Débat autour de l’ouvrage « Tripallium » en présence de l’auteur, Lilian Robin, samedi 28/03

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« Ce roman s’intéresse à des résistants, qui refusent l’évidence ; qui bousculent ceux qui voudraient qu’ils meurent en silence ; qui se battent pour défendre leur droit à souffrir. Enfin… à travailler. » Rencontre-débat en présence de l’auteur le samedi 28 mars à 15h30 à la plume noire.

Les militants de la Coordination des Groupes Anarchistes vous invitent à une :

Rencontre-débat avec Lilian ROBIN

Samedi 28 Mars à 15h30, à La plume noire, 19 rue Pierre Blanc.

Tripallium... Lorsqu’il accepte le poste de responsable sécurité environnement chez Plastic Avenir, Arno est loin de s’imaginer qu’il vient de pactiser avec le diable. Mais quand dans l’usine les accidents succèdent aux dépressions, quand les ouvriers n’ont comme horizon que machines vétustes et petits chefs sans scrupules, le jeune cadre inexpérimenté doit prendre position : assumer son rôle ou fermer les yeux ?

Lilian Robin, acteur quotidien de la prévention des risques professionnels, dessine dans son premier roman la silhouette d’une industrie traumatisée. Il dresse avec humour le portrait sensible et grinçant de ces ouvriers qui se battent pour défendre leur droit à souffrir.

Pour en savoir plus sur ce roman, en découvrir des extraits et discuter avec son auteur, rendez-vous sur le site dédié à Tripalium.

Lilian ROBIN, tripallium, Les éditeurs libres, 2008

« Lilian est l’observateur de ce biotope étrange qu’est une usine, ses hiérarchies, ses drames tus, les suicides, les « accidents » plus ou moins fortuits (la rentabilité accentue les risques, et les vengeances peuvent trouver du côté des presses et leur impitoyable mécanique matière à s’étancher), le stress surtout. Toute une économie, une symbiose même, liant l’usine, principal employeur du coin, à son environnement. . » Bruno Portesi, www.parutions.com

Pour ceux qui veulent se faire une idée plus précise de l’ouvrage, voici le premier chapitre :

Chapitre 1

LA GRANDE BOITE GRISE

La grande boîte grise était inscrite dans mon inconscient quotidien. Dix ans que je longeais sa face sud, d’un pas nonchalant à l’aller, par petits bonds enjoués au retour de l’école. Les gardiens n’avaient jamais permis que la pelouse parfaite devienne terrain de foot et l’immobilité quasi permanente du lieu avait mis un terme à mes curiosités d’écolier… puis de collégien. Je fréquentais de loin cet amas indifférencié de tôles, de verre et d’employés sans même lui rendre de politesse tant il semblait exclu qu’un jour, je puisse lui appartenir.

Quelques années plus tard
La concentration élevée de gaz d’échappement me signale que la Super cinq de la voisine tourne depuis un moment.
- Tu vas prendre le rythme, me dit-elle gentiment.
Les amortisseurs défaillants imposent leur loi à mon corps encore raide de sommeil. La conductrice, déjà souriante, absorbe les chocs avec élégance. Les dix minutes de trajet, entrecoupées de micro-somnolences, prennent fin sur les ralentisseurs qui marquent l’entrée du site.
Il est quatre heures quarante et pour la première fois de ma vie, je pénètre une de ces entités, niées jusqu’alors, et qu’on appelle entreprise.
Sur le chemin des vestiaires la voisine me donne en pâture aux commères du village.
- Eh ! Regarde qui c’est que j’ramène !
- Oh ! Mais c’est le p’tit Libilin, c’est pas vrai qu’il est grand comme ça ?
Puis chacun prend sa place dans le ballet du matin. Sous la lumière blanchâtre des néons, les corps inhabités répètent machinalement des gestes dérisoires. Bise, ouverture cadenas, blouse, chaussures, bise, fermeture cadenas, serrer la main, non toi d’abord, non vas-y, allez j’t’le paye, vacherie sur la chef qui passe, salut respectueux, chef je vous paye un café ? Faux cul ! Café, sonnerie, soupir collectif, procession jusqu’au poste de travail.
Temps de formation pour les nouveaux arrivants. La mission consiste à déposer sur des flacons miniatures de parfum de minuscules étiquettes glissantes.
- UN, phase de préparation, je décolle l’étiquette du ruban avec l’outil que je garde dans ma main droite. DEUX, phase de saisie, j’attrape le flacon qui vient de ma gauche avec ma main gauche. TROIS, phase de collage, je sélectionne la face et je pose l’étiquette. QUATRE, phase de contrôle qualité, je vérifie que le collage est correct. Si oui, je pose le flacon sur la chaîne principale ; si non, je pose le flacon dans le bac des reprises. Et on redémarre phase UN ! Est-ce que c’est clair ?
- …
- Démonstration !
La chef déroule le processus, exagérant les mouvements pour coller au précédent découpage.
- Vous avez une heure à cinquante pour cent, une heure à soixante-quinze, et après, on est à la cadence. Alors en place, la pause est à huit heures trente.
À l’heure du premier café, l’angoisse de n’être pas capable a cédé la place à l’ennui.
Retour au poste. Plus rien à apprendre et d’après un rapide calcul de tête, cent soixante-treize heures à tirer, soit environ dix mille trois cent quatre-vingts minutes, c’est-à-dire à peu près six cent vingt-deux mille huit cents secondes. Le chiffre des flacons n’est pas plus rassurant. Un toutes les dix secondes, ça fait… six à la minute donc… trois cent soixante de l’heure, soit approximativement cinquante-quatre mille étiquettes à coller avant fin juillet. J’en étais là de mes projections statistiques pour dompter l’impatience quand la chef a posé devant moi les six derniers flacons étiquetés à l’envers.
- Série spéciale pour les cadres ! Je veux du cent pour cent. Alors plus de bourdes comme ça, hein ? Sinon, j’te fais virer, t’es pas au lycée ici.
Je n’allais tout de même pas rentrer chez moi, annoncer mon licenciement, quatre heures après l’embauche. Tout le monde a de bonnes raisons de s’écraser, j’avais les miennes.
- Ça ne se reproduira pas…
- J’espère bien.

