Démolition surréaliste à Lyon 8e

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Depuis quelques jours, les passants peuvent assister avenue Jean Mermoz (Lyon 8e, proche du Bachut) à un spectacle des plus surprenants : la démolition d’un bâtiment neuf de plusieurs étages, à grands coups de bulldozers.

Voici déjà plusieurs années que les trois cliniques lyonnaises Jeanne-d’Arc, Sainte-Anne-Lumière et Saint-Jean, se trouvant chacune à l’étroit, décident de s’associer en « SCI de l’Europe » pour construire une « Générale de santé », équipée des appareillages de tout dernier cri, dans un cadre du meilleur standing pour leurs honorables patientEs.
Incidemment, la Ville de Lyon souhaite d’une part développer un pôle médical d’excellence (pharmaceutique, hospitalier et biotechnologique) dans ses quartiers Est, et d’autre part se débarrasser intra-muros du souvenir des nuisances industrielles, des risques associés et d’une mémoire ouvrière inconvenante pour une métropole internationale... Le service foncier de la Ville revend donc à la SCI de l’Europe une friche dont il est propriétaire depuis quelques années : la moitié nord du site Valeo (anciennes usines de carburateurs), non sans l’avoir viabilisée en terrain à bâtir (en l’occurence par la démolition des anciens hangars).
Le chantier débute ensuite, et progresse d’abord rapidement : trois niveaux de gros-œuvre béton sont élevés, et un niveau supplémentaire en ossature bois. Une bonne partie du second œuvre est également réalisée : huisseries, vitrages, isolants thermiques, bardages, réseaux fluides, etc. (voir les photos). Puis un beau jour le chantier s’immobilise, pendant plusieurs mois, provoquant l’interrogation chez les riverains.
C’est bien plus tard que la presse locale se fait l’écho de malfaçons sur les fondations, dont l’entreprise responsable est justement en liquidation (!). Les expertises concluent, comme le rapporte un journaliste du Progrès [1] : « Les capacités portantes des structures sont douteuses tant les désordres sont variés ainsi qu’excessivement nombreux, et des effondrements sont à craindre (...) La démolition complète des ouvrages et leur reconstruction » est ainsi ordonnée.

Patatrak !
Au coût initial de plusieurs dizaines de millions d’Euros vont s’additionner une dizaine d’autres pour la démolition, et encore autant pour la reconstruction (prévue à l’identique) !
Qu’à cela ne tienne : les assurances remboursent les dommages rubis sur l’ongle (mais au fait, qui cotise à ces assurances ?), le tribunal ayant départagé les responsabilités respectives entre maîtrise d’oeuvre (Jourda Architectes), maîtrise d’ouvrage (SCI de l’Europe), entreprise fautive (Charles-Queyras, insolvable) ; mais pas semble-t-il le bureau de contrôle technique (Apave)...

Si tout paraît très ordinaire et tristement limpide, certains aspects méritent pourtant d’être éclaircis.
Il est fréquemment fait mention ces temps-ci de « développement durable ». Cette notion des plus vagues se traduit dans le secteur du BTP par le concept -tout aussi fumeux- de haute qualité environnementale (dit HQE). Afin de limiter l’impact écologique d’une démolition (pour l’exemple qui intéresse ici), les principes de HQE recommandent effectivement la limitation des déchets par le démontage et la récupération des matériaux, ou le tri et le recyclage si nécessaire. Dans le cas présent, il serait même imaginable d’entreposer certains éléments (en assemblages secs) et de les réutiliser pour la reconstruction, puisque celle-ci est prévue à l’identique... Mais c’est un peu trop simple : et puis trop long, et tous ces ouvriers à payer.
Ainsi, lorsque Laurent Buffier écrit le 10 octobre que « les travaux de démolition ont démarré début septembre par le curage des bâtiments, à savoir leur déshabillage intérieur », partage-t-il son propre témoignage de visu ou se contente-t-il de paraphraser certaine version officielle ? Rien de plus incertain pour qui a observé, même de loin, l’activité des pelles mécaniques arrachant et écrabouillant sans discernement le bâtiment et ses échafaudages (voir en photos le résultat, très « avant-garde »). Quant à s’approcher un peu plus près, on apprend directement de l’un des ouvriers que « rien n’a pu être récupéré. C’est interdit puisque les assurances ont tout remboursé ».

Moralité (?) très antienne : quand le bâtiment va, tout va ! La récup, le recyclage, c’est encore un truc d’écolos, mais c’est un manque à produire énorme... Heureusement que la loi est bien faite : la reconstruction (à l’identique) permettra non seulement de faire travailler un démolisseur pendant plusieurs semaines [2], mais en plus donnera l’occasion formidable d’usiner à nouveau les mêmes kilomètres de produits métaux : ferraillages béton, profilés, cornières, huisseries, conduits, quincailleries diverses ; mais également les mêmes centaines de mètres carrés de verre double (sérigraphié), de tôles plates et ondulées ; et puis d’équarrir d’autres dizaines de tonnes d’arbres pour les bois de charpente, de menuiseries et de bardage ; enfin le meilleur : de faire couler encore des milliers de litres d’or gris, en béton banché ou en parpaings peu importe. Ni vu ni connu ?

Notes

[1Laurent Buffier dans l’édition du 22/10/2004

[2sans affichage légal sur la voie publique

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