont, et on peut partir sans avoir tou.te.s donné nos identités. Arrivé.e.s à Vichy, le cortège se bouge, et déjà des jolis fumigènes égaient la nuit tombée. À peine deux avenues et trente minutes plus tard, le temps de s’étonner de la présence ostentatoire du parti qui affrétait des charters il n’y a pas si longtemps ; et d’admirer des artistes muraux s’exprimer, et des lacrymos sifflent déjà au dessus de nos têtes.
Au milieu des étouffements et des yeux qui pleurent, c’est une grosse rage qui monte. Trente minutes à peine qu’on marche. L’hypothétique « zone rouge » n’est ni en vue, ni même envisagée à ce moment-là. Pourtant on crache nos poumons. « C’est de la provocation » : on l’entendra sûrement plus tard, mais sûrement pas à leur encontre, pas au sujet des grenades qui tombent droit dans la foule, sur des têtes, pas au sujet du front de CRS qui bloque le « parcours », pas au sujet des charges qui font ici paniquer certain.e.s, là s’étaler un vieux au sol. La rage monte encore, au rythme des charges, des gaz, des yeux qui pleurent.
Avec la rage, vient l’impuissance la nôtre. Impuissance à ne pas reculer devant la violence des charges, des tirs de gaz. Impuissance à gérer ses jambes qui tremblent, à contrôler une boule au ventre d’angoisse, d’essouflement, de colère. Impuissance à faire comprendre au Parti
Socialiste que sa présence est pour le moins déplacée. Impuissance face à celleux qui tracent loin devant, lâchant au passage un « bah, des arrestations, il y en a tout le temps ». Impuissance au mileu de visions tant orwelliennes le phare d’hélico balayant la foule, les grenades claquant, les souricières se refermant. Impuissance face à leur puissance.
Au milieu de tout ça, il y a des sourires aussi, quand même. Voir des familles rester là, solidaires, poings serrés, ensemble. Voir quelques murs porter pour un instant une autre parole que celle de JeanClaude Decaux. Voir cette rage s’exprimer, voir ces rues, quelques minutes durant, devenir plus qu’un élément de gestion des flux. Voir cette rage parfois s’exprimer dans la confusion, le n’importe quoi qui tourne en rires nerveux. Entendre des gens, pourtant paniqué.e.s et réservé.e.s, se risquer à dire sourire au lèvres, comme un soulagement « oui, bon, un panneau de pub, c’est pas grave ! ». Entendre aussi des « comment vous dites ? Ni nations, ni frontières, ni matons, ni charters ? Ah ouais, c’est cool ! ». La foule qui somme toute reste, résiste, soutient.
Le recul terminé, une fois tout le monde plus ou moins replié vers le lieu du « meeting », la soirée se poursuit, plutôt surréaliste. Il faut démêler dans le brouhaha les embrouilles avec les politicien.ne.s, le meeting qui se déroule comme si de rien n’était, la solidarité qui se met en place pour les arrêté.e.s, les cris agaçants de gens surexcité.e.s, les fausses alertes et les vraies, les tirs de flash ball sur la place.
Vers 22h, on reprend la route, laissant sur place les autres. Dans le bus, quelqu’un lit un chapitre sur l’expression logarithmique, et bien loin de patrick swayze, la radio joue (I had) The time of my life. C’était bien peu de chose. Quelque chose contre eux, quelque chose à nous. Et déjà les pigistes de la presse-qui-ment préparent leurs transcriptions fidèles de ce que leur a dit la préfecture : « En marge d’un sommet sur l’immigration » blablabla « manifestation pour une europe des droits de l’homme », blablabla, « amalgame douteux » blablabla, « arrestations » blablabla, « 5 voitures incendiées » blablabla, « casseurs sans aucun lien avec la manifestation ». L’histoire bégaie. C’est fatiguant... Quelqu’un résume mieux que moi :
« Du fleuve qui déborde, on dit qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. » (B. Brecht).
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