Enfin la pendule affiche treize heures.
De retour à la maison, sans passer par la case repas, je me suis précipité dans mon lit. Épuisé.
Un peu plus tard, je me suis extirpé d’un rêve obsédant : j’étiquetais des flacons de parfum.

Deux semaines plus tard
Le secret des anciennes m’échappe. Elles débarquent pimpantes et repartent de même, comme si rien ne leur était arrivé. Vingt-trois ans que la voisine sacrifie sa vie aux étiquettes ! Comment est-elle encore debout ? Quinze jours d’expérience et déjà je sens ma tête m’échapper. La multitude de flacons, d’étiquettes, de cartons me terrorise. Je plonge chaque jour un peu plus dans un délire obsessionnel. Je calcule, vérifie, calcule à nouveau, n’importe quoi. Les flacons, aujourd’hui, ceux d’hier, depuis lundi, les défectueux, aujourd’hui, ceux d’hier, depuis lundi, les secondes, pendant des heures, les secondes jusqu’à la pause, les centimes amassés, les centimes qui manquent, le nombre total d’orteils dans l’atelier, le nombre de flacons étiquetés depuis deux heures, par convoyeur, par orteil, depuis seize ans, le nombre de cartons, par jour, d’ici cinq ans… Je sors toujours vaincu de ces batailles contre le temps. Mes opérations grappillent quelques minutes quand il y en a des milliers à tuer.
Ce matin, la présence d’une nouvelle, en fait une ancienne de retour, vient bousculer temporairement la routine. La dame n’a pas bonne mine. Derrière ses verres fumés on devine des yeux rouges. Par un lointain signe de la main, l’adjudante lui signifie son emplacement. Convoyeur numéro trois, juste en face de moi. Cette femme éveille ma curiosité. Difficile de lui donner un âge, ses doigts sont maigres, osseux, ses gestes maladroits.
- Et merde !
Captivé par mes observations, j’ai laissé filer un flacon. Heureusement, la chef n’a rien entendu. Je nettoie rapidement et reprends mon travail.
Quelques minutes s’écoulent.
Lorsque je jette à nouveau un coup d’œil, la situation de ma collègue d’outre-tombe ne s’est pas arrangée. Elle s’est tout à fait arrêtée de travailler et se rétracte progressivement, le cou dans les épaules, les bras autour des cuisses. Sa voisine, sans doute inquiète, s’approche d’elle.
- Eh Burdeau, tu fais quoi là ? Je bosse pas pour deux, alors réveille-toi !
Burdeau faisant la morte, elle la secoue vivement, jusqu’à se lasser.
- Elle nous fait chier, celle-là, je vais chercher la chef !
La voisine énervée avance alors, torse bombé et poings serrés, en quête du jugement sanglant de la supérieure. Chacun reprend consciencieusement sa tâche, réservant son attention pour les minutes à suivre, qui promettent d’être palpitantes. Pourtant, dans l’intervalle, les choses ne devaient pas en rester là.
J’étais, je crois, le seul à suivre la scène en direct. Mme Burdeau se déplia, les yeux vides, la main droite
à hauteur du visage, la gauche ouverte paume vers le haut, posée sur le bord du convoyeur. Lorsque la descente du bras droit s’amorça, les muscles du cou se dilatèrent, jusqu’à la limite de rupture. Arrière-plan fixe : des employés posant des étiquettes.
Le sang jaillit dès que l’outil fut planté bien au centre de la main gauche… À cet instant, le son revint, le défilé des images reprit sa fréquence habituelle. Un hurlement, glaçant, résonna dans tout l’atelier. Puis les échos de cris poussés par d’autres, les collègues paniquées. Les mêmes qui peu de temps auparavant lui auraient sûrement fiché l’outil dans les yeux. Mais la panique, c’est comme les enterrements, il n’y est pas question des autres, seulement de soi. Alors on s’occupait de la Burdeau. Dans l’aventure elle avait même retrouvé un prénom.
- Ça va aller, Fabienne, c’est rien, regarde pas !
Les conneries habituelles. L’adjudante elle-même, transformée en infirmière bienveillante, accompagnait de gestes doux la sortie de Mme Burdeau. L’air de souffrir, bien sûr, mais moins qu’en arrivant…
La chef signifia une pause générale. Je m’attendais à assister au grand déballage de gentillesses déplacées, de larmoiements hypocrites. Il n’en fut rien. Le déploiement de futilités n’était pas à l’ordre du jour du comité de salut public qui se mit en place spontanément. L’heure était grave et les masques tombaient.
- C’est impossible de se rentrer ce truc dans la main en collant, c’est sûr qu’elle l’a fait exprès, dit une première.
- Moi, je dis qu’y en a marre, à chaque fois le même coup, elle revient une heure et elle repart avec les pompiers. Sa place, c’est dans un asile, pas à l’usine, renchérit une deuxième.
- C’est qu’elle ne supporte plus ce travail, rétorqua une courageuse, provoquant l’assaut d’une autre qui n’en demandait pas plus pour cracher son venin
- Et moi, tu crois que j’m’éclate ici ? Que ça me fait plaisir de me lever à quatre heures ? Non ! Mais je viens et je fais pas chier ! Si elle a pas le courage de bosser, elle a qu’à démissionner ! Parce que comment ça va faire, hein ? Comme d’habitude ! À l’assurance ! Accident de travail ! Encore trois ou six mois d’arrêt. Et c’est qui qui la paye, quand elle est à l’assurance ? Eh ben, c’est nous qu’on paye !
- Moi, je suis prête à témoigner pour que ça passe pas comme accident, s’exclama une charogne jusque-là endormie et galvanisée par l’agressivité ambiante.
Les salariées s’organisaient pour endosser le rôle de l’entreprise paranoïaque, toujours prête à mettre en doute la parole des masses laborieuses, à nier les droits arrachés par paquets de morts. C’est à mon grand-père que je pensais à ce moment-là. Au repas de Noël, avec un coup dans le nez. Refaire son discours sur la solidarité ouvrière, la larme à l’œil, le poing levé. Fustiger les ambitieux, ceux qui avaient fait l’école des cons ! Ce que j’entendais l’aurait désespéré. Collabos, qu’il leur aurait dit. Peut-être à moi aussi d’ailleurs. Pour avoir abandonné celle qui, bien seule, osait soutenir la Burdeau. On en arrivait au terme du réquisitoire.
- Moi, je crois que c’est une feignasse et puis c’est tout, assena l’accusation.
- Ah ouais ? Eh ben moi, je crois que t’es une connasse et puis c’est tout, répondit l’avocat de la défense selon des termes empruntés à la grande tradition du barreau.
Le crêpage de chignon était imminent et je voyais déjà qu’on me solliciterait en tant que propriétaire de pénis pour séparer les belligérantes. Mes mains suaient à la seule idée de devoir intervenir quand le passage d’un haut gradé ramena miraculeusement le calme.
- Bonjour mesdames !
- Bonjour monsieur le directeur, répondirent en chœur mes sympathiques collègues.
Monsieur le directeur, sans doute flatté de recevoir un tel hommage unanime, vint même boire un café avec le petit peuple, tout à coup apaisé.
J’ai collé des étiquettes pendant un mois. Puis je me suis juré que plus jamais je ne remettrais les pieds dans une de ces boîtes grises.

P.-S.

Coordination des Groupes Anarchistes

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La plume noire, 19 rue Pierre Blanc, 69001 Lyon. Tel 04 72 00 94 10

Permanences du Mercredi au Vendredi de 17h à 19h, le Samedi de 15h à 19h

Le café libertaire est ouvert, à la même adresse, tous les Vendredis soirs de 21h à 01h, entrée par l’allée

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  • La plume noire, 8 rue diderot, Lyon 1er
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